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poTéc de parties; que ce n’étoit point par laraifon,
.qui lui étoit commune avec la bete , que 1 homme -,
«n étoit diflingué, mais par l ’image &. la reffem- \
blance de Dieu qui lui avoit été imprimée ; que fi .
le corps n’eft pas un temple que Dieu daigne habi- .
. te r , l’homme ne différé de la bête que par la parole; j
que les démons ont trouvé le fecret de fe faire auteurs
de nos maladiesen s’emparant quelquefois de
nous quand elles commencent ; que c’eft par le pé- ;
ebé que l’homme a perdu la tendance qu’il avoit à '•
Dieu , tendance qu’il doit travailler fans ceflé à re- :
«ouvrer, &c.
Théophile d’Antioche eut occafion de parcourir ;
les livres des Chrétiens chez fon favant ami Antoli-
que , & fe convertit; mais cette faveur du ciel ne ,
le débarraffa pas entièrement de foii platonil'me. Il
. appelle le Verbe t e ? * , & ce mot joue dans fes opinions
le même rôle que dans Platon. Du-moins le lavant
Petaut s’y eft-il trompé.
Athenagorasfut en même tems chrétien , platonicien
& écleâique. On peut conjeflurer ce qu’il en-
tendoit par ce mot Xoyoc, qui a caufé tant de querelles
; lorfqu’il dit : à principio Deus , qui eft mens
a ter nu, ipfc in Je ipfoXoyov habet , cum ab ceterno ratio-
nalisjitÿéc ailleurs, P Lato excelfo animo mentern oe ter-
nam & fola ratione comprehendendum Deum ejl contem- ;
platus; de J'uprema potejlate optime dijferuit. Le Verbe
ou xoycç eft en Dieu de toute éternité, parce qu’il a
• raifonné de toute éternité. Platon homme d’un efprit
élevé & profond, a bien connu la nature divine.
Celui-cicroyoit aufli au commerce des Anges avec
le s filles des hommes. Ces impudiques errent à pré-
fent autour du globe , &;ti:?verfent autant qu’il eft
en eux, les defl'eins de Dieu. Ils entraînent les hommes
à i ’idolatrie, & ils avalent la fumée des victimes
; ils jettent pendant le.fommeil dans nos efprits,
des fonges & des images qui les fouillent, &c.
Après Athénagore, on rencontre dans les faites de
l’Eglife , les noms d’Hermias & d’Irenée. L’un s’appliqua
à expofer avec foin les fentimens des Philosophes
p a y en s ,& l’autre à en purger le Chriftianif-
me. Il leroit feulement à fouhaiter qu’Irenée eût été
aufli infiruit qu’Hermias fut zélé ; il eût travaillé
avec plus de l'uccès.
Nous voici arrivés au tems de Tertulien, ce bouillant
Africain qui a plus d’idée que de mots , & qui
feroit peut-être à la tête de tous les doCteurs duChrif-
tianilme, s’il eût pû concevoir la diftinCtion des deux
fubftances , & ne pas fe faire un Dieu & une ame
corporels. Ses expreflïons ne font point équivoques.
Quis negabit, dit-il, Deum corpus ejfe Ji fpiritus
fit,' ..
Clément d’Alexandrie parut dans le fécond fiecle.
Il avoit été.l’éleve de Pantaenus, philofophe ftoïcien,
avant que d’être chrétien. Si cependant on juge de fa
philofophie, par les précautions qu’il exige avant que
d’initier quelqu’un au Chriftianifme , on fera tenté
de la croire un peu pytagorique ; & fi l’on en juge
par la diverfité de fes opinions , fort écleâique. L’é-
cleÇfifme ou cette philofophie qui confiftoit à rechercher
dans tous les fyftèmes ce qu’on y reconnoifloit
dç vérités, pour s’en compofer un particulier, com-
mençoit à le renouveller dans l’Eglife. Voye^ Tarti-
..cle E c l e c t iq u e .
L ’hiftoire d’Origene, dont nous aurions maintenant
à parler, fourniroit feul un volume confidéra-
ble.; mais nous nous en tiendrons à notre objet, en
Cxpofant les principaux axiomes de fa Philofophie.
