e u , qu’étant abordé à Hifpaniola, il tè crut dans
le Zipangride Marco Paolo.
Cependant, pendant qu’il ajoutait un nouveau
monde à la monarchie d’Efpagne, les Portugais de
leur côté s’aggrandiffoient avec le même bonheur
dans les Indes orientales. La découverte du Japon
leur eft due, 6c ce fut l’effet d’un naufrage. En
1541, lorfque Martin Alphonfe de Souza étoit vice-
roi des Indes orientales, trois portugais, Antoine
de Mota, François Zeimoto, & Antoine Peixota,
dont les noms méritoient de paffer à ia poftérité ,
furent jettes par une tempête fur les côtes du Japon
; ilsétoient à bord d’une jonque chargée de cuir,
qui alloit de Siam à la Chine : voilà l’origine de la
première connpiffance qui fe répandit du Japon en
Europe.
Le gouvernement du Japon a été pendant deux
mille quatre cent ans affez femblable à celui du
calif des Mufulmans, & de Rome moderne. Les
chefs de la religion ont été, chez les Japonnois , les
chefs de l’empire plus long-tems qu’en aucune autre
nation du monde. La fucceflîon de leurs pontifes
rois , & de leurs pontifes reines ( car dans ce pays-
là les femmes ne font point exclues du trône pontifical
) remonte 660 ans avant notre ere vulgaire.
Mais les princes féculiers s’étant rendus inlènfi-
blement indépendants 6c fouverains dans les provinces
, dont l’empereur eccléfiaftique leur avoit
donné l’adminiflration , la fortune difpofa de tout
l’empire en faveur d’un homme courageux, & d’une
habileté consommée , qui d’une condition baffe &
fervile, devint un des plus puiffans monarques de
l’univers ; on l’appella Taïco.
Il ne détruifit, en montant fur le trône, ni le nom,
ni la race des pontifes , dont il envahit le pouvoir ,
mais depuis lor^Xempereur eccléfiaftique, nommé
Dairi ou Dairofne fut plus qu’une idole révérée,
avec l’apanage impofant d’une cour magnifique ;
■ yoyei D a ir o . Ce que les Turcs ont fait à Bagdat,
ce queles Allemans ont voulu faire à Rome, Taïco
l’a fait au Japon, 6c fes fucceffeurs l’ont confirmé..
Ce fut fur la fin du xvj fiecle, vers l’an 1583
de J. C . qu’arriva cette révolution. Taïco inftruit
de l’état de l’empire , & des vues ambitieufes des
princes & des grands, qui avoient fi longtems pris
les armes les uns contre les autres, trouva le fecret
de les abaiffer & de les dompter. Ils font aujourd’hui
tellement dans la dépendance duKubo, c’ eft-à-dire,
de l’empereur féculier, qu’il peut les difgracier,
les e x iler , les dépouiller de leurs poffefîions, 6c
les faire mourir quand il lui plaît, fans en rendre
compte à perfonne. Il ne leur eft pas permis de
demeurer plus de fix mois dans leurs biens héréditaires;
il faut qu’ils paffent les autres fix mois dans
la capitale, où l’on garde leurs femmes & leurs en-
fans pour gage de leur fidélité. Les plus grandes
terres de la couronne font gouvernées par des lieu-
tenans, 6c par des receveurs ; tous les revenus
de ces terres doivent être portés dans les coffres de
l’empire ; il femble que quelques miniftres qu’on a
eus en Europe ayent été inftruits par le grand Taïco.
Ce prince, pour mettre enfuite fori autorité à
couvert de la fureur du peuple, qui fortoit des
guerres civiles, fit un nouveau corps de lois, fi ri-
goureufes, qu’elles ne femblent pas être écrites ,
comme celles de Dracon, avec de l’encre, mais
avec du fang. Elles ne parlent que de peines corporelles
, ou de m ort, fans efpoir de pardon , ni de
furféance pour toutes les contraventions faites aux
ordonnances de l’empereur. Il eft v ra i, dit M. de
Montefquieu, que le caraâere étonnant de ce peuple
opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre . 6c
qui brave tous les périls & tous les malheurs, fem-
ble à la première v u e , abfoudre ce légiflateur de
l’atrocité de fes lois ; mais des gens,, qui naturellement
méprifent la m ort, & qui s’ouvrent le ventre
par la moindre fantaifie, font-ils corrigés ou arrêtés
par la vue des fupplices , & ne peuvent-ils pas
s’y familiarifer ?
