des harengs, & qu’ils regardent comme les conducteurs
de leurs troupes. On fait que les harengs y\-
vent de petits crabes & d’oeufs de poiffons » parce
que l ’on en a trouvé dans leur eftomac. Ils font
chaque année de longues migrations ,en troupes innombrables
; ils viennent tous du côté du nord. M.
Anderfon préfume qu’ils relient fous les glaces, oh
ils ne font pas expofés à la voracité des gros poiffons
qui ne peuvent pas y refpirer.
" Les harengs fortent du nord au commencement de
l’année, & fe divifent en deux colonnes, dont l’une fe
porte vers l’occident, & arrive au mois de Mars à l’île
d’iflande. La quantité des harengs qui forment cette
Colonne eft prodigieufe jtous les golfes , tous les détroits
& toutes les baies en font remplis ; il y a aulfi un
grand nombre de gros poiffons & d’oifeaux qui les
attendent & qui les Auvent pour s’en nourrir. Cette
colonne fait paroître noire l ’eau de la mer & l’agite ;
On voit, des harengs s’élever .jufqu’à la furface de
l’eau, & s’élancer même en l’air pour éviter l’ennemi
qui lès pourfuit ; ils font fi près les uns des autres
, qu’il fuffit de puifer avec une pelle creufe pour
en prendre beaucoup à-la-fôis. M. Anderfon foup-
çonne qu’une partie de cette colonne peut aller aux
bancs de Terre-neuve , & il ne fait quelle route
prend la partie qui défile le long de la côte occident
taie d e l’Iflande.
« La colonne qui àufortir du nord va du côté de
» l’orient & defcend la mer du nord, étant conii-
» nueilement pourfuivie par lés marfouins, les ca-
» beliaux,. &c. fe divife à une certaine hauteur, &
» fon aile orientale continue fa courfe vers le cap du
» nord \ en defcendant de-là le long de toute la côte
» de la Norvège ; enforte cependant qu’une divifion
»de.cette derniere colonne cotoye la Norvège en
» droiture, jufqu’à cé qu’elle tombe par le détroit
» du Sônd dans la mer Baltique , pendant que.l’au-
» tre divifion étant arrivée a la pointe du nord du
» Jiitiand , fe diyife encore en deux colonnes, dont
» l’une défilant le long de la côte orientale de.Jut-
» Iand, fé réunit promptement par les Belts avec
» celle.de la mer Baltique, pendant que l’autre def-
» Cendant à l’occident de ce même pais, & côtoyant
» enfuite leSlevifwick, le Holftein, l’évêché de Brè-
» me & la Frife, ou cependant on n’en fait point
» de commerce, fe jette par le T exel & le V lie dans
» le Suderfée, & l’ayant parcouru s’en retourne
» dans la mer du Nord'pour achever fa grande rou-
» te. La fécondé grande divifion qui fe détourne
» vers l’occident, & qui eft aujourd’hui la plus forte,
» s’en va toujours accompagnée des marfouins , des
» requins, des cabeliaux , &c. droit aux îles de
» Hittland & au x Orcades, oh les pêcheurs de Hol-
» lande ne manquent pas de les attendre au tems
» nommé, de-là vers l’Ecoffe oh elle fe divife de
» nouveau en deux colonnes, dont l’une après être
» defcendue le long de la côte orientale de l’Ecoffe,
» fait le tour de l’Angleterre, en détachant néan-
» moins en chemin des troupes confidérables aux
» portes des Frifons, des Hollandois, des Zéelan-
» dois, des Brabançons, des Flamands & des Fran-
» çois. L’autre colonne, tombe en partage aux Ecof-
» fois du coté de l’occident, & aux Irlandois, dont
» l’île efl alors environnée de tous côtés de harengs,
» quoique ces deux nations n’en faffent d’autre ufa-
» ge que de le manger frais, & de profiter par leur
» moyen autant qu’ils peuvent des gros poiffons qui
» leur donnent la chaffe. Toutes ces divifions raen-
» tionnées dans la deuxieme grande colonne s’étant
» à-la-fin réunies dans la Manche, le relie de harengs
» échappés aux filets des Pêcheurs & à la gourman-
» dîfe des poiffons & des oifeaux de proie, forme
» encore une colonne prodigieufe, fe jette dans l’O-
» céan atlantique, & comme on’prétend commit--
» nément, s’y perd, ou pour mieux dire, ne fémon-
» tre plus fur les côtes, en fuyant, félon toute ap-
» parence , les climats chauds , & en regagnant
» promptement le nord qui elt fon domicile chéri
» &C fon lieu natal ». Voye{ l'hijl. natur. de l'IJlande
& du Groenland, par M. Anderfon.
