7 41 I NG « Le noin ^ingénieur marque l’adreffe, l’habileté
& le talent que les officiers doivent avoir pour in-
-$> venter. On les appelioit autrefois engeigneurs , du
» motengin qui fignifie machine, parce que les ma-
» chines de guerre avoierit été pour la plupart in-
■ » ventées,par ceux qui les mettoient en oeuvre dans
» la guerre. Or engin vient d’ingenium-, on appel-
» loit même en mauvais latin ces machines ingénia.
» Hi feclauferunt propi ripas ingeniorum ,d it Guil-
■ » laume le Breton dans l’hiftoire en vers de Philippe
Augufte, en parlant du quartier où étoient les ma-
» chines.
Et Guillaume Guyart , l i ngightürs engins dref-
fen t. Hifi. de La milice franc, z . //. pag. 8g.
L’emploi d’ingénieur exige beaucoup d’étude, de
talens > de capacité & de génie. Les fciences fondamentales
de cet état font l’Arithmétique , la Géométrie
, la Méchanique & l’Hydraulique.
Un ingénieur doit avoir quelqu’ufage du deffein.
La phyfxque lui eft néceflaire pour juger de la nature
des matériaux qu’on emploie dans les bâtimens,
de celle des eaux, & des différentes qualités de l ’air
des lieux qu’on veut fortifier.
Il eft très-utile qu’il ait des connoiffances générales
& particulières de l’Architedure civile, pour la
conftruâion des bâtimens militaires , comme cafer-
iies , magazins, arfenaux, hôpitaux , logemens de
l’état-major, &c. dont les ingénieurs font ordinairement
chargés. M. Frézin recommande aux ingénieurs
de s’appliquer à la coupe des pierres-. « J’ai reconnu
» par ma propre expérience, dit ce fçavant auteur,
» ( dans Vouvrage qu’il a donné fur cette matière )
» que cette connoiffanee ( de la coupe des pierres )
» etoit auffi indifpenfablement néceflaire à un ingé-
» nitur qu’à un arçhiteâe, parce qu’il peut être en-
» voyé comme moi dans des colonies éloignées, &
» même dans les provinces où l’on manque d’où-
» vriers capables d’exécuter certaines parties de la
» fortification, où il faut de l’intelligence dans cet
» art ».
Ces différentes connoiffances & plufieurs autres
que M. Maigret defire encore dans un ingénieur,
comme celle de l’Hiftoire, de la Grammaire & de la
Rhétorique, auxquelles on pourroit joindre celle
des différentes manoeuvres des troupes, ne font que
l’acceffoire de ce qui conftitue le véritable ingénieur.
C ’eft la fcience de la fortification, de l’attaque & de
la défenfe des p laces, qui le caraftérife particuliere-
inent, & qui doit être l’objet le plus férieux de fes
études. « Les différentes parties du génie, dit l’au-
» teur de l’Ingénieur de campagne, fe rapportent pref-
» que toutes à la fortification. L ’on ne peut douter
» qu’elle n’en foit la principale ; cependant à par-
» 1er en général, c’eft, dit-il, celle à laquelle les in-
» génieurs s’attachent le moins. Cette indifférence ,
» ajoûte cet auteur, vient probablement de ce que
» n’ayant appris qu’une routine fans principes, qu’un
» maître peu éclairé rend refpettable par le nom de
» l’auteur dont il l’emprunte ; on regarde naturelle-
» ment cet objet comme borné, & comme porté au
» point de perfection dont il eft poffible ». Préface
de TIngénieur de campagne.
Il eft certain qu’en examinant le progrès de la fortification
depuis l ’invention des baftions, on s’ap-
perçoit que la difpofition de l’enceinte des places a
éprouvé peu de phangemens; mais doit-on en conclure
qu’elle a tout le degré de perfection poffible ?
Non fans doute ; le peu de durée de la défenfe de
cette enceinte, lorfque l’ennemi a pu s’en approcher
, fuffit pour le démontrer.
