-droite 6c à gauche de ce fleuve. Il avoit fallu que
«es peuplés rafl'iiinblés enflent les inftrumens du labourage,
ceux de l’Architecture , une grande con-
noiflance de l’Arpentage , avec des lois 6c une police
: tout cela demande- néceflaifemcnt un elpace
de tems prodigieux. Nous voyons par les longs détails
qui retardent tous les jours nos entrepriïès les
plus néceffaires & les plus petites , combien il eft
difficile de taire de grandes choies, Ôc qu’il faut non-
feulement une opiniâtreté infatigable, mais piuiieurs
^générations animées de cette opiniâtreté.
Cependant que ce foit Mènes ou Thot, ou Chéops,
©u Ramelses., qui aient élevé une ou deux de ces
prodigieiifes maffes, nous n’en ferons pas inftruits
de Yhijloire de l’ancienne Egypte : la langue de ce
peuple eft perdue. Nous ne lavons donc autre chofe
linon qu’avant les plus anciens hiftoriens, il y avoit
de quoi faire une hifîoire ancienne-.
Celle que nous nommons ancienne> 6c qui eft en
effet récente-, ne remonte guere qu’à trois mille ans:
nous n’avons avant ce tems que quelques probabilités
: deux feuls livres profanesont confervé ces probabilités
; la chronique chinoife, & Ÿhiftoire d’Hérodote.
Les anciennes chroniques chinoiles ne regardent
que cet empire féparé du refte du monde» Héro»
dote, plus i-ntéreflant pour nous , parle de la terre
alors connue ; il enchanta les Grecs en leur récitant
les neuf livres de ion hifîoire , par la nouveauté de
cette entreprilé 6c par le charme de fa diûion, 6c
liir-tout par les fables. Prelque tout ce qu’il raconte
fur la foi des étrangers eft fabuleux î mais tout ce
qu’il a vu eft vrai. On apprend de lu i, par exemple,
quelle extrême opulence 6c quelle fplendeur régnoit
dans l’Afie mineure , aujourd’hui pauvre & dépeuplée.
Il a vû à Delphes les préfens d’or prodigieux
que les rois de Lydie avoient envoyés à Delphes,
& il parle à des auditeurs qui connoi-ffoient Delphes
comme lui. Or quel efpace de tems a dû s’écouler
avant que des rois de Lydie euffent pu amaffer aflez
de tréfois fuperflus pour faire des préfens fl confidé-
rables à un temple étranger !
. Mais quand Hérodote rapporte les contes qu’il a
entendus , fon livre n’eft plus qu’un roman qui ref-
femble aux fables milléfiennes. C ’eft un Candaule
qui montre fa,femme toute nue à fon ami Gigès ;
c ’eft cette femme, quipar modeftie, ne laifle à Gigès
que le choix de tuer fon mari, d’épouferla veuv
e , ou de périr. C ’eft un oracle de Delphes qui dé-
vine que dans le même tems qu’il parle^ Créfus à
cent lieues de là , fait cuire une tortue dans un plat
d’airain. Rollin qui répété tous les contes de cette
efpece , admire la fcience de l’oracle, & la véracité
d’Apollon, ainfi que la pudeur de la femme du roi
Candaule ; & à ce fujet, il propofe à la police d’empêcher
les jeunes gens de fe baigner dans la rivière.
Le tems eft fi cher, & Vhifîoire fi immenfe, qu’il faut
épargner aux lefteurs de telles fables & de telles moralités.,.
.
. hifîoire de Cyrils eft toute défigurée par des traditions
tabuleufeSj II y a grande apparence que ce
K i r o , qu’on nomme Cyrus, à la tête des peuples
guerriers d’Elam, conquit en effet Babylone amollie
,par les délices. Mais on ne fait pas feulement quel
roi régnoit alors à Babilone ; les uns difent Balta-
zar , les autres Anabot. Hérodote fait tuer Cyrus
dans une expédition contre les Maffagettes. Xéno-
phon dans fon roman moral & politique, le fait mourir
dans fon lit.
- . On ne fait autre chofe dansces ténèbres de Yhij-
toire , linon qu’il y avoit depuis très-longtems de
vaftes empires, & des tyrans dont la puiffance étoit
fondée fur la mifere publique ; que la tyrannie étoit
parvenue jufqu’à dépouiller les hommes de leur v irilité
, pour s’en feryir à d’infames plaifirs au fortir
de Penfancè , & pour, les employer dans leur vieil»
-leffe à la garde des femmes ; que la fuperftition gou»
vernoit les hommes ; qu’un longe étoit regardé corn*
me un avis du c iel, &c qu’il décidoft de la paix & de
la guerre, &c. ;
A melurequ’Hérodote dans fon kijloire fe rapproche
de fon tems , il eft mieux inftruit 6c plus vrai.
