font aufli fi peu de cas de la ponftuation ; elle les
gêneroit, & ils ne veulent point être gênés dans
leurs extravagances; ils veulent en toute liberté fup-
pofer les voyelles, analyfer les lettres, décompo-
fer les mots, 8c renverfer les fyllabes ; comme fi les
livres facrés n’étoient pour eux qu’un répertoire
d’anagrames 8c de logogryphes. Voye£ Ca b a l e .L’abus
que ces prétendus làges ont fait de la Bible dans
tous les tems, & les rêveries inconcevables où les
rabbins, le texte à la main, fe plongent dans leurs
fynagogues, femblent ici nous avertir, tacitement
de l’origine des livres non ponâués, 8c nous indiquer
leur fource & leur principe dans les déregle-
mens de l’imagination ; les Bibles muettes ne pour-
roient-elles point être les filles du myftere, puif-
qu’eilès ont été pour les Juifs Toccafion de tant de
fables myftérieufes ? Ce foupçon qui mérite d’être
approfondi, fi l’on veut connoître les caufes qui ont
répandu dans le monde des livres ponâués 8c non
ponôués , 8c les fuites qu’elles ont eu , nous conduit
au véritable point de vûe fous lequel on doit
néceflairement confidérer l’ufage & l’origine même
des points voyelles ; ce que nous allons dire fera la
plus eflentielle partie de leur hiftoire ; & comme
cette partie renferme une des plus intéreflantes anecdotes
de l’hiftoire du monde, on prévient qu’il ne
faut pas confondre les tems avec les tems, ni les
auteurs facrés avec les fages d’Egypte ou deChaldée.
Nous allons parler d’un âge qui a fans doute été de
beaucoup antérieur au premier écrivain des Hébreux.
Plus l’on réfléchit fur les opérations de ceux qui
les premiers ont effayé de repréfenter les fons par
des caratteres, 8c moins l ’on peut concevoir qu’ils
ayent précifément oublié de donner des lignes aux
voyelles qui font les meres de tous les fons poffibles,
& fans lel'quelles on ne peut rien articuler. L’écriture
eft le tableau du langage ; c’eft-là l’objet 8c l’ef-
fence de cette ineftimable invention ; or comme il
n’y a point 8c qu’il ne peut y avoir de langage fans
voyelles , ceux qui ont inventé l’écriture pour être
utile au genre humain en peignant la parole, n’ont
donc pu l’imaginer indépendamment de ce qui en
fait la partie eflentielle, 8c de ce qui en eft naturellement
inaliénable. Leufden 8c quelques autres ad-
verfaires de l’antiquité des points voyelles , ont
avancé en difcutant cette même queftion, que les
confonnes étoient comme la matière des m ots, 8c
que les voyelles en étoient comme la forme : ils n’ont
fait en cela qu’un raifonnement faux, 8c d’ailleurs
inutile ; ce font les voyelles qui doivent être regardées
comme la matière aufli fimple qu’effentielle de
tous les fons, de tous les mots, 8c de toutes les langues
; 8c ce font les confonnes qui leur donnent la
forme en les modifiant en mille 8c mille maniérés,
8c en nous les faifant articuler avec une variété &
une fécondité infinie. Mais de façon ou d’autre, il
faut néceflairement dans l’écriture comme dans le
langage, le concours de cette matière & de cette
forme, pour faire fur nos organes l’impreflion di-
ftinâe que ni la forme ni la matière ne peuvent produire
féparément. Nous devons donc encore en conclure
qu’il eft de toute impoflxbilité, que l’invention
des fitnes des confonnes ait pû être naturellement
féparee de l’invention des fignes des voyelles, ou
des points voyelles , qui font la même chofe.