Il eft donc important de chercher à rendre notre
fortification plus parfaite. Il faudroit trouver le
moyen de fe garantir de l’effet du ricochet ; de rendre
les ouvrages moinsexpofésà la nombreufe artilï
N G lérie avec laquelle on bat les places ; de mettre les
dehors plus en état d’être foutenus, & repris par
l’affiégé; de faciliter les communications, de les
rendre plus fûres & plus commodes , & fur-tout de
diminuer l’exceffive dépenfe de la fortification. Ce
font les principaux objets qu’on doit avoir en vûé
dans lés nouveaux fyftèmes de fortification qu’on
peut propofer. Les ingénieurs peuvent feuls donner
des idées juftes dans une matière où la théorie nè
peut rien, ou du moins ne peut que très-peu dé
chofe fans la pratique des fiéges. C ’eft cette expérience
qui a produit le Traité de fortification de M.
le comte de Pagan, & les vues nouvelles que cet
illuftre ingénieur adonnées pour perfectionner la difpofition
de l’enceinte des places , & pour rendre la
défenfe des flancs plus direCte. Voye{ Fortificat
io n .
Pour perfectionner la fortification -, ou reftifier
ce qu’elle a de defavantageux, il faut pofféder pari
faitement tout ce qui a été fait & enfeigné fur cette
matière. Cette étude, lorfqu’on y fait un peu d’attention
, paroît plus vafte & plus difficile qu’on ne le
croyoit d’abord. Bien des gens s’imaginent favoir la
fortification, parce qu’ils ont appris à tracer I’en-
ceinte d’un plan fuivant la méthode de M. de Vau-
ban , ou celle de quelqu’autre ingénieur ; mais ceux
qui ont réfléchi fur cet art fentent bien quelles font
les bornes d’une pareille étude. Elle fert feulement
à apprendre les termes de la Fortification ; mais fi
l’on n’entre point dans l’efprit des inventeurs des
fyftèmes , fi l’on ne fait pas attention aux différens
objets qu’ils ont eus dans leur conftruâion, il arrive*
comme l’expérience le prouve, qu’après avoir beaucoup
copié de plans, & conftruit beaucoup de fyftèmes,
on ignore encore la fortification * c’eft-à-
dire fon efprit, fes réglés & fes préceptes , & qu’on
fe trouveroit très-embarraffé s’il falloit appliquer
ces réglés à une fituation tant-foit-peu irrégulière*
Les connoiffances de la fortification, utiles à un
ingénieur, font bien différentes de celles qui conviennent
à un officier ordinaire. Le premier doit
non-feulement favoir difpofer les ouvrages d’une
place de guerre pour la mettre en état de faire une
vigoureule réfiftance ; mais il faut encore qu’il fâche
les conftruirè, & remédier aux différens incon-
véniens qui arrivent dans la eonftruôion. L’officier
peut fe borner au premier objet pour être en état
de reconnoître le fort & le foible d’une place. Si
avec cela il fait mettre un village ou un pofte en
état de réfifter à un coup de main, on peut dire
qu’il poffede la fortification néceflaire à fon état*
Mais l’habileté de Vingénieur doit être portée à urt
point bien différent. Comme les idées ne fe préfen-
tent que fucceffivement, il faut, pour en trouver
d’utiles, s’appliquer très-férieufement à l’objet que
l ’on veut perfe&ionner. Ceux qui croient n’avoir
plus rien à apprendre dans les chofes de leur état
ne font pas propres à trouver de nouvelles inventions.
Un efprit éclairé, fage & raifonnable, n’emploie
guere fon tems à des |recherches particulières,
qu’autant qu’il préfume que fon application ne fera
pas infruôueufe ; il eft rare qu’avec cette difpolî-
tion, de l’intelligence, des connoiffances & un trar
vail aflidu, on ne parvienne à la fin à quelque découverte
utile.
Nous penfons donc que la perfeéfion de la forri»
fication aâuelle eft un objet digne de l’attention &
de l’application des plus favans ingénieurs. On peut
tout attendre d’un corps auffi éclairé & auffi diftin-
gué que celui du génie, qui ne voit rien en Europe
qui puiffe lui être comparé dans l’attaque & dans la
défenfe des places.