Il faut avouer que Yhifîoire ne commence pour nous,
qu’aux entreprîtes des Perfes contre les .Grecs. On
ne trouve avant ces grands événemens que quelques
récits vagues, enveloppés de contes puérilès. Hérodote
devient le modèle des hiftoriens, quand il décrit
ces prodigieux préparatifs de Xerxès pour aller
fubjuguer la G rece, & enfuite l’Europe. Il le mene,
fuivi de près de deux millions de foldats, depuis
Suze julqu’à Athènes. Il nous apprend , comment
étoient armes tant de peuples différens1 que ce monarque
traînoit après lui: aucun n’eft oublié, du fond
de l’Arabie 6c de l’Egypte, jufqu’au delà de la Bac-
triane 6c de l’extrémue leptentriOnale de la mer Caf-
pienne, pays alors habite par des peuples puiffans,
& aujourd’hui par des Tartares vagabonds. Toutes
les nations, depuis le Bol'phore de Thracé jufqu’au
Gange, font fous fes étendards. On voit avec eton-
nement que ce prince poffédoit autant de terrein
qu’en eut l’empire romain ; il avoit tout ce qui appartient
aujourd’hui au grand mogol en-deçà du
Gange ; toute la Perfe, tout le pays des Usbecs, tout
l’empire des Turcs, fi vous en exceptez laRomanie ;
mais en récompenfe il poffédoit l’Arabie. On voit
par l’étendue de fes états quel eft le tort des décla-
mateurs en vers 6c en proie, de traiter de fou Ale»
xandre , vengeur de la Grece, pour avoir, fubjugué
l’empire de l’ennemi des Grecs. Il n’alla en Egypte,
à T y r & dans l’Inde, que parce qu’il Je devoir , &
que T y r , l’Egypte 6c l’Inde appartenoient à la do»
mination qui avoit dévafté la Grece.
Hérodote eut le même mérite qu’Homere ; i l fut
le premier hiftorien comme Homere le premier poète
épique ; 6c tous deux faifirent les beautés propre?
d’un art inconnu avant eux. C’eft un fpeôacle admirable
dans Hérodote que cet empereur de l’Afie 6c
de l’Afrique, qui fait paffer fon armée immenfe fut
un pont de bateau d’Afie en Europe, qui prend la
Thrace, la Macédoine, la Theffalie , l’Achaie fu-
périeure, 6c qui entre^lans Athènes abandonnée 6c
deferte» On ne s’attend pwint que les Athéniens fans
ville , fans territoire , réfugiés fur leurs vaiffeaux
avec quelques autres Gre cs, mettront en fuite la
nombreufe flote du grand ro i, qu’ils rentreront chez
eux en vainqueurs , qu’ils forceront.Xerxès à ramener
ignominieufement les débris de fon armée, 8c
qu’enfuite ils lui défendront par un traité, de naviger
fur leurs mers. Cette fupériorité d’un petit peuple
généreux & libre, fur toute l’Afie e fclave, eft peut-
être ce qu’il y a de plus glorieux chez les hommes*
On apprend aufli par Cet événement, que les peuples
de l ’Occident ont toujours été meilleurs marins
que les peuples afiatiques. Quand on lit Y hifîoire mo»
derne , 1a viâoire de Lépante fait fpuvenir de celle
de Salamine, & on compare dom Juan d’Autriche 6c
Colone, à Thémiftoele 6c £ Euribiades. Voilà peut»
être le feul fruit qu’on peut tirer de la connoiffance
de ces tems reculés. ;
Thucydide , fucceffeur d’Hérodote , fe borne à
nous détailler Yhijloire de la guerre du Péloponnèfe,
pays qui n’eft pas plus grand qu’une province de
France ou d’Allemagne, mais qui a produit des hommes
en tout genre dignes d’une réputation immortelle
î 6c comme fi la guerre-civile, le plus horrible
des fléaux, ajoutoit un nouveau feu & de: nouveaux
refforts à l’efprit humain, c’eft dans ce tems que tous
les arts floriffoient en Grece. C’eft ainfi qu’ils commencent
à fe perfectionner enfuite à Rome dans d’autfes
güerrés civiles du tems de Cefar, & qu’ils ré-
naiffent encore dans notre xV. & x v j , fiecle de l’erc
Vulgaire, parmi les trôublès de l’Italie*
Après cette guerre dti Péloponnèfe , décrite par
Thucydide,vient le tems célébré d’Alexandre, prince
digne d’être é levépaf A riftote, qui fonde beaucoup
plus de villes que les autres n’en Oht détruit, & qui
change le commerce de l’Univers. D e fon tems, ô£
de celui de feS fitccefleurs, floriffoit Carthage ; &
la république romaine comftiençoit à fixer fur elle
les regards des natiohs. Tout le refte eft enfeveli
dans la Barbarie : ies Celtes, les Germains, toits les ■
peuples du Nord font ihConnus.
