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pénitens , & de recevoir d’eux en argent une caution
de leur repentir. . . . . /
La bil'arrerie des évenemens qui met tant de con-
tradiÔion dans la politique humaine, fit que le plus
violent ennemi des papes fut le prote&eur le plus
févere de ce tribunal-. .
L’empereur Frédéric IL accufé par le pape tantôt
d'être mahométan, tantôt d’être athée, crut fe
laver du reproche en prenant fous fa proteâiqn les
inquifiteurs ; il donna même quatre édits à Payie en
12.44, par lefquels il mandoit aux juges féculiers de
livrer aux flammes ceux que les inquifiteurs con-
flamneroient comme hérétiques obftines,& de laiffer
•dans une prifon perpétuelle ceux que Yinquifition
déclareroit repentans. Frédéric II. maigre cette politique
n’en fut pas moins perfécuté, & les papes fe
fervirent depuis contre les droits de l’empire des armes
qu’il leur avoit données.
En 12.5.5 le pape Alexandre III. établit Yinquijition
en France fous le roi S. Louis. Le gardien des Cordeliers
de Paris, &: le provincial des Dominicains
étoient les grânds inquifiteurs. Ils dévoient par la
bulle d’Alexandre III. c'onfulter les évêques, mais
ils n’en dépendoientpas. Cette étrange jurifdi&ion
donnée à des hommes qui font voeu de renoncer
au monde, indigna le clergé & les laïques au point
que bien-tôt le foulevement de tous les efprits ne
laiffa à ces moines qu’un titre inutile.
En Italie les papes avoient plus de crédit, parce
que tout defobéis qu’ils étoient dans Rome, tout
éloignés qu’ils en furent long-tems, ils étoient toujours
à la tête de la fa&ion Guelphe , contre celle
des Gibelins. Ils. fe fervirent cîe cette inquifition contre
les partifans de l’empire ; car en 1302 le pape
Jean XXII. fit procéder par des moines inquifiteurs;
contre Mathieu Vifcomti, leigneur de Milan, dont
Je crime étoit d’être attaché à l’empereur Louis dé
Bavière. Le dévouement du vaffal à fon luzerain
fut déclaré héréfie ; la mail'on d’Eft , celle de Ma-
latefta furent traitées de même, pour la même
caute ; & fi le fupplice ne fuivit pas la fentence,
c’eft qu’il étoit plus aifé aux papes d’avoir des inquifiteurs
que des armées.
Plus ce tribunal prenoit de l’autorité, & plus les
évêques qui fê voyoient enlever un droit qui fem-
bloit leur appartenir, le reciamoient vivement ;
cependant ils n’obtinrent des papes que d’être les
affeffeurs des moines.
Sur la fin du treizième fiecle en 1289, Venife avoit
déjà reçu Yinquijition, avec cette différence, que
tandis qu’ailleurs elle étoit toute dépendante du
p a p e , elle fut dans l’état de Venife toute foumife
au fénat. Il prit la fage précaution d’empêcher que
les amendes & les confiscations n’appartinfl'ent pas
aux inquifiteurs. Il efpéroit par ce moyen modérer
leur ze le , en leur ôtant la tentation de s’enrichir
par leurs jügemens : mais comme l’envie de faire
valoir les droits de fon miniftere, eft chez les hommes
une paflion aufli forte que l ’avarice, les entre-
prifes des inquifiteurs obligèrent le fénat long-tems
après R a vo ir au feizieme fiecle, d’ordonner que
yinquijition ne pourroit jamais faire de procédure
fans l’afiïftance de trois fénateurs. Par ce réglement,
& par plufieurs autres aufli politiques, l’autorité de
ce tribunal fut anéantie à Venife, à force d’être
éludée, Voye^ Fra-Paolo fur u t article.
Un royaume où il fembloit que Yinquijition dût
s’ établir avec le plus de facilité & de pouvoir, eft
précifément celui où elle n’a jamais eu d’entrée,
j’entends le royaume de Naples. Les fouverains de
cet état & ceux-de Sicile fe croyoient en droit, par
les conceflions des papes, d’y jouir de la jurifdi&ion
eecléfiaftique. Le pontife romain & le roi fe difputant
toujours à qui nommeroit les inquifiteurs , on n’en
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nomma, point ; & les peuplés profitèrent, p'our la
première fois des querelles de leurs maîtres. Si finar
lement Yinquijition fut autorifée en Sic ile, après
l’avoir été en Efpagne par Ferdinand & Ifabelle en
1478, elle fut en-Sicile, plus encore qu’en; Caftiile,
un privilège de la ,couronne , & non un tribunal
romain ; car en Sicile c’cft le roi qui eft pape.