Lorfque les harengs arrivent dans toutes ces mers ,
ils font fi remplis d’oeufs, que l’on peut dire que
chaque poiffon en amene dix mille avec lui ; ils jet-,
térit leurs oeufs fur les côtes ; car longrtems avant
de les. quitter ils n’ont plus d’oeufs; Le banc de ha-
reng qui vient vers les côtes d’Angleterre à-peu près
au commencement de Juin , en comprend un nom-
bré fi prodigieux, qu’il furpaffe tous les nombres
connus ; ce banc occupe pour le moins autant d’ef-
pace en largeur que toute la longueur de la Grande-
Bretagne & de l’Irlande.. « Quoique les Pêcheurs
» prennent une très-grande quantité de harengs, on
» a calculé que la proportion du nombre des harengs
» pris par tous les Pêcheurs dans leur route, efl au
» nombre de toute la troupe lorfqu’elle arrive du
» Nord, comme un efl à un million ; & il y a lieu
» dé croire que les gros poiffons tels que les mar-
» fouins , les chiens de mer, &c. en prennent plus
» que tous les Pêcheurs enfemble ». Lorfque les harengs
commencent à jetter leur frai , on ceffe de les
pêcher ; on ne les pourfuit plus, & on les perd même
de vû e, puifqu’ils fe plongent dans les abyfmes de
la mer, lans que l’on ait pû découvrir ce qu’ils deviennent.
Vyye^ l'Atlas de mer & de Commerce, imprimé
a Londres en anglois j en iyz8.
Il me paroît que les harengs quittent le Nord pour
aller dans un climat tempéré oh leurs oeufs puiffent
éclorre : comme ils font leur route en très-grand,
nombre, ils occupent un grand efpaçe dans la mer,
& dès qu’ils rencontrent la terre, les uns fe portent
à droite, & les autres à gauche ; ils forment ainfi
plufieurs colonnes ; elles fe divifent encore à mefure
qu’ils fe trouvent de nouveaux obflacles qui les empêchent
d’aller tous enfemble. Enfin, lorfque les
petits font éclos & en état de fuivre les grands, ils
retournent tous dans les mers d’oh ils font venus. m ■ ■ ■ ■ ■ ■ HARENG pêche du, ( pêche marine. ) La pêche du
hareng, dit M. de Voltaire, & l’art de le faler , ne
paroiffent pas un objet bien important dans l’hifloire
: du monde ; c’efl-Ià cependant, ajoûte-t-il, le fondement
de la grandeur d’Amflerdam en particulier ;
& pour dire quelque chofe de plus , ce qui a fait
d’un pays autrefois méprifé &ftérile , une puiffance
riche & refpeélable.
Ce font fans doute les Hollandois, les Ecoffois,
les Danois, les Norvégiens, qui ont les premiers été
en poffeflïon de l’art de pêcher le hareng, puifqu’on
trouve ce poiffon principalement dans les mers du
Nord, que fon paffage efl régulier, en troupe im-
menfe, par éclairs ; & qu’enfin le tems dans lequel
on ne le pêche point, efl appelle des gens de mer,
morte-faifon.
Onprétend que cette pêche acommencé en 11S3 ;
on la faifoit alors dans le détroit du Sund, entre les
îles de Schoonen & de Séeland ; mais faute de pouvoir
remonter à ces fiecles reculés, j’avois cherché
j du-moins plus près de nous, quelque monument hi-
llorique qui parlât de cette pêche, & je defefperois
du fucçès, lorfqu’enfin j’ai trouvé pour la confo-
lation de mes peines, dans le X V I . tome de L'Académie
des Infcript. page z z 5 , un paffage fort curieux
fur cet article. Il elt tiré du fonge du vieux pèlerin,
ouvrage, comme on fait, de Philippe de Maizieres,
qui l’écrivit en 1389 , fous notre roi Charles V I ,
dont il avoit été gouverneur. Il fait faite dans ce
livre , que le cardinal du Perron ellimoit tant, des
voyages à la reine Vérité ; ôc en même tems il y
joint quelquefois ce qu’il avoit vu lui-même dans
les liens. Là il raconte entre autres chofes, qu’allant
en Pruffe par mer, il fut témoin de la pêche des
harengs , dont il pourfuit ainfi la defcription, chapitre
x jx .
