7 5 6 I N O M. Jurin , dofteur en Medecine , fecrétaire de la
fociété royale, recueillit avec foin , & publia pendant
plufieurs années, dans les tranfactions philofo-
phiques, & d’une maniéré fort impartiale, le réful-
tat des expériences de là nouvelle méthode, faites
tant dans la Grande-Bretagne que dans la Nouvelle-
Angleterre. Rebuté par les contradiftions qu’il ef-
fuya , il fe déchargea fur M. Scheuchzer de la continuation
de ce tra vail, qui confifte dans une nom-
breufe colleftion de faits recueillis en difFérens lieux,
atteftés par des témoins connus & foigneufement
difçutés dans de longuesJiftes à’inoculés, ainfi que
de morts & de malades de la petite vérole naturelle,
& dans dés comparaifons raifonnées des unes & des
autres. Ces pièces authentiques & le parallèle qu’on
peut faire par leur moyen des effets de l’une & de
l’autre petite vérole , peuvent feules fournir des
principes fixes, & .fervir.de guide dans une recher-
che.où Ja feule théorie poùrroit nous égarer. Il n’eft
pas encore tems d’en tirer les conféquences.
, L’écrit déjà cité de Timoni fur l'inoculation, avoit
été : apporté en France en 1718 ou 1719 par le
chevalier Sutton, précédemment ambaffadeûr d’Angleterre
à la P orte, & la traduftion en avoit été lue
au cpnfeifde régence. Mais les fuccès de là nouvelle
méthode ne furent biem connus parmi nous qu’en
* 71-5 9 Par une lettre imprimée que M. D odart, premier
médecin du Roi, fe fit adreffer par M. de la
C o lle , mede.cin françois, qui arrivoit de Londres.
Outre un extrait fort bien fait des relations & cal-,
culs publiés:jufqu’alors en Angleterre, cette lettre
faifoitmention d’une cOnfultation de neuf dofteurs
de Sorbonne en faveur des expériences de Yinocula-
tion que l’auteur propofoit défaire à Paris. L’aveu
de M. Dodart, le fuffrage deMM. Chirac,' Helvétius
& Aftruc, cités dans la même lettre, la thefe
de M. Boyer, aujourd’hui doyen de la faculté, fou-
tenue a Montpellier dès 1 7 1 7 , feroient plus que
fuffifans pour juïlifier les Médecins françois du reproche
qu’on leur a fait de s’être de tout tems oppo-
fes à 1 inoculation , quand on n’auroit pas vu depuis
ce tems M, Senac premier médecin, M. Falconet
medecin-corrfiiltant du R o i, le célébré M. Vernage,
M. Lieutaud.médecin de Mgr. le dite de Bourgogne,
& plulieurs autres, donner à cette méthode des témoignages
publics de leur approbation. De quel
droit attribueroit-on à tout un corps l’opinion de
quelques-uns de fes membres, qui fe croient obligés
de proferire fans examen tout ce qui leur paroît
nouveau ?
Quelques excès commis par de jeunes gens récemment
inoculés, qui payèrent leur imprudence de
leur vie en 1723 , fournirent un prétexte fpécieux
aux clameurs des ennemis de la nouvelle méthode,
dont elles arrêtèrent les progrès à Londres & dans
les colonies angloifes. Le bruit qui s’en répandit en
France & la mort de M. le duc d’Orléans régent
cette même année, empêchèrent les expériences
qu on fe propofoit de faire. A peine ce prince eut-il
les yeux fermés qu’on foutint dans les écoles de
Medecine de Paris une thèfe remplie d’inveftives 1
contre Yinoculation & fes partifans, & dont la con-
clufion étoit purement théologique : Ergo variolas
inoculare nef as. Bien tôt après, M. Hecquet, ennemi
jure de toute nouveauté en Medecine, publia
une differtation anonyme , intitulée : Raifons de
doute contre Vinoculation. Paris 1724. Sous ce titre'
fi modéré, l’auteur fe déchaînoit avec aveuglement
contre la nouvelle pratique ; fon refpeft pour l ’antiquité
eft fon plus fort argument ; & fon plus grand
grief contre l’opération qu’il proferit, eft qu'elle ne ref-
femble a rien en Medecine , mais bien plutôt, ajoute-t-il,
a la magie. La relation des fuccès de la nouvelle méthode
par M. Jurin, étoit la meilleure réponfe qu’on
I N O
put faire aux déclamations de M. Hecquet. La traduction
de Pouvrage anglois par M.Noguet, médecin
de Paris, ne parut qu’en 1725 ; elle étoit précédée
d’une apologie de l'inoculation. Le journal des
Savans n’en donna qu’un extrait très-fuperfîciel &
peu favorable, & ne parla qu’avec dédain & en
paffant, cétte même année, delalettre.de M. de la
C o lle , publiée depuis deux ans. Celui-ci étant mort
à-peu-près en ce tems, & M. Noguet ayant été placé
médecin du roi à Saint-Domingue , où il eft encore
Yinoculation fut oubliée en France.