II.y a voit déjà long-tems qu’elle étoit reçue dans
l’Arragon; elle.y languiflbit ainfi qu’en France, fans
fonâion , fans ordre, & prefque . oubliée. . j
Mais après la conquête de Grenade , ce tribunal
déploya dans tonte l’Efpagne cette force ôc cette
rigueur que .jamais n’avoient eu les tribunaux ordi?
naires. Il faut que le génie des Efpagnols eût alors
quelque chofe de plus impitoyable que celui des
autres nations. On le voit par les cruautés réfléchies
qu’ils, commirent dans le nouveau monde : on le
voit fur-tout ici par l’excès d’atrocité qu’ils portèrent
dans l’exercice d’une jurifdiûion où les Italiens
fes inventeurs metttoient beaucoup de douceur. Les
papes',avoient érigé ces tribunaux par politique, &
les inquifiteurs efpagnols y ajoutèrent la barbarie
la plus atroce.
Lorlque Mahomet IL eut fubjugué là Grece,. lui
& Ièsfucceffeurs laifferent les vaincus vivre en paix
dans leur religion : & les Arabes maîtres de l’Efpagne
n’avoient jamais forcé lés chrétiens regnicoles à recevoir
le mahômétilme. Mais après la prife de G renade
, le cardinal Ximènès voulut que tous les Maures
fuffent chrétiens, foit qu’il y fût porté par zele,
foit qu’il écoutât l’ambition de compter un nouveau
peuple fournis à fa primatiei
C ’étoit line entreprife direftement contraire au
traité par lequel les Maures s?étoient fournis, & il
falloir du tems pour la faire réuflir. Ximènès neanmoins
voulut convertir les Maures, aufli vite qu’on
avoit pris Grenade ; on les prêcha, on les perféeura,
ils fe fouleverent ; on les fournit, & on les força de
recevoir le baptême. Ximènès fit donner à cinquante
mille d’entr’eux ce figne-dé religion à laquelle ils
ne croyoient pas.
• Les Juifs compris dans le traité fait avec les rois
de Grenade, n’éprouverent pas plus d’indulgence
que les Maures. Il y en avoit beaucoup en Eijsagne.
Ils étoient ce qu’ils font par-tout ailleurs, les courtiers
du commerce. Cette profeflion bien loin d’être
turbulente, ne peut fubfifter que par un efprit pacifique.
Il y a plus de vingt-huit mille Juifs autorifés
par le pape en Italie: il y a près de 280 fynagogues.
en Pologne. La feule ville d’Amfterdam poffede environ
quinze mille H ébreux, quoiqu’elle puiffe aflii-
rément faire le commerce fans leur fecours. Les
Juifs ne paroifloient pas plus dangereux en Efpagne,
& les taxes qu’on pouvoit leur impofer étoient des
reffources affurées pour le gouvernement. Il eft
donc bien difficile de pouvoir attribuer à une fage
politique la perfécution qu’ils effuyerent.
L'inquifition procéda contr’eu x, & contre les Mu-
fulmans. Combien de familles mahométanes & juives
aimèrent mieux alors quitter l’Efpagne que de
foutenir la rigueur de ce tribunal ? Et combien Ferdinand
& Ifabelle perdirent-ils de fujets ? C’étoient
certainement ceux de leur fefte les moins à craindre,
puifqu’ils préféroient la fuite à la révolte. Ce qui
reftoit feignit d’être chrétien ; mais le grand inqui-
fiteur Torquemada fit regarder à la reine Ifabelle
tous ces chrétiens déguifés comme des hommes dont
il falloit confifquer les biens & proferire la vie.
