
parer des genü qui i battent I de fairnt SH fes
meubles où ceux de fon volfin, &c. Or dans toits
ces cas, il n’y a pas de nécëffité, proprement dite,
d’expofer fa vie. Contentez-vous donc d’affurer qu il
n’eft pas permis en bonne morale , de l’expofer inutilement
, & nous en conviendrons. Mais > ajoute-
t-on , celui qui fe foumet à Y inoculation, expole la
vie inutilement. La faufleté de cette propofition
faute aux y e u x , puifqu’il ne s’expofe à un très-petit
danger ( que nous voulons bien fuppofer tel ) que
pour fe louftraire à un danger beaucoup plus grand.
Loin de pécher contre la morale, il fe conforme k
fes principes. Il fait que fa v ie eft un dépôt, & qu il
doit veiller à fa confervation : il prend le moyen le
plus fur pour la garantir dû danger dont elle ett
menacée. . , ,
Treizième objection. Quelque petit que puijje être le
rifque de /’inoculation, ne fût-il que d'un fur mille,
un pere y doit-il expofer fon fils ? Si l'opération n eut
jamais été fuivïe d'aucun accident, le pere ne balancerait
pas, mais il fait qu'il en arrive quelquefois. I l
craint que fon fils ne foit la victime d'un malheureux
hafard. Peut-on le blâmer de ne vouloir rien rifquer ?
C ’eft à ce pere fi tendre & f i craintif que s’adreffe
M. de la Condamine, dont nous emprunterons les
expreffions. ,
« Vos intentions font tirès-louables. Vous ne vou-
» le z , dites-vous, rien hafarder : je vous le confeil-
» lerois, fi la chofe étoit polfible ; mais il faut ha-
» farder ici malgré vous. Il n’y a point de milieu
» entre inoculer votre fils St ne point Y inoculer ; il
» faut ou prévenir la petite v éro le, ou l attendre.
» Ce font deux hafards à courir, dont l’un eft ine-
» vitable : il ne vous refte plus que le choix.
» Voilà cent enfans, St votre fils eft du nombre.
» On les partage en deux claffes. Cinquante vont
» être inoculés, les cinquante autres attendront l’éve-
» nement..Des cinquante premiers, aucun ne mour-
,, ra ; mais par le plus malheureux des hafards, il
» feroit poflible qu’il en mourut un : fur les cin*
» quante reftans, la petite vérole fe choifira fix vic-
» times au moins, St plufieurs autres feront defigu-
» ris. Il faut que votre fils entre abfolument dans
» l’une de ces deux claffes. Si vous l’aimez, le ia if-
» ferez-vous dans la fécondé? Hafàrderez-vous fix,
» au lieu d’un, fur cette vie fi précieufe, vous qui \
» ne voulez rien hafarder dû tout ?
Mais quel feroit le defefpoir de ce perè, fi malgré
des efpérances fi flateufes , fon fils venoit à
fuccomber fous l’épreuve de Yinoculation ? « Crainte
» chimérique ! Puifque la petite vérole inoculée eft
» infiniment moins dangereufe que la naturelle, St
» fur-tout puifque celui qui né l’auroit jamais eu
»naturellement, ne là recevra pas par 1 inocula-
» tion r mais quand ce fils chéri mourroit, contre
» toute vraffemblànce , le pere n’aurok rien à fe
» reprocher. Tuteur né'dé fon fils , il étoit obligé
» de choifir pour fon pupille, St la prudence a diflé
» fon choix: En quoi confifte cette prudence ; fi ce
» n’eft à pefer les inconvéniens St les avantages, à
» bienl juger du plus grand1 degré de probabilité ?
»> Tandis qu’un inftinft aveugle retenoit le pere ,
» l’évidénce lui crioit : de deux dangers entre lefquels
h il faut £opter, choifis de moindre. Devoit-il,pou-
» voit-il réfifter à cette voix ? Le fort a trahi fon
« attenté, en eft-il refponfâblé ? Un autre pere crie
» à fohlfilsr : là'terfè tremble, la maifon s'écroule, for-
» te{jfiiyé%_ \:. : L é fils Tort ; là terre s’entr’ouvre
» St l’engloutit. Ce pere eft-il coupable ? Le-nôtre
» eft 'dans- le même' cas1. 1 Si fa fille etoit morte en
» couche, fe reprocheroit-ïl fa mort ? Il en auroit
• » plûs'cïéTujet : ce n’étoit pas pour fauver la vie de
>> fa’fille qu’il l’a livrée au péril de l’accouchement,
» & cependant il a plusexpofé fes jours en la ma-
» riant, que ceux de fön fils en le foumettant a
»Yinoculation».