Selon O rigene, Dieu dont la puiflance eft limitée
parles chofes qui font, n’a créé de matière qu’autant
qu’il en avoit à employer ; il n’en pouvoit ni créer
employer davantage. Dieu eft un corps feulement
jplus iubtil, Toute la,m%tiere tend à un .état plus par-
JE S .fait, Lafubftance de l’homme , des Anges, de Dieu
& des perfonnes divines eft la même, il y a trois hy-
poftaies en D ieu , & par ce mot il n’entend point des
perlônnes. Le fils diffeie du pere, & il y a entre eux
quelque inégalité. Il eft le miniftre de Ion pere dans
la création. Il en eft la première émanation. Les Anges
, les elpritSjles âmes occupent dans l’univers un
rang particulier, félon leur degré de bonté. Les Anges
font corporels ; les corps des mauvais anges font
plusgrofliers. Chaque homme a un ange tutélaire, auquel
il eft confié au moment de fa naiflance ou de fon
baptême. Les Anges font occupés à conduire la matière,
chacun lelon fon mérite. L ’homme en a un
bon & un mauvais. Les âmes ont été créées avant les
corps. Les corps font des prifons où elles ont été renfermées
pour quelques fautes commifes antérieurement.
Chaque homme a deux âmes ; c’étoient des e sprits
purs qui ont dégénéré avec l’intérêt que Dieu
y prenoit. Outre le corps, les âmes ont encore un
véhicule plus fubtil qui les enveloppe. Elles paflent
fucceflivement dans différens corps. L’état d’ame eft
moyen entre celui d’efprit & de corps. Les âmes les
moins coupables font allées animer les aftres. Les af-
tres, en qualité d’êtres animés, peuvent indiquer l’avenir.
Tout étant en viciflitude, la damnation n’eft:
point éternelle ; les âmes peuvent fe relever & re-
. tomber. Les fautes des âmes s’expient par le feu. II
y a des régions baffes où les âmes des pécheurs fu-
biffent des châtimens proportionnés à leurs fautes.'
Elles en fortent libres de fouillures, & capables d’atteindre
aux demeures éternelles. Voici les différens
degrés du bonheur de l’homme, perdre fes erreurs %
connoître la vérité, être ange , s’aflimiler à Dieu ,
s’y unir. L ’homme en jouit fucceflivement fur la terre*
dans l’air , dans le paradis. Le cours de félicité fe
remplit dans un efpace de fiecles indéfinis ; après lequel
D ieu étant tout en tout, & tout étant en Dieu*
il n’y aura plus de mal dans l’univers, & le bonheur
fera général & parfait. A ce monde il en fuccédera,
un autre ; à celui-ci un troifieme , & ajnfi de fuite ,
jufqu’à celui où Dieu fera tout en tout, & ce monde
fera, le dernier. La bafe de ce fyftème , c’eft que
Dieu produit fans ceffe , & qu’il en émane des mondes
qui y retournent & y retourneront jufqu’à la
confommation des fiecles où il n’y aura plus que lui.
Les tems de l’Eglifequifuivent , virent naître Ana-
tolius, qui réfufeita le Parépatétifme ; Arnobe, qui
mêlant l ’Optimifme avec le Chriftianifme, difoit
que nous prenant pour la mefure de tout, nous fai-
fons à la nature qui eft bonne, un crime de notre
ignorance ; Lafrance, qui prit en une telle haine toutes
les feftes philosophiques, qu’il ne put fouffrir que
ni Socrate ni Platon euffent dit d’eux-mêmes quelque
chofe de bien, & qui affeêlant des connoiftances de
toutes fortes d’efpeces, tomba dans un grand nombre
de puérilités qui défigurent fes ouvrages d’ailleurs
très-précieux ; Eufebe, qui nous àuroit lailféiûi
ouvrage incomparable dans fa préparation évangélique
, s’il eût été mieux inftruit des principes de la
Philofophie ancienne, & qu’il n’eût pas pris les dog*
j mes abftirdes des argumentateurs de fon tems pour
les vrais fentimens de ceux dont ils fe difoient les dif-
' ciples; Didyme d’Alexandrie; qui fçut très-bien fé-
parer d’Ariftote & de Platon ce qu’ils avoient de
faux & de v ra i, être philofophe & chrétien , croire
avec jugement, & raifonner avec fobriete ; Chalci-
. dius , dont le Chriftianifme eft demeuré fort fufpe&
, jufqu’à ce jour ; Auguftin, qui fut d’abord manichéen
; Synefiùs , dont les incertitudes font peintes
dans une lettre qu’il écrivit à fon frere d’une maniéré
naïve qui charmé. La voici : ego cum me ipfum conji-
dero yàmnino inferiorem fentio quam ut epifcopali fafli-
gio refpondeam '. Plus je m’examine moi-même , plus
je me fen§ gu-deffous 4u poids & de la dignité epifi..
