7 -98 ï N S eft affouvie de bonne heure, elles fe livrent par le
befoin d’être émues , à une grande profufton de
meurtres inutiles ; mais la maniéré d etre la plus
familière à tous ces êtres fentans, eftun demi-fom-
meil pendant lequel l’exercice fponcanée de l ’imagination
ne -préfente que des tableaux vagues qui ne
ïaiffent pas de traces profondes dans la mémoire.
Parmi nous, cês hommes greffiers qui font occupés
pendant tout le jour à pourvoir aux befoins de
première néceffité, ne relient-ils pas dans un état
■ de ftupidité prefque égal à celui des bêtes? Il en eft
tel qui h’a jamais eu un nombre d’idées pareil à
celui qui .forme le fyftème des connoiflances d’un
renard.
Il faut que le loifir, la fotiété & le langage, fervent
la perfectibilité, fans quoi cette difpolition relie
ftérile. Or, premièrement le loifir manque aux betes,
comme nous vous l’avons dit. Occupées fans celle
à pourvoir à leurs befoins, & à fe defendre contre
d ’autres animaux ou contre l’homme, elles ne peuvent
cônférver d’idées acquifes que relativement à
ces objets. Secondement la plupart vivent ifolées ôt
n ’ont qu’une fociété paflagere fondée fur l’amour
& fur l’éducatiou de la famille. Celles qui font attroupées
d’une maniéré plus durable font raflem-
blées uniquement par le fentiment de la crainte. Il
n ’y a que les efpeces timides qui foient dans ce cas,
& la crainte qui approche ces individus les uns des
autres paroît être le l'eul fentiment qui les occupe.Tel
eft l’efpece du cerf dans laquelle les biches ne s’ifo-
lent gueres que pour mettre bas, & les cerfs pour refaire
leurs têtes.
Dans leè efpeces mieux armées & plus courageu-
fe s, comme font les fangliers, les femelles, comme
plus foibles, reftent attroupées avec les jeunes mâles.
Mais dès que ceux-ci ont atteint l’âge de trois
ans, & qu’ils font pourvus de détenfes qui les raffu-
ren t, ils quittent la troupe ; la fécurité les mene à
la folitude ; il n’y a donc pas de fociété proprement
dite entre les bêtes. Le fentiment feul de la crainte,
& l’intérêt de la défenfe réciproque ne peuvent pas
porter fort loin leurs connoiflances. Elles ne font
pas organifées de maniéré à multiplier les moyens,
n i à rien ajouter à ces armes toujours prêtes qu’elles
doivent à la nature. Et peut-on favoir jufqu’où l’u-
fage des mains porteroient les finges s’ils avoient le
loifir comme la faculté d’inventer, & fi la frayeur
continuelle que les hommes leur infpirent ne les
retenait dans l’abrutiflement ?
A l’égard du langage , il paroît que celui des bêtes
eft fort borné. Cela doit être, vu leur maniéré
de v iv r e , puifqu’il y a des fauvages qui ont des arcs
& des fléchés, & dont cependant la langue n’a pas
trois cens mots. Mais quelque borné que foit le langage
des bêtes, il exifte : on peut aflurer même qu’il
eft beaucoup plus étendu qu’on ne le fuppofe communément
dans des êtres qui ont un mufeau allongé
ou un b,ec.
De langage fuppofe une fuite d’idées & la faculté
d’articuler. Quoique parmi les hommes qui articulent
des mots , la plupart n’ayent point cette fuite
d’idées, il faut qu’elle ait exifté dans l’entendement
des premiers qui ont joint ces mots enfemble. Nous
avons vu que les bêtes ont , en fait d’idées fuivies ,
tout ce qui eft néceflaire pour arranger des mots.