M. de la Condamine • préfente diverfes images
pour rendre plus tenfible à fes lefleurs la différence
des rifques des deux petites véroles. Voici les plus
frappantes :
« Vous êtes obligé de paffer un fleuve profond 8t
» rapide avec un rifque évident de vous noyer fi
» vous le paffez à la nage j on vous offre un bateaiu
» Si vous dites que voiis aimez encore .pfieux ne
» point paffer la riviere, vous n’entendez pas l’état
» de la queftion : vous ne pouvez vous difpenfcr
» de paffer à l’autre bord, on ne vous laiffie que le
» choix du moyen. La petite vérole eft inévitable
» au commun des hommes, quand ils rte font pas
» enlevés par une mort prématurée ; le nombre des
» privilégiés fait à peine une exception, & perfonne
» n’eft fur d’être de ce petit nombre. Quiconque n’a
» point paffé le fleuve eJj dans la cruelle attente de
» 1e voir forcé d’un moment à l’autre à le traverfer«
» Une longue expérience a prouvé que de fept qui
» rifquent de le paffer à la nage, un, & quelque-
» fois deux font emportés par le courant : que de
» ceux qui le paffenten bateau, il n’en périt pas
» un fur trois cens , quelquefois pas un fur mille :
» héfitez-vous encore fur le choix ?
» Tel eft le fort de l’humanité : plus d’un tiers
» de ceux qui naiffent font deftinçs à périr la pre-
» miere année de leur v ie par des maux incurables
» ou du moins inconnus : échappés à ce premier
» danger, le rifque de mourir de la petite vérole
» devient pour eux inévitable ; il fe répand fur tout
» le cours de la v ie , & croît à chaque inftant. G’eft
» une loterie forcée, où nous nous trouvons jnté-
» reffés malgré nous : chacun de nous y a fon billet :
» plus il tarde à fortir de la roue,- plus le danger
» augmente. Il fort à Paris, année commune , qua-
» torze cens billets noirs; dont le,lot eft la mort.
» Que fait-on en pratiquant Yinoculation? On çhan-
» ge les conditions de cette loterie ; on diminue le i » nombre des billets, funeftes : un de fept, & dans
» les climats les plus heureux, un fur dix étoit fatal ;
» il n’en refte plus qu’un fur trois cens, un fur cinq
» cens ; bien-tôt il n’en reftera pas un fur mille ;
» nous emavons déjà des exemples. Tous les fiecles
» à venir envieront au nôtre cette découverte : la
» nature nous décimoit, l’art nous millefime ».
A qui appartient- il de décider la queftion : f i
/’inoculation en général efi utile & falutaire ?
Les Médecins d’un côté, les Théologiens de l’autre,
ont prétendu que Yinoculation étoit de leur compétence.
Effayons de reconnoître & de fixer les
bornes du reffort de ces deux jurifdiflions dans la
queftion préfente. . ;
Parmi ceux qui font tentés, fur le bruit public,
d’éprouver l’efficacité de la petite vérole artificielle;
les uns pour fe déterminer, confultent leur mede-
decin, les autres leur confeffeur. Pour favoir à qui
;l’on doit s’adreffer, il faut fixer l’état de la queftion.
I . , , .
Si Yinoculation n’eût jamais été pratiquée, & fi
quelqu’un propofoit d’en faire le premier effai, cette
idée ne pourroit manquer de paroître finguliere.,
bifarre, révoltante, le fuccès très-douteux, 1 expérience
téméraire & dangereufe. Le médecin faute
de faits pour s’appuyer ne pourroit former que des
çonjeftures vagues, peu propres à raffurer la.conf-
cience délicate d’un théologien charitable qui crain-
droit de Te jouer de la vie des hommes. Peut-être le
médecin & le théologien s’accorderoient-ils à ne
pas même trouver de motifs fuffifans pour tenter cet
effai fur des criminels. Aujourd’hui que nous avons
depuis 40 ans fous les yeux mille & mille expériences,
dans toutes fortes de climats, fur das fuj'ets de
tout
■ tout âge & de toutes fortes de conditions; l’état des
choies a bien changé : mais avant que d’en venir à
la queftion morale, nous en avons une autre à réfoudre.