- copale'j
J E S copale ; ac fané apud te de animi met mottbus difpütabo ;
neque enim apud alium , quam amicijjîmum tuum una-
qut mecum educaturn capta, commodius ijlud.facerepof-
Jum. Je ne balancerai point à vous dévoiler mes fentimens
; & à qui pourrois-je montrer plus volontiers
le fond de mon coeur, qu’à mon frere, qu’à celui
avec lequel j’ai été nourri, é le v é , qu’à l’homme qui
m’aime le mieux, & à qui je fuis le plus cher ? Te
enim oequum ejl & earumdem cürarum ejfe participem, &
cum noclu vigilarc , tum interdiu Cogitare , qutmadmo-
dum aut boni mihi aliquid tontingat aut mali quidpiam
tvitare pojjîm. Il faut qu’il partage tous mes foins ;
s’il eft poflïble qu’en veillant avec moi la nuit, en
m’entretenant le jou r, je me procure quelque bien,
ou que j’évite quelque m a l, il ne s’y refufera pas.
Audi igitur quotjît mearttm rerum Jlatus , quarum ple-
rumque ^jam, opinor, tibi fueriht cognitoe. Vous con-
noiflez déjà une partie de ma fituation, écoutez-moi,
mon frere, & fâchez le refte. Cum txiguum onus fuf-
cepijfem , commode mihi haclenus fujlinuijft videor, plû-
lofophiam. Jufqu’à préfentjeme fuis contenté du rôle
de philofophe ; il étoit facile, & je crois m’en être
aflez bien acquitté. Mais on a mal jugé de ma capacité
; & parce qu’on m’a vu foutenir fans peine un
fardeau leger , on a cru que j’en pourrois porter un
plus pefant. Pro eo vero quod non oinnino ab ea aber-
rare videor , a nonnullis laudatus -9 majoribus dignus ab
iis exijlitrtor > qui animi facultatem habilitatemque di-
gnofeere nequeam. Jugeons-nous nous-mêmes, & ne
nous laiflons point féduire par cet éloge. Craignons
que de nouveaux honneurs ne nous rendent vains ;
& qu’un pofte plus élevé ne m’ôte le peu de mérite
que j’ài dans celui que j’occupe, s’il arrive qu’après.
avoir pour ainfi dire , mépril'é l’un, l’on me recon-
noilTe indigne de l’autre. Vereor autem ne arrogahtior
redditus, cum honorem admettent, ab utroque excidam,
pojlquam alterum quidem contçmpfero, alterius vero non
fuerim dignitatem ajjecutus. D ieu , la lo i , & la main
facrée de Théophile, m’ont attaché à une femme ; il
ne me convient ni de m’en féparer, ni de vivre fe-
crettement avec elle , comme un adultéré. Mihi &
Deus ipfe & lex &facra Theophilimanus uxorem dédit,
quare hoc omnibus proedico9 & tejlor neque me ab ea pror-
fus fejungi velle, neque adulteri injlar cum ea clanculum
confuejeere. Je partage mon tems en deux portions;
•J’étudie ou j’enfeigne. En étudiant, je fuis ce qu’il
me plaît. En enfeignant, c’eft autre chofe. Duobus
kifee tempus identidem diflinguoMtdis, atque Jludiis. A t
cum in Jludiis occupor i tum mini uni deditus fum ; in
ludendo vero , maxime omnibus expojitus. Il eft difficile
il eft impolîible de chafler de fon efprit des opinions
-qui y font entrées par la voie de la raifon, & que la
force de la démotiftration y retient. Et vous n’igno-
. fez pas qu’en plufieurs points, la Philofophie ne s’accorde
ni avec nos dogmes -, ni avec nos decrets.
Difficile eft, vel fieri potius nullo paclo potejl ut quee
dogmata fcientiarum ratione ad demonjlrationem per-
ducla in animum pervenerint, convellantur. Nojli autem
P hilofophiam curnplerifque ex pervulgatis ufu decre-
tispugnare. Jamais, m o n frere, je ne me perluaderâi
que l’origine de l’ame foit poftérieufe au corps ; je
ne prendrai jamais fur moi de dire que ce monde &
fes autres parties puiffent pafler en même tems. J’ai
une façon de penfer qui n’eft point celle du vulgaire
& il y a dans cette doôrine ufée & rebattue de la ré-
furrettion, je ne fais quoi de ténébreux & de facré,
que je ne faurois digérer. Une ame imbue de la Philofophie
, un efprit accoutumé à la recherche de la
v é r ité , ne s’expofe pas fans répugnance à la nécefi-
fite de mentir. Etenim nuit quam profeclo mihi perfua-
Jero animum originis ejfe pojleriorem corpore ; rnundum
cteterafque ejus partes una interire hunquam dixero ;
tritam illam ac decantatam refurreclionem facrum quidpiam
atque arcanum arbitrer, longeque abfuni à vulgi
Tome F U T 1 6
J E § ôpinionibùs comprobahdis. Ahi'mûs cerà quidem Philo-
fophia imbutus ac veritatis injpeclor tnentiendi neceffitati
non nihil remittit. Il en eft de la vérité Comme de la
lumière. Il faut que h lumière foit proportionnée à
la force de l’Organe, fi l’on né veut pas qu’il êri foit
blefle. Les ténèbres conviennent aux ophtalmiques;
& le menfonge aux peuples ; & la vérité nuit à ceux
dont 1 efprit on ina&ifbii hébété rië peiit Oïl n’ëft
pas accoutume à approfondir. Lux enim vericati, ôcü-
lus vulgoproportione quadam refpondent. Et oculùs ipfc
nonjtne damnofuo immodica luce pïrfruiiùr. Ac ùd oph-
talmïcts caligo magis expedit, codera modo mendaciùrÜ
vulgo prodejfe arbitrûr ; contra nocere Vbritatem iis qui
in rerum perjpicuitatem inténdere mentis aciem neqtieunt.