Ce Torquemada dominicain, devenu Cardinal,'
donna au tribunal de Yinquifition efpagnole, cette forme
juridique qu’elle conferve encore aujourd’hui, &
qui eft oppolée à toutes les loix humaines. Il fit
pendant quatorze ans le procès à plus de 80 mille
hommes *
I N Q hommes, Sc en fit brûler cinq ou fix mille avec l’appareil
des plus auguftes fêtes.
Tout ce qu’on nous rapporte des peuples qui ont
facrifié des hommes à la divinité, n’approche pas
de ces exécutions accompagnées de cérémonies reli-
gieufes. Les Efpagnols n’en conçurent pas d’abord
affez d’horreur, parce que c’étoient leurs anciens
ennemis, & des Juifs qu’on facrifîoit ; mais bien-tôt
eux-mêmes devinrent vittimes : car lorfque les dogmes
de Luther éclatèrent, le peu de citoyens qui
fut foupçonnéde les admettre, fut immolé ; la forme
des procédures devint un moyen infaillible de perdre
qui on vouloit.
Voici quelle eft cette forme : on ne confronte
point les accufés aux délateurs, & il n’y a point de
délateur qui ne foit écouté : un criminel flétri par
la juftice, un enfant, une courtifane, font des accu-
fateurs graves. Le fils peut dépofer contre fon pere,
la femme contre fon époux, le frere contre fon
frere : enfin l’accufé eft obligé d’être lui-même fon
propre délateur, de deviner, & d’avouer le délit
qu’on lui fuppofe & que fouvent il ignore. Cette
procédure inouie jufqu’alors, & maintenue jufqu’à
ce jour, fit trembler l’Efpagne. La défiance s’empara
de tons les efprits; il n’y eut plus d’amis, plus
de fociété ; le frere craignit fon frere, le pere fon
fils, i’époufe fon époux: c’eft de-là que le filence eft
dèvenu le caraftere d’une nation née avec toute
la vivacité que donne un climat chaud & fertile ;■
les plus adroits s’emprefferent d’être les archers
de Yinquifition, fous le nom de fes familiers, aimant
mieux être fatellites que de s’expofer aux fup-
plices.
Il faut encore attribuer à l’établiffement de ce
tribunal cette prpfonde ignorance de la faine phi—
lofophie, où l’Efpagne demeure toujours plongée,
tandis que l’Allemagne, le Nord, l’Angleterre, la
France, la Hollande, & l’Italie même ont découvert
tant de vérités, & ont élargi la fphere de nos con-
noiffances. DefCartes philofophoit librement dans
fa retraite en Hollande, dans le tems que le grand
Galilée à l’ âge de 80 ans, gémifloit dans les prifons
de Yinquifition, pour avoir découvert le mouvement
de la terre. Jamais la nature humaine n’eft fi avilie
que quand l’ignorance eft armée du pouvoir ; mais
ces triftes effets de Yinquifition font peu de chofe en
comparaifon de ces facrinces publics qu’on nomme
auto-da f é , a&esde foi, & des horreurs qui les précèdent.
C ’eft un prêtre en furplis ; c’eft un moine voué
à la charité & à la douceur, qui fait dans de vaftes
& profonds cachots appliquer des hommes au x tortures
les plus cruelles. C ’eft enfuite un théâtre dreffé
dans une place publique, où l’on conduit au bûcher
tous les condamnés , à la fuite d’une proceffion de
moines & de confrairies. On chante, on dit la mefle,
& on tue des hommes. Un afiatique qui arriveroit
à Madrid le jour d’une telle exécution, ne fauroit
fi c’eft une réjouiffance, une,fête religieufe, un fa-
crifice, ou une boucherie ; & c’eft tout cela enfem-
ble. Les rois, dont ailleurs la feule préfence fiTffit
pour donner grâce à un criminel, aflïftent *à ce
îpeftacle , fur un fiege moins élevé que celui de
l’inquifiteur, & voyent expirer leurs fujets dans les
flammes. On reprochoit à Montézuma d’immoler
des captifs à fes dieux; qu’auroit-il dit s’il avoit vû
un auto-da f é ?