Pourquoi donc nous eft-il parvenu des livresfans
aucune ponctuation ? C ’eft ici qu’il faut en demander
la raifon primitive à ces fages de la haute antiquité
, qui ont eu pour principe que la fcience n’é-
. toit point faite pour le vulgaire, & que les avenues
en dévoient être fermées au peuple, aux profanes,
& aux étrangers. On ne peut ignorer que le goût du
myftere a été celui des favans des premiers âges ; ,
c’étoit lui qui avoit déjà en partie préfidé à l’inven-'
tion des hiéroglyphes facrés qui ont devancé l’écriture
; 8c c’eft lui qui a tenu les nations pendant une
multitude de fiecles dans des ténèbres qu’on ne peut
pénétrer, 8c dans une ignorance profonde 8c uni-
verfelle, dont deux mille ans d’un travail allez continu
n’ont point encore réparé toutes les fuites fu-
neftes. Nous ne chercherons point ici quels ont été
les principes d’un tel fyftème ; il fuffit de lavoir qu’il
a exifté, 8c d’en voir les triftes fuites, pour y découvrir
l’efprit qui a dûpréfider à la primitive invention
des carafteres des fons, & qui en a fait deux
clafles féparées, quoiqu’elles n’euffent jamais dû
l ?être. Cette prétieufe 8c ineftimable découverte n’a
point été dès fon origine livrée 8c communiquée aux
hommes dans fon entier ; lès fignes des confonnes
ont été montrés au vulgaire ; mais les fignes des
voyelles ont été mis en referve comme une clef 8c
un fecret quinepouvoit être confié qu’aux feuls gardiens
de l’arbre de la fcience. Par une fuite de l’ancienne
politique, l’invention nouvelle ne fut pour
le peuple qu’un nouveau genre d’hiéroglyphe plus
fimple & plus abrégé à la vérité, que Je s précédens,
mais dont il fallut toujours qu’il allât ofe même chercher
le fens 8c l’intelligence dans la bouche des fages
, 8c chez les adminiftrateurs de l’inftruétion pu-.
blique. Heureux fans doute ont été les peuples auxquels
cette inftruâion a été donnée faine & entière ;
neureufes ont été les fociétés où les organes de la
fcience n’ont point, par un abus trop conféquent
de leur funefte politique, regardé comme leur patrimoine
8c leur domaine le dépôt qui ne leur étoit que
commis & confié ; mais quand elles aurôient eû
toutes ce rare bonheur, en eft-il une feule qui ait é té.
à l’abri des guerres deftruétives, 8c des révolutions
qui renverfent tout, & principalement les Arts? Les
nations ont donc été détruites, les fages ont été dif-
perfés, fouvent ils ont péri & leur myftere avec eux*
Après ces évenemens il n’eft plus refté que les mo-
numens énigmatiques delà fcience primitive, devenus
myftérieux 8c inintelligibles par la perte ou la
rareté de la clé des voyelles. Peut-être le peuple juif,
eft-il le feul qui par un bienfait particulier de la Providence
, ait heureufement conlèrvé cette clé de fes
annales par le fecours de quelques livres ponâués
qui auront échappé aux diverfes defolations de leur
patrie ; mais quant à la plupart des autres nations,
il n’eft que trop vraifîemblable qu’il a été pour elles
un tems fatal, où elles ont perdu tout moyen de relever
l’édifice de leur hiftoire. Il fallut enfuite recourir
à la tradition; il fallut évertuer l ’imagination
pour déchiffrer des fragmens d’annales toutes écrites
en confonnes ; 8c la privation des exemplaires ponctués
prefque tous péris avec ceux qui les avoient fi
myfterieufement gardés, donna néceflairement lieu
à une fcience nouvelle, qui fit refpeûer les écritures
non ponétuées, 8c qui en répandit le goût dépravé
chez divers peuples : ce fut de deviner ce
qu’on ne pouvoit plus lire ; 8c comme l’appareil de
l’écriture 8c des livres des anciens fages avoit quelque
chofe de merveilleux, ainfi que tout ce qu’on
ne peut comprendre, on s’en forma une très-haute
idée ; on n’y chercha que des chofes fublimes, & ce
qui n’y avoit jamais été fans doute, comme la médecine
univerfelle , le grand oe uvre, fesfecrets, la magie,
8c toutes ces fciences occultes que tant d’efprits
faux&de têtes creufes ont fi long-tems cherchées dans
certains chapitres de la Bible, qui ne contiennent
que des hymnes ou des généalogies , ou des dimen-
fions de bâtiment. Il en fut aufli de même quant à