L’hifîoire de l’eiîipire romain eft ce qui mérite lë
plus notre attention, parce que ies Romains oht été
nos maîtres & nos légiflateurs. Leurs loix font encore
en vigueur dans la plupart de hos provinces :
leur langue fe parle encore, 6c Iongtems après leur
chute, elle a été la feule langue dans laquelle ôn rédigeât
lesades publics en Italie, en Allemagne, eh
Elpagne, en France , eh Angleterre , en Pologne.
Au démembrement de l’empire romain en Occident
, commence un nouvel ordre de chofes, & c’eft
Ce qu’ôn appelle Yhijloire du moyen âge ; hijloire barbare
de peuples barbares , qui devenus chrétiens ,
n’en deviennent pas meilleurs.
Pendant que l’Europe eft ainfi boulverfée, on voit
paroître au vij. fiecle les Arabes , jufques-là renfermés
dans leurs deferts. Ils étendent leur puiflance &
leur domination dans la haute A fie, dans l’Afrique,
& envahiffent l’Efpagnei les Turcs leur füCcedent%
6c établiffent le fiége de leur empire à Conftantino- :
p ie , au milieu du xv* fiecle»
C ’eft fur la fiil de ce fiecle qü’uh nouveau mondé
eft découvert ; & bientôt après la politique de l’Europe
6c les arts’ prennent une forme nouvelle. L’art
de l’Imprimerie, & la reftauration des fciences, font
qu’enfin on a des hijloires allez fideles , ait lieu des
chroniques ridicules renfermées dans les cloîtres depuis
Grégoire de Tours. Chaque nation dans l’Europe
a bientôt fes hiftoriens. L’ancienne indigence
fe tourne en fuperflu : il n’eft point de ville qui ne
veuille avoir fon hijloire particulière. On eft accablé
foiis le poids des minuties. Un homme qui veut
s ’inftruire eft obligé de s’en tenir au fil des grands
événemens, 6c d’écarter tous les petits faits parti-
ctiliers qui viennent à la traverfe ; il faifit dans la
multitude des révolutions, l’efprit des tems & les
moeurs des peuples. Il faut fur-tout s’attacher à Yhif*
toire de fa patrie, l’étudier , la pofleder, réferver
pour elle les détails, 6c jetter une vue plus générale
fur les autres nations. Leur hijloire n’eft intéreffante
que par les rapports qu’elles ont avec nous, ou par
les grandes chofes qu’elles ont faites ; les premiers
âges depuis la chute de l’empire romain , ne font,
comme on l’a remarqué ailleurs, que des avantures
barbares , fous des noms barbares, excepté le tems
de Charlemagne. L’Angleterre refte prefque ifolée
jufqu’au régné d’Edouard III. le Nord eft fauvage juf»
qu’au xvj. fiecle ; l’Allemagne eft Iongtems une anarchie.
Les querelles des empereurs 6c des papes defo-
lent 6oo ans l’Italie, & il eft difficile d’appercevoir
la vérité à-travers les pallions des écrivains peu inftruits
, qui ont donné les chroniques informes de ces
tems malheureux. La monarchie d’Efpagne n’a qu’un
événement fous les rois Vifigoths ; & cet événement
eft celui de fa deftruâion. Tout eft confufion juf-
jqu’au régné d’Ifabelle & de Ferdinand. La France
jufqu’à Louis XI. eft en proie à des malheurs obfcurs
fous un gouvernement fans réglé. Daniel a beau pré-
?en,dry i ue ^es premiers tems de la France font plus
»ntereffans que ceux de Rome : il ne s’apperçoit pas
que les commencemens d’un fi vafte empire font d’autant
plus intéreffans qu’ils font plus foibles, 6c qu’on
àimè à voir la petite fource d’üri torrent qtii à inôndé
la moitié de la terre.