Lequel des deux court un plus grand rifque de la
vie, ou celui qui attend enpleineJanté que la petite vérole
lefaifijfe, ou celui qui■ la prévient en f i fàifant inoculer?
Cette queftion eft aujourd’hui la première qui
fe préfente, & la plus importante de toutes. C ’eft
d’elle que dépend la réfolution de toutes les autres.
Elle n’appartient, comme on le voit, ni à la Medecine
ni à la Théologie. C ’eft une queftion de fa it , mais
compliquée, & qui ne peut être réfolue que par la
comparaifon d’un grand nombre de faits & d’expériences
, d’oit l’on puiflê tirer la mefure de la plus
grande probabilité. Le rilque de celui qui attend la
petite vérole eft en raifon compofé du rifque d’avoir
un jour cette maladie, & du rifque d’en mourir s’il
en eft attaqué. Ce rifque tout compofé qu’il eft, eft
appréciable , & fa détermination dépend du calcul
des'probabilités, qui , comme on fa it , eft une des
branches de la Géométrie.
Remarquez fur-tout que dans la queftion propo-
fée l’alternative d’attendre ou de prévenir la petite
vérole, n’admet point de milieu. Cette queftion une
fois réfolue par la comparaifon des deux rifques
( & il n’appartient qu’au géomètre de là réfoudre ) ,
fera naître une autre queftion de droit, que nous
n’ofons appeller théologique, favoir, f i de deux rifques
inégaux dont P un efi inévitable, il efi permis de
choifir le moindre ? Il ne paroît pas qu’il foit befoin
deconfulterla Théologie pour répondre. La queftion
deviendroit plus férieufe & plus digne d’un théologien
n\oralifte , s’il s’agiffoit de décider fi de deux
périls dont l'un efi inévitable, la raij'on, la confidence,
la charité chrétienne n'obligent pas à choifir le moindre ,
& jufqu ou s'étend cette obligation ? Si l’affirmative
l’emportoit, & qu’il fût d’ailleurs démontré qu’il y
a plus de rifque en pleine fanté d’attendre-la petite
vérole que de la prévenir par Yinoculation, on voit
que cette opération devroit être non-feulement con-
feillée, mais preferite.
Jufqu’ici nous n’avons confidéré que l’utilité générale
de la méthode : quant à'fon application aux
cas particuliers , le médecin rentreroit dans fes
droits. T el fujet n’a-t-il pas quelque difpofition fâ-
cheufe qui le rende inhabile au bénéfice de Yinoculation?
Quelle eft la faifon -, quel eft le moment les
plus favorables ? Quelles font les préparations &
les précautions nécefiaires aux différens tempéra-
mens ? Sur tous ces points, & fur le traitement de
la maladie ôn doit confulter un médecin qui joigne
l ’expérience à l’habileté. Le théologien & le médecin
auront donc ici chacun leurs ronflions ; mais
dans le cas préfent, je le répété; c’eft au calcul à
leur préparer les voies en fixant le véritable état de
la queftion.
Conféquences des faits établis. Nous terminerons cet
article par les réflexions qui terminent le premier
mémoire de M. de la Condamine, & par les voeux
qu’il fait pour voir s’établir parmi nous Yinoculation,
moyen fi propre à conferver la vie d’un grand nombre
de citoyens.
La prudence vouloit qu’on ne fe livrât pas avec
trop de précipitation à l’appât d’une nouveauté fé-
duifante ; il falloitque le tems donnât de nouvelles
lumières fur fon utilité. Trente ans d’expériences ont
éclairci tous les doutes, & perfeflionné la méthode.