« Entre le royaume de Norvège & de Dane-
» mark, il y a un bras de la grande mer qui départ
» l’île & royaume de Norvegue de la terre-ferme,
» & du royaume de D anemarck, lequel bras de mer
» par-tout étoit étroit dure quinze lieues, & n’a
» ledit bras*dc largeur qu?une lieue ou deux ; &
» comme Dieu l’a ordonné, fon ancelle nature
» ouvrant deux mois de l’an & non plus, c’eft-à-
» favoir en Septembre & Oélobre , le hareng fait for)
» paffage de l’une mer en l’autre parmi l’étroit, en
» fi grant quantité, que c’ell une grant merveille ,
» & tant y en paffe en ces deux mois, que en plu-
» fieurs lieux en ce bras de quinze lieues de lon g ,
» on les pourroit tailler à l’épée ; or vient l’autre
» merveille, car de ancienne coutume chacun an ,
» les nefs & bafteaux de toute l’Allemagne & de la
» Pruffe , s’affemblent à grant oft audit dellroit de
» mer deffufdit, ès-deux mois deffufdits , pour pren-
» dre le hèrènt; & elt commune renommée là , qu’ils >
» font quarante mille bafteaux qui ne font autre
» chofe, ès-deux mois que pefcher le lièrent ; ôc en
» chacun bafteau du-moins y a f i x perfonnes, & en
» plufieurs fept, huit, ou dix ; & en outre les quà-
» rante mille bafteaux, y a cinq cens groffes &
» moyennes nefs , qui ne font autre choie que re-
» cueillir &falle r en cafques de hareng, les harengs
» que les quarante mille bafteaux prendent, & ont
» en coutume que les hommes de tous ces navires,
» ès-deux mois fe logent fur la rive de mer, en loges
» & cabars, qu’ils font de bois & de rainffeaux , au
» long de quinze lieues, par-devers le royaume de
» Norvegue.
» Ils empliffent les groffès nefs de hèrens quaques ;
» & au chief des deux mois, huit jours ou environ
» après , en y trouveroit plus une barque , ne hèreng
» en tout l’étroit ; fi a jéhan (apparemment grant )
» bataille de gent pour prendre ce petit poiffon : car
» qui bien les veut nombrer, en y trouvera plus dé
» trois cents mille hommes, qui ne font autre chofe
» en deux mois, que prendre le hèrent. Et parce que
» je , pelerin vieil & ufé , jadis allant en Pruffe par
y> mer en une groffe nave, paffai du long du bras de
» mer fufdit, par beau tems, & en la faifon fufdit,
» que le hèrent fe prent, & vits lefdites barques ou
» bafteaux, & nefs groffes : ai mangé du hèrent en
» allant, que les Pefcheurs nous donnèrent, lefquels
» & autres gens du pays me certifièrent merveille,
» pour deux caufes ; l’une pour reconnoître la grâce
» que Dieu a fait à la Chrétienté ; c’eft-à-favoir de
t> l’abondance du héren, par lequel toute Allemai-
» gne, France, Angleterre, & plufieurs autres pays
» font repus en Carefme ».
Voilà donc une époque sûre de grande pêche réglée
du hareng que l’on faifoit dans la mer du Nord
avant 13 89; mais bien-tôt les Hollandois connurent
l’art de l’apprêter , de.le vuider de fes breuilles
ou entrailles, de le trier, de l’arranger dans les bar-
xils ou de l’encaquer, de le faler, & de le forer,
non-feulement plus favamment qu’on ne le faifoit
en Allemagne lors du paffage de Philippe de Mai-
zieres , mais mieux encore que les autres nations ne
l’ont fait depuis.
La maniéré induftrieufe de les encaquer & de les
faler pour le goût, la durée, & la perfeûion , fut
trouvée en 1397, par Guillaume Buckelsz, natif de
Biervliêl dans la Flandre hollandoife. Sa mémoire
s’eft à jamais rendue recommandable par cette utile
invention ; on en parloit encore tant fous le régné
de Charles V , que cet empereur voyageant dans les
pays-bas, fe rendit à Bier-vliél avec la reine de Hongrie
fa foeur, pour honorer de leur préfence le tombeau
de l’illuftre encaqueur de harengs.