En même tems que l’empereur, dont je parle, tâ-
choitpar des lois atroces, de pourvoir à la tran-
quilité de l’état, il ne changea rien aux diverfes religions
établies de tems immémorial, dans le pays ,
6c laiffa à tous fès fujets la liberté de penfer comme
ils voudroient fur cette matière.
Entre ces religions, celle qui eft la plus étendue
au Japon y admet des récompenfes 6c des peines
après la v ie , & même celle de Sinto qui a tant de
feélateurs., reconnoît des lieux de délices pour les
gens de bien,, quoiqu’elle n’admette point de lieu
de tourmens pour les méchans ; mais ces deux fe&es
s’accordent dans la morale. Leur principaux com-
mandemens qu’ils appellent divins, font les nôtres;
le menfonge , l’incontinence, le larcin, le meurtre ,
font défendus ; c’eft la loi naturelle réduite en préceptes
pofitifs. Ils y ajoutent le précepte de la tempérance
, qui défend jufqu’aux liqueurs fortes, de
quelque nature qu’elles foient, 6c ils étendent1 la
défenle du meurtre jufqu’aux animaux ; Siaka qui
leur donna cette lo i, vivoit environ mille ans avant
notre ere vulgaire. Ils ne different donc de nous en
morale, que dans le précepte d’épargner les bêtes ,
& cette différence n’eft pas à leur honte. Il eft vrai
qu’ils ont beaucoup de fables dans leur religion , en
quoi ils reffemblent à tous les peuples, & à nous
en particulier , qui n’avons connu que des fav
blés groflieres avant le Chriftianifme.
La nature humaine a établi d’autres reffemblances
entre ces peuples &nous. Ils ont la fuperftitiondes
fortileges que nous avons eu fi Iong-tems.On retrouve
chez eux les pèlerinages, les épreuves de feu, qui fai-
foient autrefois une partie de notre jurifprudence ;
enfin ils placent leurs grands hommes dans le ciel ,
comme les Grecs & les Romains. Leur pontife ( s’il
eft permis de parler ainfi) a fe u l, comme celui de
Rome moderne, le droit de faire des apothéofes
6c de confacrer des temples aux hommes qu’il en
juge dignes. Ils ont aufli depuis très-long-tems des
religieux, des hermites, desinftituts même , qui
ne font pas fort éloignés de nos ordres guerriers; car
i ly avoit une ancienne fociété de folitaires, qui fai-
foient voeu de combattre pour la religion.
Le Japon étoit également partagé entre plufieurs
feftesfousun pontife ro i, comme il l’eft fous un empereur
féculier; mais toutes les fe&es fe réuniffoient
dans les mêmes points de morale. C eux qui croyoient
la métempfy cofe & ceux qui n’y croyoient pas, s’abf-
tenoient 6c s’abftiennent encore aujourd’hui de
manger la chair des animaux qui rendent fervice à
l’homme ; tous s’accordent à les laiffer v iv re , & à
regarder leur meurtre comme une aâion d’ingratitude
& de cruauté. La loi de Moyfe tue & mange 9
n’eft pas dans leurs principes, & vraifembiablement
le Chriftianifme adopta ceux de ce peuple, quand il
s’établit au Japon.
La doftrine de Confucius a fait beaucoup de progrès
dans cet empire ; comme elle fe réduit toute à
la fimple morale, elle a charme tous les efprits de
ceux qui ne font pas attachés aux bonzes , 6c c’eft
toujours la faine partie de la nation. On croit qiie
le progrès de cette philofophie , n’a pas peu contribué
à ruiner la puiffance du Dairi : l’empereur qui
régnoit en 1700, n’a voit pas d’autre religion.
Il femble qu’on abufe plus au Japon qu’ à la Chine
de cette doârine de Confucius. Les philofophes japonnois
regardent l’homicide de foi-même, comme
une aftion vertueufe, quand elle ne bleffe pas la fo?
ciété ; le naturel fier 6c violent de ces infulaires met
fouyent
fouvent cette théorie en pratique, & rend l’homicide
beaucoup plus commun encore au Japon, qu’il
ne l’eft en Angleterre.