Cependant voyez ; je ne refufe pas d’être évêque ;
s’il m’éft permis d’allier les fondions de cet état avec
mon caraftere & ma franchife, philbfophànt dans
mon cabinet, répétant des fables en public * n’enfei-
gnant rien de nouveau, ne defabufant fur rien, &
laiflant les hommes dans leurs préjugés à peu près
comme ils me viendront ; mais le erbyez-vous? Hoec
f i mihi epifcopalis nojlri muneris jùjfa coh'cejfcriht, fubire
hanc dignitatem pofint, ità ut dotni quidem philofôphcr
forts vero fabulas texarn, ut nihil penitus docens , f c
nihil etiam dedocens atque in preefumptâ animi opinions
fiftens. Sans cela , s’il faut qu’un évêque fbit pbpu-
laire dans fes opinions, je me décélefai fur lé champ;
On me conférera l’épifcopat fi l’on v eut; mais je né
veux pas mentir. J’cn attelle Dieu & les hommes;
Dieu & la vérité fe touchent. Je ne veux point me
rendre coupable d’un crime à fës ÿëiix. Ndn, mdri
frere , ndn, je ne puis diflimifter mes fentimens. Jamais
ma bouche ne proférera le cdntrairé dé ma pen-
fée. Mon coeur eft fur le bord de mes levres. C ’eft:
en penfant comme je fais j c’eft en ne difant rien que
je ne penfe j que j’efpere de plaire à Dieu. Si dixe-
rint epifeopum opinio/îibus popularem ejfe , ego me illico
omnibus manifeftum proebebo. Si ad epifcopale munus
vocer, nolo ementiri dogmata. Hôrüm Deum , hôrutn
homines teftes facto. AJfnis e f Det> veritas, apud quem
crimihis expers omnis cupio. Dogmataporro mea nun-
quam oblegam , neque mihi ab animo lingua dijfidebit.
Ita fentiens , itaque toquens placere me Deo arbitrer.
Voye{ les ouvrages de Synéfius dans la Collecl. des Pères
de VEglife.
Cetté proteftatiori në l’énipêchà point d’être
confacré évêque de Ptblomaïs. 11 eft incroyable que
Théophile n’ait point balancé à élèvër à cette dignité
un philofophe infe£té de Plâtonifine , & s’ert
fâifant honneur. On eût égard, dit Photius j à la fain-
teté de fes moeurs ; & l’on efpéra de Dieu qu’il l’é-
claireroit un jour fur la réfurreétibn & fur les autres
dogmes que ce philofophe tejettbit.
Denis l’Aréopagite; Claudien Mâmert, Boëtce;
Æneas Gazæus , Zacharie le Scholaftique, Philo-
pon & Nemefius t ferment cette ere de là Philofophie
chrétienne que nous allons fuivrè , dans l’O rient
; dans la Grece & dans l’Occidént, en expos
fant les révolutions depuis le feptiéme fiecle jufqu’aü,
douzième.
Cette philofophie des émanations, cetté chaîne
d’efprits qui defeendoit & qui s’élevoit; toutes ces
vifions platonico-brigënieo-alexandfiries qiii pro-
mettoient à l’honlme un commerce plus ou moins
intime avec D ieu , étbiertt très-propres à entretenir
l’oifiveté pieufe de ces comtemplateurs inutiles qui
rempliflbient les forêts, les m'onafteres & les foK-
tudes ; aufli fît-elle fortune parmi eux. LëPéripaté-
tifme au contraire, dont la dialeélique fubtile foui1-
niflbit des ârmes aux hérétiques, s’accréditoit d’un
autre côté. Il y en eut qui, jaloùi d’Un double avantage
, tâchèrent de concilier Ariftote avec Platon *
mais celui-ci perdit de jour en jour ; Ariftote gagna,
ôc la philofophie alexandrine étoit prefqüe oubliée.