Maniéré d'apprêter & faler le hareng. Auffi-tôt que
le hareng eft hors de la mer, le caqueur lui coupe la
gorge, en tire les entrailles, laiffe les laites & les
oeufs, les lave en eau-douce , & lui donne la fauffe,
ou le met dans une cuve pleine d’une forte faumure
d’eau-douce & de fel marin, où il demeure douze à
quinze heures. Au fortir de la fauffe, on le varaude ;
fuffifamment varaude, on le caque bien couvert au
fond & deffus d’une couche de fel.
Voilà ce qu’on appelle le hareng-blanc ; on laiffe
celui qui doit être fors, le double de tems dans là
fauffe ; au fortir de la fauffe, on le brochette ou enr
.file par la tête à de venue s broches de bois qu’on
appelle aîné ; on le pend dans des efpeces de cheminées
faites exprès, qu’on nomme roujfables; on fait
deffousun petit feu de menu bois qu’on ménage dé
maniéré qu’il donne beaucoup de fumée & peu de
flamme. Il refte dans le rouffable jufqu’à ce qu’il foit
fuffifamment fors & fumé , ce qui fe fait ordinairement
en vingt-quatre heures.: on en peut forer jufqu’à
dix milliers à-la-fois.
La pêche de ce poiffon fe fait aujourd’hui ordinairement
en deux faifons ; l’une au printems le long
des côtes d’Ecoffe, & l’autre en automne le long des
côtes d’Angleterre au nord de la Tamife. Il fe pêche
aufli d’excellens harengs dans le Zuyder-Zée, entre
le Texel & Amiterdam, mais il y en a peu ; néanmoins
pendant la guerre que les Hollandois foûtin-
rent contre l’Angleterre fous Charles I I , la pêché
du Nord ayant ceffé, il vint tant de harengs dans le
Zuyder-Zée, que quelques pêcheurs ên prirent dans
l’efpace d’un mois , jufqu’à huit cents lafts, qui font
environ quatre-vingt fois cent milliers. Ce poiffon
fi fécond meurt auffi-tôt qu’il eft hors de l’eau, de-
forte qu’il eft rare d’en voir de vivans.
On employé pour cette pêche de petits bâtimens,'
que l’on appelle en France barques ou bateaux ,
qu’en Hollande on nomme bûches oujlibots.
Les bûches dont les Hollandois le fervent à ce
fujet, font communément du port de quarante-huit
à foixante tonneaux ; leur équipage confifte pour
chaque bûche en quatre petits calons pefans enfemble
quatre mille livres, avec quatre pierriers, huit
boëtes, fixfufils, huit piques longues, & huit courtes.
II n’eft pas permis de faire fortir des ports de Hollande
aucune bûche pour la pêche du hareng, qu’elle
ne foit efeortée d’un convoi, ou du-moins qu'il n’y
en ait un nombre fuffifant pour compofer enfemble
dix-huit ou vingt pièces de petits canons , & douze
pierriers. Alors elles doivent aller de conferve, c’eft-
à-dire de flotte & de compagnie, fans pourtant qu’elles
puiffent prendre fous leur efeorte aucun bâtiment
non armé.
Les conventions verbales qui fe font pour la conferve
, ont autant de force , que fi elles avoient été
faites par écrit. Il faut encore obferver, que chaque
bâtiment de la conferve, doit avoir des munitions
fuffifantes de poudre, de balles, & de mitrailles ,
pour.tirer au-moins feizé coups.
Lorfque le tems fe trouve beau, & que quelque
bûche veut faire la pêche, il faut que le pilote hiffe
fon artimon ; & lés bûches qui ne pêchent point, ne
doivent pas fe mêler avec celles qui pêchent, il faut
qu’elles le tiennent à la voile.
Il y a plufieurs autres réglemens de l ’amirauté de
Hollande, pour la pêche du hareng, qu’ont imité les
diverfes nations qui font ce commerce, avec les
changemens & augmentations qui leur corivenoient.
Nous n’entrerons point dans ce détail, qui nous me-
ncroit trop loin ; il vaut mieux parler du profit que
les Hollandois en particulier retirent de cette pêche.