Ces exécutions font aujourd’hui plus rares qu’au-
trefois ; mais la raifon qui perce avec tant de peine
quand le fanatifme eft fur le trône, n’a pu lés abolir
encore.,
Uinqufition ne fut introduite dans le Portugal
que vers l’an 15 57, & même quand ce pays n’étoit
point fournis aux Efpagnols, elle effuya d’abord
Tome V III,
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toutes les contradictions que fon feul nom devroit
produire : mais enfin elle s’établit, & fa jurifpru-
dence fut la même à Lisbonne qu’à Madrid. Le grand
inquifiteur eft nommé par le roi, & confirmé par
le pape. Les tribunaux particuliers de cet office
qu’il nomme faint, font fournis en Efpagne & en
Portugal, au tribunal de la capitale. Vinquifition eut
dans ces deux états la même févérité & la même
attention à fignaler fa puiffance.
En Efpagne, après le décès de Charles-quint, elle
ofa faire le procès à l’ancien confeffeur de cet empereur
, à Conftantin Ponce, qui périt dans un cachot
, & dont l’effigie fut enfuite brûlée dans un
auto-da fé.
En Portugal Jean de Bragance ayant arraché fon
pays à la domination efpagnole, voulut aufli le délivrer
de Yinquifition : mais il ne put réuflir qu’à
priver les inquifiteurs des confifcations ; ils le déclarèrent
excommunié après fa mort ; il fallut que la
reine fa veuve les engageât à donner au cadavre
une abfolution aufli ridicule qu’elle étoit honteufe :
par cette abfolution on le dèclâroit coupable.
Quand les Efpagnols pafferent en Amérique , ils
portèrent Üinquifition avec eux. Les Portugais l’in-
troduifirent aux Indes occidentales, immédiatement
après qu’elle fut autorifée à Lisbonne.
On lait l’hiftoire de Yinquifition de Goa. Si cette
jurifdiéfion opprime ailleurs le droit naturel, elle
etoit dans Goa contraire à la politique. Les Portugais
n’alloient aux Indes que pour y négocier. Le
commerce &c Yinquifition font incompatibles. Si elle
étoit reçue dans Londres & dans Amfterdam, ces
villes feroient defertes & miférables :’en effet quand
Philippe II. la voulut introduire dans les provinces
de Flandres, l’interruption du commerce fut une
des principales caufes de la révolution.
La France & l’Allemagne ont été heureufement
préfervées de ce fléau ; elles ont effuyé des guerres
horribles de religion, mais enfin les guerres finif-
fent, & Yinquifition une fois établie femble devoir
être éternelle.
Cependant le roi de Portugal a finalement fecoué
fon joug en fuivant l’exemple de Venife ; il a fage-
ment ordonné, pour anéantir toute puiffance de
Yinquifition dàns fes états, i° . que le procureur général
accufateur communiqueroit à l’accufé les articles
de l’accufation, & le nom des témoins : 20.
que l’accufé auroit la liberté dechoifir un avocat,
& de conférer avec lui : il a de plus défendu
d’exécuter aucune fentence de Yinquijition qu’elle
n’eût été confirmée par fon confeil. Ainfi les projets
de Jean de Bragance ont été exécutés un fiecle
après par un de fes fucceffeurs.
Sans doute qu’on a imputé à un tribunal, fi jnf-
tement détefté, des excès d’horreurs qu’il n’a pas
toujours commis,: mais c’eft être mal-adroit que de
s’élever contre Yinquifition par des faits douteux,
& plus' encore , de chercher dans le menfonge de
quoi la rendre odieufe ; il fùffit d’en connoître l’ef-
prit.
Béniffons le jour où l’on a eu le bonheur d’abolir
dans ce royaume une jurifdi&ion fi contraire à l ’in-
dépèndance de nos rois, au bien de leurs fujets,
aux libertés de l’églife gallicane, en un mot à toute
fage police. Uinquifirion èft un tribunal qu’il faut re-
jetter dans tous le$ gouvernemens. Dans la monarchie
, il ne peiit faire que des hypocrites., des délateurs
& des traîtres. Dans les républiques, il ne
peut former que de malhonnêtes gens. Dans l’état
defpotique ,'il eft deftruéleur comme lui. Il n’a fèrvi
qu’à faire perdre au pape un des plus beaux fleu-
rons de fa couronne, les Provinces-unies} & à brû-
lèr ailleurs, aufli cruellement qu’inutilement, uç
grand nombre de malheureux.
F F f f f