Cependant elle faifoit de nouvelles conquêtes en
Afie. Une lettre du P. Dèntrecolles, millionnaire
jéfuite à Pékin, imprimée dans le recueil des lettres
édifiantes & curieules, tomeXX. nous apprend qu’en
1724 l’empereur de la Chine envoya des médecins
de fort palais femer la petite vérole artificielle en
Tartane où la naturelle faifoit’de grands ravages
& qu’ils revinrent chargés de préfens. M. de la Condamine
rapporte, dans fon voyage de la riviere des
Amazones , que vers ce même tems un carme portugais
, millionnaire fur les bords de cette riviere,
voyant périr tous fes indiens d’ujie petite vérole épidémique
, prefque toujours mortelle pour ces peuples
, eut recours â l’infertion, qu’il ne connoiffoit
que par les gazettes, & fauva le relie de fon troupeau.
Son exemple fut fuivi non-moins heureufe-
ment par un de fes confrères, millionnaire de Rio-
negro, & par un chirurgien de la colonie portugaife
du Para , dont quelques habitans ont eu depuis recours
au même expédient dans une autre épidémie.
En 172-8, M. de Voltaire, dans une de fes lettres
fur les Anglois, traita de Yinoculation en peu de
mots, avec l’énergie & l’agrément que fa plume répand
fur tout ce qu’elle effleure. Le moment n’étoit
pas favorable : cette opération étoit alors négligée,
même en Angleterre.
Une épidémie violente en releva l’nfage dans la
Caroline en 1738, & bien-tôt dans la Grande-Bretagne
, où elle a marché depuis à pas de géant.
En 1746, des citoyens zélés de Londres firent une
de cès affociations qui ne peuvent avoir pour but
que l’amour, du bien public, & dont jufqu’ici l’Angleterre
feule a donné l’exemple. Ils fondèrent à leurs
frais une maifon de charité pour traiter les pauvres
de la petite vérole naturelle, & pour inoculer ceux
qui s’offriroient à cette opération. Depuis cette fondation
, & depuis qu’on inocule les enfans-trouvés
de cette capitale, les avantages de cette pratique
font devenus fi palpables, les fuccès de M. Ramby,
premier chirurgien de S. M. B. & de plulieurs célébrés
inoculateurs^ fi nombreux & fi connus, que cette
méthode n’a plus aucun contradicteur à Londres
parmi lek gens de l’art.
En 1748, M.Tronchin , infpefteur du collège des
Médecins d’Amllerdam , introduifit Yinoculation en
Hollande, & commença par la pratiquer fur fon
propre fils. Il en recommanda l’ufage à Genève fa
patrie, où elle fut adoptée en 1750. Deux des premiers
magiftrats de cette république en donnèrent
l’exemple fur leurs filles, âgées de feize ans. Leurs
concitoyens les imitèrent, & depuis ce tems la méthode
de l’infertion y devint commune. Le public
fut inftruit de fes fuccès en 1725 par le traité de
M. Butini, médecin de Montpellier aggrégé à Genève
; & en 1753 , par un mémoire de M, Guiot dans
lè fécond tome de l'académie de Chirurgie. Cette même
année, au mois d’oftobre, M. Gelée, dofteur en
Medecine, foutint à Caen une thèfe en faveur de la
petite vérole artificielle.