Il eft établi en France, depuis M. le maréchal de
Vauban, de ne recevoir aucun ingénieur qui n’ait
été
I N G été examiné fur les parties des Mathématiques nécef- ■
faires à fon é ta t, c’eft-à-dire, fur l’Arithmétique,
la Géométrie élémentaire & pratique, la Méchanique
& l ’Hydraulique. Le Roi paye poiuvcet effet
un examinateur particulier.
L’intention de M. le maréchal de Vauban étoit,
qu’après cet examen, on envoyât les«jeunes gens,
qui l’avoient fubi, dans les places où il y avoit de
grands travaux, pour les former dans le fervice des
places, & leur faire acquérir les différentes parties
de la fcience du Génie. Cette efpece de noviciat de-
voit durer un an ou deux, après quoi il vouloit
qù’on les examinât de nouveau pour juger de leurs
talens & du progrès de leur application avant que
de les admettre à l’état d'ingénieur. Ceux dont les
talens auroient paru trop médiocres pour le Génie,
dévoient être placés dans l’infanterie, où les connoiffances
qu’ils avoient acquifes ne pouvoient que
contribuer à en faire de bons officiers.
Le Roi a établi à Mézieïes, depuis quelques années
, une école particuliere pour le Génie.
Quoique tous les Ingénieurs doivent être également
verfes dans le fervice des places & dans celui
de campagne ; cependant comme il eft difficile d’exceller
en meme tems dans chacun de ces deux fer-
vices , peut-etre feroit-il à propos de les divifer en
ingenieurs de place &C en ingénieurs de campagne.
Ces deux états, dont M. le maréchal de Vauban
a reuni les différentes qualités dans le degré le plus
eminent, fuppofent également la fcience de la fortification
; mais comme on peut pofféder le détail
de la conftru&ion des travaux, qui ne s’apprend
point en campagne, & ignorer ou du moins ne point
exceller dans ce détail, & être très-habile dans le
fervice de campagne , qui ne donne aucune idée de
celui des places, le partage de ces deux fondions
pourroit peut-être donner lieu de former des fujets
plus habiles dans chacune de ces deux parties du
Génie. 4
Le fervice de campagne demande beaucoup de
connoiffanee de l’art de la guerre ; il exige d’ailleurs
une grande vivacité d’efprit & d’intelligence
pour imaginer & exécuter en même tems les différens
travaux neceffaires en campagne, pour fortifier
les camps &^les poftes qu’on veut défendre : « On
» n’étudie point cette matière dans les places, dit
M. de Clairac dans 1 * Ingenieur de campagne-, » parce
» que ce n’eft point l’objet préfent... D ’ailleurs, quel
» que foit le rapport de la fortification de campagne
» avec célle des pla’ces, la fcience de celle-ci ne fuffit
» pas toujours pour développer pleinement ce qui
» concerne l’autre ». C ’eft pourquoi, dès que les travaux
de l'ingénieur en campagne exigent une étude
particuliere , il femble qu’il feroit très-convenable
de s y appliquer auffi particulièrement.
Les qualités neceffaires aux ingénieurs de guerre
ou de campagne fon t, fuivant M. le maréchal de
Vauban, «beaucoup de coeur, beaucoup d’efprit,
» un geme folide, & outre cela une étude perpé-
» tuelle & une expérience confommée fur les prin-
» cipales parties de la guerre : mais fi la nature raf-
» femble très-rarement ces trois premières qualités
« dans un feul homme, il eft encore plus extraordi-
» naire d’en voir échapper à la violence de nos fie-
» ges, & qui puiffent vivre affez pour pouvoir ac-
» quérir les deux autres. Le métier eft grand & i»o-
» b le, mais il mérite un génie fait exprès & l’appli-
» cation de plufieurs années ». Infrucl. pour la conduite
des (îeges.