Les liftes des morts de la petite vérole ont diminué
d’un cinquième en Angleterre, depuis que la.pratique
de Yinoculation eft devenue plus commune,
les yeux enfin fe font ouverts. C’eft une vérité qui
n’eft plus conteftée à Londres, que la petite vérole
inoculée eft infiniment moins dangereufe que la na-
Tome VIII, 0
tutelle, & qu’elle en garantit: enfin dans un paysoîi
Tons’eft déchaîné long-tems avec fureur contre cette
operation, il ne lui refte pas Un ennemi qui l’ofe
attaquer a vifage découvert. L ’évidence des faits
& fur-tout la honte de foutenir une càufe dèfefpé-
rée, ont fermé la bouché à fes adverfaires les pius
pafiionnés. Ouvrons les yeux à notre tour ; il eft
tems que nous voyons ce qui fe paffe fi près dé
nous , & que nous en profitions. M 1
Ce que la fable nous raconte du Mirtotaure & dé
ce tribut honteux dont Thefée affranchit les Athéniens
, ne femble-t-il pas de nos jours s’être réalifé
chez les Anglois? Un monftre altéré du fanghumaiii
s en repaiffoit depuis douze fiecles : fur mille citoyens
échappés aux premiers dangers de l ’entance , cVù-
à-dire fur l’élite du genre humain , fou vent il choR
fiffoit deux cent viflimes, & femb^Oit faire graeë
quand il fe bornoit à moins. Déformais il ne lui
reftera que celles qui fe livreront imprudemment â
les atteintes , ou qui ne l’approcheront pas aved
affez de précautions. Une nation favànte , riotré
voifine & notre rivale, n’a pas dédaigné de s’infc
truire chez un peuple ignorant, de l’art de dompter
ce monftre & de rapprivoifer ; elle a fû le tranf-
former en un animal domeftique, qu’elle emploie à
conferver les jours de Ceux même dont il faifoit fa
proie.
Cependant la petite vérole continue parmi nous
fes ravages, & nous en lbmmes les fpeflatcurs tranquilles,
comme fi la France avec plus d’obftacles à
la population, avoit moins befoin d ’habitans que
l’Angleterre. Si nous n’avon^ pas eu la gloire de
donner l’exemple', ayons au moins le courage de
lefuivre. .V n
Il eft prouvé qu’une quatorziethe partie du genre
humain meurt annuellement de la petite vérole. De
vingt mille perfonnes qui meurent par an dans Paris
, cette terrible maladie en emporte donc quatorze
cent vingt-huit. Sept fois ce nombre ou plus de dix
mille , eft donede nombre des malades dé la petite
vérole à Paris, année commune. Si tous les;ans ôn
inoculoit en cette ville dix mille perfonnes, il n’en
mourroit peut-être pas trente, à raifon de trois par
mille ; mais en fuppofant contre toute probabilité
qu’il mourût deux inoculés Tuf ceht, au lieu d’un
fur trois ou quatre cent, ce ne feroit jamais que deux
cent perfonnes qui moiitroient tous les ans de la
petite vérole, au lieu de quatorze cent vingt-huit.
Il eft donc démontré qlie l’établiffement de Yinoculation
fauveroit la vie à douze ou treize cent citoyens
par an dans la feule ville de Paris, & à plus
de vingt-cinq mille perfonnes dans le royaume, fup-
pofé, comme on le préfume, que la capitale con-,
tienne le vingtième des habitans de la France.
Nous lifons avec horreur que dans les fiecles de
ténèbres,& que nous nommons barbares, la fuperf-
tition des druides immoloit aveuglément à fes dieux
des viftimes humaines ; & dans ce fiecle fi poli, fî
plein de lumières que nous appelions le fiecle de la.
Philofophie, nous ne nous appercevons pas que
notre ignorance, nos préjugés, notre indifférence
pour le bien de l’humanité dévouent ftupidement à
la mort chaque année dans la France feule, vingt-
cinq mille fujets qu’il ne tiendroit qu’à nous de conferver
à l’état. Convenons que nous ne fômmes ni
philofophés ni citoyens.
Mais s’il eft vrai que le bien public demande que
Yinoculation s’établiffe, il faut donc faire une loi
pour obliger les peres à inoculer leurs enfans ? Il ne
m’appartient pas de décider cette queftion. A Sparte
où les enfans étoient réputés enfans de l’état., cette
loi fans doute eût été portée ; mais nos moeurs font
aufli différentes de celles de Lacédémone, que le
fiecle de Lycurgue eft loin du nôtre : d’ailleurs la
E E e e e