Ce fut auffi en l’année 1750 que Yinoculation pénétra
dans le coeur de l’Italie. Il régnoit alors une
violente épidémie fur la frontière de Tofcane & de
l’état eccléûaftique. T ous les enfans y fucçomboient:
I N O Le dofteur Pevcrini, médecin de Citerna hafarda
Yinoculation fur une petite fille dé cinq ans prefque
éthique, couverte de g ale, nourrie par une femme
infeftée du mal vénérien. La matière avoit été prife
d’une petite vérole confluente, dont le malade étoit
mort. La petite fille guérit. Quatre cens efifans du
même canton furértt préfervés par le même moyen.
Leurs meres les inoculoient pendant leur fommeil, à
l’infû de leurs peres, avec une épingle trempée dans
le pus d’un bouton varioleux bien mûr. Plufieurs
confrères du dofteur Peverini, enrr’autres le dodeur
Lunadei, aujourd’hui premier médecin d’Urbin,
imitèrent fon exemple», St ce dernier inocula fes
propres enfans.
. Au commencement de 1754, le dofteur Kirkpa*
trik mit au jour à Londres fon analyfe de Vinoculatiort.
Le 24 Avril fuivant, M. de la Condamine , par
la ledure qu’il fit à Faffemblée publique de l’académie
des Sciences de Paris, d’un mémoire fur cette
matière, la tira de l’oubli profond où elle fembloit
plongée à Paris depuis trente ans.
A-peu-près dans le même tems , M. Chais, mi-
niftre évangélique à la,Haye, donna fon effai apologétique
de Yinoculation^ imprimé à Harlem ; & l’automne
fuivante, M. Tilfot, de la faculté de Montpellier
, publia fon inoculation jujlifiée.
. A Laufanne, quatre ouvrages fur le même fujet,
dont, trois en françois, dans le cours.de quelques
mois, & leurs extraits répandus par la yoie des jour-
naux, réveillèrent enfin Se fixèrent l’attention publique
fur un objet important au bien de l’humanité.
L’inoculation devint en Fiance la nouvelle du
jour. Elle acquit des partifans; on foutint la même
année une thèfe en fa faveur à Paris fur les mêmes
bancs.où elle avoit été fi maltraitée en 1723.
Le 30 Oftobre 1754,deux princefles de la maifon
royale-éledorale de Hannovre furent inoculées à Londres.
Au mois de Novembre fuivant le dodeur Ma-
t y , aujourd’hui garde de la bibliothèque du cabinet
britannique, donna, en s’inoculant lui-même, une
nouvelle preuve que l’infertion ne produit aucun
effet fur ceux qui ont eu la petite vérole naturellement.
La dodrine de Yinoculation n’a voit encore été
traitée en France que fpéculativement & par maniéré
de çontroverle ; Se perfonne jufqu’alors n’a-
voit fait ufage du nouveau préfervatif. Le premier
françois qui lui confia volontairement fa vie , fut
M. le chevalier de Chatelus , à l’âge de vingt-deux
ans. Il fe fit inoculer au mois de Mai 175 5. M. T e non,
maître en Chirurgie , aujourd’hui de l’académie
des Sciences, fit l’opération. Elle avoit été précédée
& fut iuivie de quelques autres, que M. le
chevalier Turgot, par zèle pour le bien de l’humanité,
avoit fait faire par le même chirurgien fur
des enfans du- peuple, du confentement de leurs
pare ns.
Peu de tems après, M. Hofty, dodeur-régent de
la faculté de Paris, revint de LondreS, où il étoit
allé muni de recommandations du mimffre de Fran-
’ c e , pour s’inflruire par lui-même des détails de la
préparation &t du traitement des inoculés. Sa relation
, publiée dans plufieurs journaux littéraires ^
Contenoit un grand nombre de faits nouveaux, propres
à diffiper tous les doutes. Ce fut le moment où
les critiques commencèrent à s’é lever, la plupart
fondées fur des faits légèrement hafardés, & depuis
démentis par divers écrits & par le certificat public
du college des Médecins de Londres.
On continua d’inoculer à Paris pendant l’automne
de 1755 ; & déjà l’on parloit d’introduire cet ufage
dans l’hôpital des enfans-trouvés , feul moyen de
le rendre commun, & d’en faire partgger le fruit au
I N O 7 5 7
peuple, Iorfouë fes progrès rtaiffans fuièrtt arrêtés
par la mort de la plus jeune de deux foeurs qui fu-
birent cette opération',; ateiderit doutant plus malheureux
qu’on l’auroi't dû prévoir, & qu’il- ‘eut pour
catifc une circo'hfiance dont YinoçtclattUr "ne frit paS
inflruit. Cependant le 13 Novembre fuivant on foutint
même à Paris'une noilvefle thèfe de médecine;
en faVeur de Yinoculation. '
AU commencement de l’année fui Vhnte 1756, M.