Aux qualités précédentes, « il faut encore, dit
M.Maigret, » joindre l’aélivité & la vigilance ab-
» folument néceffaires dans toutes les attions de la
» guerre, mais fur-tout dans l’attaque des places
V qui efperent du fecours, Il ne faiy point donner le
Tome V1I I%
I N G 743' » tems aux affiégés de fe reconnoître ; qui y perd
» une heure, en perd pour le moins deux , & un feul
» moment perdu en ces occafionS eft quelquefois
» irréparable. C eft par l ’aéhvité & la vigilance que
» les ingénieurs contraignent fouvent des affiégés de
» capituler, qui ne le feroient que long-tems après,
» fi ces ingénieurs n’avoient pas ufé d’une grande
» promptitude dans le progrès des attaques ». Traité
de la furete des états par le moyen des fortereffes.
Aux deux divifions précédentes d’ingénieur de
place & d’ingénieur de campagne, peut-être feroit-il
encore a prôpos de faire une troifieme claffe pour
la fortification des villes maritimes, qui demande
une étude particulière, & dans laquelle il e ft difficile
d’exceller fans beaucoup de travail & d’application.
Il fuffit, pour s’en convaincre, d’une le&ure
férreufe & réfléchie des deux derniers volumes de
l’Architecture hydraulique, par M. Belidor.
Les appointemens des ingénieurs, lorfqu’on les
reçoit, font de fix cens livres par an. Ils augmentent
enfuite, félon le mérite & l’ancienneté. Dans les
fieges & ên campagne, les moindres appointemens
de ceux qu’on y emploie font de cent cinquante livres
par mois.
Les ingénieurs obtiennent les mêmés grades militaires
& les mêmes récompènfes que les autres officiers
dés troupes. Ainfi ils parviennent à celui de
brigadier, de maréchal de camp,;de. lieutenant général
& même de maréchal de France, comme l’a
ete M. de Vauban, Ils ont auffi des penfions, des
majorités, des gouvernemens de places, &c.
Le nombre des ingénieurs en France eft de trois
cens. Ils font partagés dans les différentes places de
guerre du royaume. En tems de guerre, on en forme
des détachemens à la fuite des armées. Ceux qui
fervent dans les fiéges font partagés en brigades, à
la tête de chacune defquelles eft un ancien ingénieur,
auquel on donne le nom de brigadier. Ces brigades
fe relevent toutes les vingt-quatre heures.
Dans les places-où il y a plufieurs ingénieurs, le
premier eft appellé ingénieur en chef. Il a la dire&ion
principale de tous les travaux ; les autres agiffent
fous fes ordres. Les appointemens des ingénieurs en
chef font de 1800 livres, mais ils ont outre cela des ï
récompenfes & des gratifications. Cette place demande
des foins infinis , dit M. le maréchal de Vair-..
ban, « une a&ivité perpétuelle, beaucoup de con-
»duite, de bon-fens, d’expérience dans tous les
» ouvrages de terre, de bois & de pierre, avec une
» parfaite intelligence de toutes les différentes efpe-
.» ces de matériaux, de leur p rix, & de la capacité
» des ouvriers. Ces qualités font fi néceffaires dans
» la conduite des grands travaux, que par-tout où
» elles fe trouvent manquer, on peut s’afîurer que
» le moindre mal qui en puiffe arriver fera un re-
» tardement, une longue & ennuyeufe conftruéHon,
» quantité de mal-façons, & toujours beaucoup de
» dépenfe fuperflue ; accidens à jamais inféparables
» de la médiocre intelligence de ceux qui en feront
» chargés ». Directeur des fortifications.
Il y a auffi des ingénieurs provinciaux ou directeurs
des fortifications dans les provinces. Ce font ceux
qui font chargés de la dire&ion générale de tous les
travaux qui fe font dans les places de leur département.
(Q )
* INGENIEUX., adj. ( Gramm.) qui montre de
l’efprit & de la fagacité. II fe dit des chofes & des
perfonnes. Un poète ingénieux. Un machinifte ingénieux.
Une penfée ingénieufe; une machine ingé-
nieufe. Les chofes ingénieufes déparent les grandes
chofes. Si elles font accumulées dans un ouvrage,
elles fatiguent. Elles font plus faites pour être dites
que pour être écrites. Elles confiftent dans des rapports
fins, délicats & petits qui échappent aux hom- B £ b b b *