l’hiftoire générale des peuples & aux hiftoires particulières
des grands hommes. Les mations qui dans
des tems plus anciens avoient déjà abufé des fym-
boles primitifs & des premiers hiéroglyphes, pour en
former
former des êtres imaginaires qui s’étoiertt confoir-
,'dus'avec des êtres réels , abuferent de même de l’é1
-criture fans confonnes, & s’en fervirent pour com-
pofer ou amplifier les légendes de tous les fùntômes
populaires. Tout motqui pouvoit avoir quelque rapport
de figure à un nom connu, fut cenlé lui appartenir
, & renfermer une anecdote eflentielle fur le
perfonnage qui l’avoit porté ; mais comme il n’y a
pas de mots écrits en fimples confonnes quinepuiflent
offrir plufieurs valeurs , ainfi que nous l’avons déjà
dit, l’embarras du choix fit qu’on les adopta toutes,
& que l’on fit de chacune un trait particulier de fon
hiftoire. Cet abus eft une des fources des plus vraies
& des plus fécondes de la fable; 8c voilà pourquoi
les noms d’Orphée, de M ercure, d’ Ifis, &c. font allu-
fions chacun à cinq ou fix racines orientales qui ont
-toutes la finguliere propriété de nous retracer une
anecdote de leurs légendes ; ce que nous difons de
ces trois noms, on peut le dire de tous les noms fameux
dans les mythologies des nations. De-là font
provenues ces variétés fi fréquentes entre nos éty-
mologiftes qui n’ont jamais pû s ’accorder, parce
que chacun d’eux s’eft affectionné à la racine qu’il.a
faifie ; de-làTincertitude où ils nous ont Iaiffé, parce
qu’ils ont tous eu raifon en particulier, 8c qu’il a paru
néanmoins impoflible de les concilier enfemble. Il
n’étoit cependant rien de plus facile; & puifque les
Voflius,les Bocharts, les Huets, les Leclerc, avoient
tous eu des fuffrages en particulier; au lieu de fe
critiquer les uns les autres, ils dévoient fe donner
la main, & concourir à nous découvrir une des principales
fources de la Mythologie., & à nous dévoiler
par-là un des fecrets de l’antiquité. Nous nommons
ce ci un fecret, parce qu’il en a été réellement un
dans l’art de compofer & décrire dans les tems où
le défaut d’invention 8c de génie, autant que la corruption
des.monumens hiftoriques obligeoit les auteurs
à tirer les anecdotes de leur roman des noms
même de leurs perfonnages. Ce fecret, à la vérité,
ne couvre qu’une abfurdité; mais il importe au mon-
de de la connoître ; & pour nous former à >cet égard
.une jufte idée du travail des anciens en ce genre, 8c
.nous apprendre les moyens de le décompoler,. il ne
-faut que contempler un cabalifte méditant fur une
Bible non ponâuée: s’il.trouve un mot qui le frappe,
il l’envifage fous toutes les formes, il le. tourne
8c le retourne , il l’anagrammatife, & par le fecours
des voyelles arbitraires il en épuife tous les fens poffibles,
avec lefquels il conftruit quelque fable ou
quelquemyftérieufe abfurdité;ou pour mieux dire,,
il ne fait qu’un pur logogryphe., dont la clé.fe trouv
e dans le mot dont il s’eft échauffé l’imagination,
quoique ce mot n’ait fouvent par lui-même aucun
.rapport à fes illufions. Nos logogryphes modernes
.font fans doute une branche de cette antique cabale;,
8c cet art puérile fait encore l’amufement des petits
efprits.TelIe a été enfin la véritable opération des fa-
buliftes 8c des romanciers de l’antiquité, qui ont été
en certains âges les feuls écrivains 8c les feuls hifto-
riens de prefque toutes les nations. Ils abuferent de
même des écritures myftérieufes que les malheurs
des tems avoient difperfées.par le monde, & qui fe
trouvoient féparées des voyelles qui en avoient été
la clé primitive. Ces fiecles de menfonge ne finirent
en particulier chez les Grecs , que vers les tems où
.les voyelles vulgaires ayant été heureufement in- :
ventées, l’abus des mots devint néceflairement plus :
difficile & plus rare ; on fe dégoûta infenfiblement
de la fable ; les livres fe tranfmirent fans altération ;
peu-à-peu l’Europe vit naître chez elle l’âge de
l’Hiftoire, 8c elle n’a ceffé de recueillir le fruit de
fa précieufe invention, par l’empire de la fcience
qu’elle a toûjours poffédé depuis cette époque.