Celles de leurs habitudes qui nous paroiflent le plus
naturelles, ne ^peuvent s’être formées, comme nous
l’avons prouve, que par desindudions liées enfemble
par la réflexion, & qui fuppofent toutes les opérations
de l’intelligence ; mais nous ne remarquons
point d’articulation fenfible dans leurs cris. Cette apparente
uniformité nous fait croire que réellement
elles n’articulent point. Il eft certain cependant que
l£S bêtes de chaque efpece diftinguent très-bieij en-
I N S
tr’elles ces fons qui nous paroiflent confus. Il ne leut
arrive pas de s’y méprendre, ni de confondre le cri
de la frayeur avec le gémiflement de l’amour. Il n’eft
pas feulement néceflaire qu’elles expriment ces Situations
tranchées , il faut encore qu’elles en caradéri-
fent les différentes nuances. Le parler d’une mere
qui annonce à fa famille qu’il faut fe cacher, fe dérober
à la vue de l’ennemi, ne peut pas être le même
que celui qui indique qu’il faut précipiter la fuite.
Les circonftances déterminent la néceffité d’une action
différente : il faut que la différence foit exprimée
dans le langage qui commande l’adion. Les ex-
preffionsféveres, & cependantflatteufes del’amour,
qui foumettent le mâle à la réferve fans lui ôter l’ef-
pérance, ne font pas les mêmes que celles qui lui
annoncent qu’il peut tout permettre à fes defirs, &£
que le moment de jouir eft arrivé.
Il eft vrai que le langage d ’adion eft très-familier
aux bêtes ; il eft même fuffifant pour qu’elles fe communiquent
réciproquement la plupart de leurs émotions
: elles ne font donc pas un grand ufage de leur
langue ; leur éducation s’accomplit ainfi que la nôtre
en grande partie par limitation. Tous les fenti-
mensifolés qui affedent les uns, peuvent être reconnus
par les autres aux mpuvemens extérieurs qui
les caradérifent ; mais quoique ce langage d’adion
ferve à exprimer beaucoup, il ne peut pas fuffire
à tout. Dès que l’inftrudion eftun peu compliquée ,
l’ufage des mots devient néceflaire pour la tranf-
mettre. Gr il eft certain que les jeunes renards, en
fortant du terrier, font plus précautionnés dans les
pays où l’on tend des pièges, que ne le font les vieux
dans ceux où l’on ne cherche point à les détruire :
cette fcience des précautions qui fuppofe tant de vues
fines&d’indudions éloignées, ne peut pas être acquife
dans le terrier par le langage d’adion; & fans les mots
l’éducation d’un renard ne peut pas fe confommer :
par quel méchanifme des animaux qui chaflent ensemble
s’accordent-ils pour s’attendre, fe retrouver ,
s’aider? Ces opérations ne fe feroient pas fans des
conventions dont le détail ne peut s’exécuter qu’au
| moyen d’une langue articulée. La monotomie nous
trompe, faute d’habitude & de réflexion. Lorfque
nous entendons des hommes parler enfemble une
langue qui nous eft étrangère, nous ne fommes point
frappés d’une articulation fenfible , nous croyons
entendre la répétition continuelle des mêmes fons.
Le langage des bêtes, quelque varié qu’il puiffe être ,
doit nous paroitre encore mille fois plus monotone,
parce qu’il nous eft infiniment plus étranger ; mais
quel que foit ce langage des bêtes, il ne peut pas aider
beaucoup la perfectibilité dont elles font douées.
La tradition ne fert prefque point aux progrès des
connoiflances. Sans l’écriture , qui appartient à
Thommè feul, chaque individu concentré dans fa
propre expérience, feroit forcé de recommencer la
carrière que fon devancier auroit parcourue , &
l’hiftoire des connoiflances d’un homme feroit pref-,
que celle de la fcience de l’humanité.
On peut donc préfumer que les bêtes ne feront
jamais de grands progrès , quoique relativement à
certains arts elles puiflent en avoir fait. L’architecture
des caflors pourroit être embellie ; la forme des
nids d’hirondelles pourroit avoir acquis de l’élégance
fans que nous nous en apperçuffions ; mais en général
les obftacles qui s’oppofent aux progrès des
efpeces font fort difficiles à vaincre, & fes individus
n’empruntent point non plus de la force d’une
paffion dominante cette adivité foutenue qui fait
qu’un homme s’élève par le génie fort au-deffus de
fes égaux. Les bêtes ont cependant des paffions naturelles
, & d’autres qu’on peut appeller fâdices ou
de réflexion ; celles du premier genre font l ’impref-
fion de la faim, les defirs ardens de l’amour, la ten-
drefle ,
I N S
drefle maternelle ; les autres font la crainte de la di-
fette, ou l’avarice & la jaloufie qui conduit à la
vengeance.