Tronchin fut appelle de Genèvè'pâr M. le duc
d’Orléans, qui fe détermina de fon propre riiOuve»-
ment à faire inoculer les princes fes 'éft'fahsi; L’opération
faite le 12 Mars fut très-héïtrenfe. Cet exèim-
ple illuftre fut fuivi d’un grand nombre d’autres *
& fur des fujets de la prehliere diflinftioû, tant en»-
fans qu adultes. Trois'd’âinès entr’aritrës qtii aVoient
un double avantage à recueillir de Yihoéulation ,
furent les premières à en profiter; elles firent un
grand nombre de profélytes dans leur fexe. Ce fut
alors que les anïuinoculijles redoublèrent leurs' cia»-
meurs ; l’un dans une thèfe remplie dé perfônnali1-
tés indécentes ; l’autre dans un ouvrage par lequel
il déféroit férieufèttieïit l’inocülatfoh aux~évêquès-,
curés & magiftrats du royaume. Là-thèfe fut defa4-
vouée par le cenfe.ur de la faculté; là déhôneia**
tion ne parut que ridicule.
La nouvelle méthode a pefcé dahs quelques provinces
de France , fur-tout à Nîmes te à Lyon. Il y
a eu plus de cent perfonnes inôcalées darts Cêtte der»-
hiére ville , dont'aucune n’eft morte. Mais les pro»-
grès de Yinbculation en France né font rien en coin*-
paraifon de ceux qu’etlè â faits dans le Nord, depuis
que lé mémoire de M. de la Condamine, traduit dans
la plupart des langues de l’Europe, a porté la com-
viûiondans les elprits. On inocule k Copenhague,
on établit des hôpitaux d’inoculation en Suede, Sè
cette pratique n’y a pas plus de cohtradifreurs qu’ëh
Angleterre ; elle eft aujourd’hui fort répandue en
Weftphàlie & dans tout l’éleftorât de Hannovre.
Elle commence à gagner à Berlin depuis qu’otl a reconnu
par expérience que la petite vérole naturelle
n’y eft pas toujours auffi bénigne qu’on le fuppofoit.
Dès 1753 la même méthode avoir pâffé de Genève
bn Suifle, où M. de Haller & MM. Bernoulli l’ont
accréditée par les exemples qu’ils en ont donnés fur
leurs familles , & M. Tiftbt par fes écrits. M. de
la Condamine dans fon voyage d’Italie en ,
fit de nouveaux profélytes à Yinoculation. C ’eft à
fa perfuafion que M. le comte de Richecour, préfi-
deni du confeil de Tofcane, l’établit la même année
dans l’hôpital de Sienne , & qu’on en fit à Flé1-
reùce des expériences que le D. Targioni a rendu
publiques ; elle a depuis été pratiquée avec fuccès à
Lucques. Les négocians anglois Fàvoient portée de»-
puis long-teffis à Livourne, mais la pratique en étoit
demeurée renfermée dans lefein de leurs familles.
Jufqu’en 1757 aucun auteur italien n’avoit écrit
contre la petite vérole artificielle. Cette année elle
fut attaquée à Rome par deux differtations italien*
nés, morales & théologiques, d’un auteur anonyme;
& à Vienne en Autriche par quatre qttèftions latines
de M. de Haen, medècm hollandois, dofteur en
l’univerfité de Vienne. Elles ont été réimprimées St
traduites en françois à Paris en 1758 , à la fuite du
tableau de la petite vêrdîe, nouvelle édition d’uné
differtation publiée dès 1757 par un médecin de là
faculté de Paris, qui prétend avoir pratiqué Yinb-c
culation très-heureufement, & quiTa depuis a ban*
donnée fur des oiiis-dire, la .pKïp'aft convaincus de
fauffëté.
Au mors de Novembre 1758, M. de la Condamna
né lut à Faffemblée publique de Facadémie des Scien»
Ces un fécond mémoire , depuis imprimé à Genève;
comprenant la fuite de l’hiftoire & du progrès dé