Pour pénétrer dans îë labyrinthe ténébreux dii
moyen âg e, il faut le fecours des archives , & on
n’ën a prefque pôirtt. Quelques anciens couvens ont
confervé des chartreS, des diplômes , qui contiennent
des donations * dont l’âutorité eft quelquefois
conteftée ; ce n’eft pas là Un recueil où Fort puifle
S’éclairer fur Yhijloire politique, & fur le droit publie
de 1 Europe. L Angleterre e f t , de tous les pays, celui
qui a fans contredit, les archives les plus ancien-
îles & les plus fuivies. Ces aûes recueillis pat Rimer ,
fous,lés aüfpices de la reine Anne, commencent avec
te *ij. fiecle, & font commués farts interruption iuf-
tju’à nos jours. Ils répandent une gtàndè lumière fut 1 liitMire dé France. Us font voir pat exemple, que
la Guienne appartenoit aux Anglois én foüvërainèré
abfoluê, quand le roi de France Charles V. ]a £on-
fifqua pat un arrêt, & s’en empara par les ainies. Oit
ÿ apprend quelles fouîmes confidérables, & quelle
èfpece de tribut paya Louis X L au roi Edouard IVr
qu’il pouvoit combattre ; & combien d’argent la reine
Ëlifabeth prêta à Henri le Grand, pour Faider à
monter fur fon thrône, &à.
De V utilité de VHifîoire. Cet avantagé cdnfifte dàns
la comparaison qu’un homme d’état,un citoyen peut
faire des loix & des moeurs étrangères avec celles
de fon pays : c’eft ce qui excite les nations ffiorder-
nes à enchérir les unes fur les autres dans les arts ,
dans le commerce , dans l’Agriculture. Les grandes
fautes paffées fervent beaucoup en tout gehre. On
ne fauroit trop remettre devant les yeux les crime?
& les malheurs Caufés par des querelles abfurdes. II
eft certain qu’à force de renouveller la mémoire de
ces querelles, on les empêche de renaître.
C ’eft pour avoir lu les détails des batailles de
Cre ci, de Poitiers, d’Azincourt, de Saint-Quentin
de Gravelines 9&c. que le célébré maréchal deSaxe
fe déterminoit à chercher, autant qu’il pouvait, ce
qu’il appelloit des affaires depofle.
Les exemples font un grand effet fur Fefprit d’un
prince qui lit avec attention. Il verra qu’Henri IV.
n’entreprenoit fa grande guerre, qui de voit changer
le fyftème de l’Europe , qu’après s’être affez affûté
du nerf de la guerre, pour la pouvoir foutenir plu-
fieurs années fans aucun fecours de finances.
Il verra que la reine Ëlifabeth, par les feüles ref»
fources du commerce & d’une fage économie ré-
fifta au puiffant Philippe II. & que de cent vaiffeaux
qu’elle mit en mer contre la flotte invincible, les
trois quarts étoient fournis par les villes commerçantes
d’Angleterre.
La France non entamée fous Louis XIV. après
neuf ans de la guerre la plus malheureufe, montrera
évidemment l’utilité des places frontières qu’il conf»
truifit. En vain l’auteur des caufes de la chûte de l’empire
romain blâme-t-il Juftinien, d’avoir eu la même
politique que Loüis X IV . Il ne devoit blâmer que
les empereurs qui négligèrent ces places ffontietes,
6c qui ouvrirent les portes de l’empire aux Barbares*
Enfin la grande utilité de Yhijloire moderne, &
l’avantage qu’elle a fur l’ancienne, eft d’ïpptendre
à tous les potentats, que depuis le xv. fiecle on s’eft
toujours réuni contre une puiflance trop prépondérante.
C e fyftème d’équilibre a toujours été inconnu
des anciens, & c’eft la raifon des fuccès du peuple
romain, qui ayant formé une milice fupérietire à
celle des autres peuples , les fubjugua l’un après
l’autre, du Tibre jufqu’à l’Euphrate.
De la certitude de VHijloire. Toute certitude qui
n’eft pas démonftration mathématique, n’eft qu’une
extrême probabilité. Il n’y a pas d’autre certitude
hiftofique.
Quand Marc Paul parla le premier, mais le feut^