L’avarice eft une conféquence de la faim précédemment
fentie : la réflexion fur ce befoin produit
une prévoyance commune à tous les animaux qui
font ffijets à manquer. Les carnaffiers cachent & enterrent
les relies de leur proie pour les retrouver
au befoin. Parmi les frugivores, ceux qui font or-
ganifés de maniéré à emporter les grains qui leur
fervent de nourriture , font des provilions auxquelles
ils ne touchent que dans le cas de néceffité ; tels
font les rats de campagne, les mulots, &c. mais l’avarice
n’elt pas une paffion féconde en moyens ; fon,
exercice fe borne à l’amas & à l’épargne.
La jaloufie eft fille de l’amour : dans les efpeces
dont les mâles fe mêlent indifféremment avec toutes
les femelles , elle n’eft excitée que par la difette de
celles-ci : le befoin de jouir fe faifant vivement (en-
tir à tous dans le même tems, il en réfulte une rivalité
réciproque & générale. Cette paffion aveugle
fait fouvent manquer fon objet à ceux qu’elle tourmente.
Pendant que la fureur tient les vieux cerfs
attachés au combat, un daguet s’approche des biches
en tremblant, jouit & s’échappe. La jaloufie
eft plus profonde & plus raifonnée dans les efpeces
qui s’accouplent î quels que foient les motifs fur lesquels
eft fondé ce choix mutuel des deux individus,
il eft certain qu’il fe fa it , & que l’idée de propriété
réciproque s’établit :'dès-lors la moralité eft introduite
dans l’amour ; les femelles même deviennent
fufceptibles de jaloufie : cette union commencée par
l’attrait, & foutenue par le plaifir, eft encore ref-
ferrée par la communauté des foins qu’exige l’éducation
de la famille ; mais cet objet étant rempli,
l ’union 'Cëfle. Le printems, en infpirant à ces animaux
de nouvelles ardeurs , leur donne des goûts
nouveaux ï je n’oferois cependant pas décider li les
tourterelles méritent ou non la réputation de confiance
qu’elles ont acquife ; mais fi elles font confiantes
, au moins eft-il fur qu’elles ne font pas fidèles.
J’en ai vu plufieurs fois faire deux heureux de (iiite
fur une même branche : peut-être leur confiance ne
peut-elle être afliirée qu’autant qu’elles fe permettent
l’infidélité.
Quoi ciu’il en foit, on peut dire qu’en général l’amour
n’eft chez les bêtes qu’un befoin partager : cette
paffion , avec tous fes détails, ne les occupe guere
qu’un quart de l’année, ainfi elle ne peut pas élever
les individus à des progrès bien fenfibles. Le tems
du defintéreflement doit amener l’oubli de toutes les
idées que l’irritation des defirs avoit fait naître. On
remarque feulement que l’expérience inftruit les
meres fur les chofes relatives au bien de leur famille ;
elles profitent dans un âge plus avancé des fautes
de la jeuneffe & de l’imprudence. Une perdrix de
trois ou quatre ans choifit pour faire fon nid une
place bien plus avantageufe que ne fait Une jeune ;
elle fe place fur un lieu un peu é le v é , pour n’avoir
point d’inondation à craindre : elle a foin qu’il foit
environné d’épines & de ronces qui en rendent l’accès
difficile. Lorfqu’elle quitte fon nid pour aller
manger, elle ne manque pas de dérpber les oeufs,
en les couvrant avec des feuilles.
Si la tendrefle maternelle laiffe des traces profondes
dans la mémoire des bêtes, c’ell que Ion exercice
dure affez long-tems, & que d’ailleurs c’eft une
des paffions qui affedent le plus fortement ces êtres
fenfibles. Elle produit en eux une adivité inquiété
& foutenue, une affiduité pénible, & lorfque la famille
eft menacée, une défenfe couragcufe qui ref-
femble à un abandon total de foi-même. Je dis ref-
fembUr ; car on ne s’abandonne point entièrement,
& dans ie moment extrême le mçt fe fait toujours
Tome V U A
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flentir. Une preuve de cette vérité, c’eft que dans
les différentes efpeces la témérité apparente de la
mere eft toujours proportionnée aux moyens qu’elle
a d’échapper au danger qu’elle paroît braver. La
louve & la laie deviennent terribles, lorlqu’elles
ont leurs petits à défendre : la biche vient auffi chercher
le péril; mais fa foiblefle trahit bien-tôt fon
courage ; & malgré fa tendre inquiétude, elle eft
forcée de fiiir. La perdrix & la canne fauvage qui
ont une reffource afliirée dans la rapidité de leurs
aîles, paroiflent s’expofer beaucoup plus pour la
défenfe de leurs petits que la poule faifande : le vol
pefant de celle-ci la rendroit vidime d’un attachement
trop courageux.