La liberté de confcience ayant toujours été accordée
dans cette empire, ainfi que dans prefque tout
le refte de l’Orient, plufieurs religions étrangères s’étoient
paifiblement introduites au Japon. Dieu per-
mettoit ainfi que la voie fut ouverte à l’évangile
dans ces vaftes contrées ; perfonne n’ignore qu’il fit
des progrès prodigieux fur la fin du feizieme fiecle,
dans la moitié de cet empire. La célébré ambaffade
de trois princes chrétiens Japonnois au pape Grégoire
X I I I , eft, ce me femble, l’hommage le plus
dateur que le faint-fiege ait jamais reçu. Tout ce
grand pa ys , où il faut aujourd’hui abjurer l’évangile
, 6c dont aucun fujet ne peut fortir, a été fur le
point d’être un royaume chrétien, & peut-être un
royaume portugais. Nos prêtres y étoient honorés
plus que parmi nous ; à préfent leur tête y elt à prix,
6c ce prix même y eft fort confidérable : il eft d’environ
douze mille livres.
L ’indifcrétion d’un prêtre portugais, quirefufade
céder le pas à un des officiers de l’empereur, fut la
première caufe de cette révolution. La fécondé, fut
l’obftination de quelques jéfuites , qui loutinrcnt
trop leurs droits, en ne voulant pas rendre une
maifon qu’un feigneur japonnois leur avoit donnée ,
& que le fils de ce feigneur leur redemandoit. La
troifieme, fut la crainte d’être fubjugués par les
chrétiens. Les bonzes appréhendèrent d’être dépouillés
de leurs anciennes poffeflions, & l’empereur enfin
craignit pour l’état. Les Efpagnols s’étoient rendus
maîtres des Philippines voifines du Japon ; on
favoit ce qu’ils avoient fait en Amérique , il n’eft
pas étonnant que les Japonnois fuffent allarmés.
L’empereur féculier dwJapon proferivit donc la religion
chrétienne en 1586; l’exercice en fut défendu à
fes fujets fous peine de mort ; maiscommeon permet-
toit toujours le commerce aux Portuguais 6c aux Efpagnols
, leurs millionnaires faifoient dans le peuple
autant de profélytes , qu’on en condamnoit au fup-
plice. Le monarque défendit à tous les habitans d’introduire
aucun prêtre chrétien dans le pays ; malgré
cette défenfe, le gouverneur des îles Philippines fit
paffer des Cordeliers en ambaffade à l’empereur du
Japon. Ces ambaffadeurs commencèrent par bâtir
line chapelle publique dans la ville capitale ; ils furent
chaffés, & la perfécution redoubla. 11 y eut longtems
des alternatives de cruautés & d’indulgences.
Enfin arriva la fameufe rébellion des chrétiens, qui
le retirèrent en force 6c en armes en 16 3 7 , dans
une ville de l’empire; alors ils furent pourfuivis, attaqués
, & maffacrés au nombre de trente-fept mille
l’année fuivante 1638, fous le régné de l’impératrice
Mikaddo. Ce maffacre affreux étouffa la révolté,
& abolit entièrement au Japon la religion
chrétienne , qui avoit commencé de s’y introduire
dès l’an 1549.
Si les Portugais 6c les Efpagnols s’étoient contentés
de la tolérance dont ils jouiffoient, ils auroient été
aufli paifibles dans cet empire, que les douze fe&es
établies à Méaco, & .qui compofoient enfemble
dans cette feule v ille , au-de-là de quatre cent mille
âmes.
Jamais commerce ne fut plus avantageux aux Portugais
que celui du Japon. Il parôît àffez, par les
foins qu’ont tles Hollanddis de fe le conferver, à
l’excluîion des autres peuples, que ce commerce
produilbit, fur-tout dans les commeneemens , des
profits immenfes. Les Portugais y achetoiènt le meilleur
thé de l’Afie, les plus belles porcelaines, ces
bois peints , laqués, verniffés1 comme paravents ,
tables, coffres, boëtes, cabarets, 6c autres fem-
blables, dont notre luxe s’appauvrit tous les jours;
Tome K lI I .
l’ambre gris, du cuivre d’une efpece fupérieure au
nôtre ; enfin l ’argent & l’or,.objet principal de toutes
les entreprifes de négoce. •,
Le Japony aufli peuplé que la Chine à proportion;
& non moins induftrieux, tandis que la nation y eft
plus fiere 6c plus b ra v e , poflede prefque tout ce
que nous avons, 6c prefque tout ce qui nous manque.