Quant aux nations de l’Afie qui n’ont jamais voulu
Tome V I I I%
adopter les lettres voyelles de la Grèce comme la
Grecè avoit adopté leurs confonnes ; elles ont pref*
que toûjours confervé un invincible penchant pour
le myftere & pour la fable ; elles ’ont eu dans tous les
âges grand nombre d’écrivains cabaliftiques, qui en
ont impofé par de graves puérilités & par d’importantes
bagatelles ; 8c quoiqu’il y ait eu des tems où
les ouvrages des Européens les ont éclaires à leur
tour, 8c leur ont fervi de modèle pour compofer
d’excellentes chofes en différens genres, ils ont af-
.fe&é toûjours dans leur diâion des métathèles ou
anagrammes ridicules, des allufions 8c des jeux de
mots ; & la plûparr de leurs livres nous préfentent
le mélange le plus bizarre de ces penfées hautes 8c
fublimes qui ne leur manquent pas, avec un ftyle
.affeété 8c puérile.
Cette hiftoire des points voyelles.nous Offre fans
doute la plus forte preuve que l’on puifle donner.de
leur indifpenfable néceffité. Nous avons vû dans
quelles erreurs font tombées les nations qui les ont
perdus par accident, ou négligés par ignorance 8c
par mauvais goût. Jettons actuellement nos yeux fur
cet heureux coindu monde où cette même écriture,
qui n’étoit pour une infinité de peuples qu’une écriture
du menfonge & du délire, étoit pour le peuple
juif & fous la main de l’Efprit-faint, l’écriture de la
fageffe & de la vérité.
On ne peut douter que Moyfe élevé dans les arts
& les fciences de l’Egypte, ne fe foit .particulièrement
fervi de l’écriture * ponâuée pour faire connaître
fes lois, & qu’il n’en ait remis à l’ordre facer-
dotal qu’il inftitua, des exemplaires foigneufement
écrits en confonnes & en points voyelles, pour perpétuer
par leur moyen le fens 8c l’intelligence d’une
loi dont il avoit fi fort & fi fouvent recommandé
l’exercice le plus exaâ 8c la pratique la plus feverqi
Ce fage légiflateur ne pouvoit ignorer le danger des
lettres fans voyelles.;;il ne pouvoit pas non plus
ignorer les fiables qui en étoient déjà iflues de fon
tems : il n’a donc pû manquer à une précaution que
. l’écriture de fon fiecle exigeoit néceflairement, 8c
de laquelle dépendoit le fuccès de la légiilation. U
y auroit même lieu de croire qu’il en répandit aufli
des exemplaires parmi le peuple, puifqu’il en a ordonné
à tous la leâure 8c la méditation.aflidue;
mais il eft difficile à cet égard de penfer que les copies
en ayent été fort fréquentes, attendu que fans
le fecours de l’impreflionron n’a pû., dans ces pre*
,miers âges & chez un peuple qui fourniffoit 6oo mille
*Combattans, multiplier les livres en raifon des hommes
; nous ne devons fans doute voir dans.ce précepte
. que l’ordre de fréquenter aflidument lesin-
fti uâions publiques 8c journalières où les prêtres fai-
,foient Ialeâure & l’explication de cette loi. On nous
répondra fans doute que chaque ilraélite étoit Obligé
dans fa jeuneffe de la tranfcrire, 8c que les enfans
des rois n’étoient pas eux-mêmes exemts de ce devoir.
Mais fi cette remarque.nous fait connoître la véritable
étendue du précepte, de Moyfe, il y a toute
apparence qu’il en a. été de J’obfervance de ce précepte
comme à l’égard de.tànt d’autres, que les Hébreux
n’ont point pratiqués., & qu’ils ont. négligés
ou oubliés prefqu’auflitôt après le premier.com-
. mandement qui leur en ayoit été fait ;,pn fait que
, leur infidélité fur tous les points de leur loi a été
prefque aufli continue qu’inconcevable. Conduits
par D ieu même dans le defërt, ils y négligent la cir-
.co.ncifion pendant quarante ans, 8c toute la géné-
; *■ Comme le langage de l’Egypte n’a été qu’une dialecte
aflèz femblable aux langues de. Phénicie & dé Paleftine,
on cortjeétüre que l’écriture a dû être aùfîi la même. Ceci
eft d’autant plus vraiflemblablé , que les Hébreux écrivent
de droite à gauche ainfi qu’éeiivoient les Egyptiens, faloo
Hérodote.
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