Cet amour qui paroît fi généreux, produit une
jaloufie qui va jufqu’à la cruauté dans les efpeces
où il eft au plus haut degré. La perdrix pourfuit &
tue impitoyablement tous les petits de fon efpece
qui ne font pas de fa famille. Au contraire la poule
faifande, qui abandonne plus aifément les petits
qu’elle a couvés, eft douée d’une fenfibilité générale
pour ceux de fon efpece ; tous ceux qui manquent
de mere, ont droit de la fuivre.
Qu’eft-ce donc, encore une fois, que Vinjliticl>.
Nous voyons que les bêtes fentent, comparent, jugent
, rénéchifîent, choififlent, & font guidées dans
toutes leurs démarches par un fentiment d’amour de
foi que l'expérience rendplus ou moins éclairé. C ’eft
avec ces facultés qu’elles exécutent les intentions de
la nature, qu’elles fervent à l’ornement de l’univers,
& qu’elles accompliflent la-volonté , inconnue pour
nous, que le Créateur eut en les formant.
In s t in c t , ( Maréckallerie & Manège. ) c’eft un.
grand point dans le manege que de connoître 1’/«-
Jiincl, c’eft-à-dire le naturel du cheval. Cette con-
noiffance s’acquiert plutôt en le faifant d’abord
travailler dans un endroit où il eft retenu, comme
autour d’un pilier, qu’en l’abandonnant à lui-même
avec un cavalier fous lui, Scelle épargne à un écuyer,
beaucoup de tems & de peine.
INST1TO IR E , f. m. ( action ) terme dejurifpru*
dence, eft l’adion qu’exerce un commis contre fon
maître, pour raifon de ce qu’il a fait en fon nom.
Ce mot vient du latin injlitor, fadeur, c’eft-à-dire
celui dont un marchand fe fert pour l ’aider dans fon
commerce.
. INSTITOR , f. m. ( Belles-Lettres. ) ce mot qu’il
eft bon d’entendre, fe trouve dans Horace, Ovid e,
Properce, Séneque, & Quintilien. IKignifioit deux
choies : premièrement, il défignoit une efpece de
revendeur à gages , à qui des lingers ou des tailleurs
donnoient du linge & des habits à vendre dans
les rues ou dans les maifons, ôc Séneque le prend
dans ce fens ; mais injlitor fignifîoit auffi un commis,
un fadeur aifé, foit qu’il eût la direction d’un ma-
galîn, foit qu’il voyageât en divers pays pour le
commerce ; les Poètes prennent ordinairement ce
mot dans ce dernier fens. Comme il y avoit à Rome
de ces fadeurs très-riches, très-bien mis, très-bien
nippés, on les appelloir autrementprttiojî emptores,
& les courtifanes s’en aeeommodoient fouvent
mieux que des grands feigneurs. Enfin, Quintilien
emploie ingénieul'ement le mot injlitor au figuré
* & l’applique à l’éloquence, eloqumtitz injlitor.
W m m
* INSTITUER, v* ad. ( Gram. ) il y a un grand
nombre d’acceptions diverses. On dit Moyfe a injli-
tué la cir.concifion , Jefu,s-Chrift le baptême, les
payens des jeux. On inJUtue un ordre, une fociété,
une compagnie; on injiitut des charges & d e s officiers.
Inflituer, c’eft auffi élever, inftruire ; on in-
Jlitue un l’entier, on injlitue un collateur : injlituer
dans ces deux derniers cas eft tynonyme à conjlituer.
* INSTITUT, f. m. £ Gram. ) fyftème déréglés
1 1 i i i