Les peuples de l’Orient étoient autrefois bien
lupérieursà nos peuples occidentaux, dans tous les
arts de 1 efprit 6c de la main. Mais que nous avons
regagné le tems perdu , ajoute M. de Voltaire ! les
pays ou le Bramante 6c Michel Ange ont bâti Saint
Pierre de Rome, où Raphaël a peint, où Newton
a calcule l’infini, où Leibnitz partagea cette gloire,
oit Huyggens appliqua la cycloïde aux pendules à
fécondés, où lean de Bruges trouva la peinture à
riiuile,où Cinna& Athalie ont étéécrits; cespays,
dis-je, font devenus les premiers pays de la terre.
Les peuples orientaux ne font à préfent dans les
beaux arts, que des barbares, ou des enfans, maigre
leur antiquité, & tout ce que la nature a fait
pour eux. ( D. J. )
JAPONNER, v. a£L ( Poterie. ) c’eft donner une
nouvelle cuiffon aux porcelaines de la Chine, pour
les faire paffer pour porcelaines du Japon. Par cette
manoeuvre pratiquée en Angleterre 6c en Hollande ,
On colore en rouge. & l’on ajoute des fleurs 6c des
filets d’or aux pièces de la Chine, qui font toutes
bleues 6c blanches ; mais ces ornemens ajoûtés »
ayant trop d’éclat, on les affoiblit par le feu : avec
toutes ces précautions, les connoiflëurs ne font pas
trompés.
* JAPONOIS, P h il o s o p h ie des ( Hijl. delà
Philofophie. ) Les Japonois ont reçu des Chinois
prefque tout ce qu’ils ont de connoiffances philofo-
phiques, politiques 6c fuperftitieufes, s’il en faut
croire les Portugais, les premiers d’entre les Européens
qui aient abordé au Japon, & qui nous aient
entretenus de cette contrée. François X a v ie r, de
la Compagnie de Jefus, y fut conduit en 1549 par
un ardent & beau zele d’étendre la religion chrétienne
: il y prêcha ; il y fut écouté ; & le Chrift fe-
roit peut-être adoré dans toute l’étendue du Japon,
fi l’on n’eût point allarmé les Peuples par une conduite
imprudente qui leur fit foupçonner qu’on en
vouloit plus à la perte de leur liberté qu’au falut
de ieurs âmes. Le rôle d’apôtre n’en fouffre point
d’autre : on ne l’eut pas plutôt deshonoré au
Japon en lui affociant celui d’intérêt & de politique
, que les perfécutions s’élevèrent , que les
échaffauds fe dreflërent, 6c que lé fang coula de toutes
parts. La haine du nom chrétien eft telle au Japon,
qu’on n’en approche point aujourd’hui fans
fouler le Chrift aux pieds ; cérémonie ignominieufe
à laquelle on dit que quelques Européens plus attachés
à l’argent qu’à leur D ie u , fe foumettent fans
répugnance.
Les fables que les Japonois 8c les Chinois débitent
fur l’antiquité de leur origine, font prefque les mêmes
; & il réfulte de la comparaifon qu’on en fait ,
que ces fociétés d’hommes fe formoient 6c fe po-
liffoient fous une ere peu différente. Le célébré
Kempfer qui a parcouru le Japon en naturalifte,
géographe, politique & théologien, & dont le voya -
ge tient un rang diftingué parmi nos meilleurs livres,
divife l’hiftoire japonoife en fabuleufe, incertaine
& vraie. La période fabuleufe commence Iông-tems
avant la création du monde, félon la chronologie
facrée. Ces peuples ont eu aufli la manie de reculer
leur origine. Si on les en c ro it , leur premier
gouvernement fut théocratique ; il faut entendre les
merveilles qu’ils racontent de fon bonheur & de fa
durée. Le tems du mariage du dieu Ifanagi Mikotto
6c de la déeffe Ifanami Mikotto, fut l’âge d’or pour M m m