57» I M M Dans notre ufage on joint fouyent ensemble les
termes de franchifes , libertés , privilèges , exemptions
& immunités. Ces termes ne font cependant
pas fynonymes. La franchife confifte à n être pas
fujet à certaines charges ou devoirs ; les libertés font
auffi à-peu-près la même chofe que les franchifes;;
le privilège confiée dans^uelqué droit qui n’eft pas
commun à tous ; le? exemptions & immunités qui
fignifient la même chofe, font l’affranchiffement de
quelque chatge ou devoir accordé à quelqu’un qui
fans cette exemption y auroit été fujet.
L’’immunité eft quelquefois prife pour le droit d’a-
fylc ; quelquefois le lieu même qui fert d’afyle, s’appelle
Y immunité ; quelquefois enfin le terme à? immunité
eft pris pour l’amende que l’on paye pour avoir
enfreint une immunité, comme quand on dit payer
/-immunité de VEglife.
Les immunités peuvent être accordées à des particuliers
, ou à des corps & communautés.
Lès provisions dés officiers contiennent ordinairement
la claufe que le pourvu jouira'des honneurs ,
prérogatives, franchifes^ privilèges, exemptions &
immunités attachés à loh office.
Les villes & communautés ont auffi leurs immunités.
Toute immunité doit être accordée par le prince
ou par quelqu’autre feigneur ou autre perfonne qui
eh a le pouvoir^
Au défaut de titre elle peut être fondée fur la
pofleffion. '
L'immunité eft perfonnelle ou réelle.
On entend par immunité perfonnelle celle qui
exempte la perfonne de quelque devoir perfonnel,
comme du fervice militaire de guet & de garde, de
tutëlIe-& curatelle , de la colleéle & autres fondions
publiques.
Telle eft auffi l’exemption de payer certaines im-
pofitions, comme la taille> les droits de péages, les
'droits dûs au roi pour mutation des héritages qui
font dans fa mouvance.
L‘immunité réelle eft celle qui eft attachée à certains
fonds, & dont le pofleflèur ne jouit qu’à caufe
-du fonds , & non à caufe d’aucune qualité perfon--
nelle. Telles font les immunités dont jouiffent ceux
qui demeurent dans certains lieux privilégiés, foit
pour l’exemption de taille , foit pour avôir'la liberté
de travailler de certains arts & métiers fans avoir
payé de maîtrife, foit pour n’être pas fujets à la
vifite & jurifdi&ion d’autres officiers que de ceux
qui ont autorité dans ce lieu.
Chaque ordre de l’état a fes immunités. La nobleffe
eft exempte de taille &c des charges publiques qui
font au-deffous de fa condition.
Les bourgeois de certaines villes ont auffi leurs
immunités plus ou moins étendues ; il y en a de communes
à tous les citoyens, d’autres qui font propres
à certaines profeffions, & qui font fondées ou fur
la néceffité de leur miniftere, ou fur l’honneur que
l’on .y a attaché.
Mais de toutes les immunités, les plus confidéra-
bles font celles qui ont été accordées foit à f Églife
en général, ou lingulierement à certaines Eglifes ,
chapitres & monafteres , ou à chaque eccléfiaftique
en particulier.
Ces immunités font de trois fortes ; les unes font
attachées à l’édifice même de l’Eglife, & aux biens
eccléfiaftiques; les autres font attachées à la perfonne
des eccléfiaftiques qui deffervent l’églife ; d’autres
enfin font attachées à la feule qualité d’ecclé-
iiaftique.
La première efpece A'immunités qui eft de celles
attachées à l’édifice même de l’églife, & aux biens
eccléfiaftiques; confifte i° . en ce que ces fortes de
Viens font hors du commerce. Les églifes font mifes
I M M. en droit dans la clafle des .chofes appellées resfacrct%
6c font du nombre de celles que les loix appellent
res nulliusy parce qu’elles n’appartiennent proprement
à perfonqe ; elles font hors du patrimoine, &
he peuvent être engagées, vendues, ni autrement
aliénées.
Nous n’avpns pourtant pas là-deflus tout-à-fâit
les mêmes .idées ’que les Romains ; car félon nos
moeurs, quoique les églifes n’appartiennent proprement
à perfonne, cependant par leur deftination
elles font attachées à certaines perfonnes plus particulièrement
qu’à d’autres; ainfi chaque églife cathédrale
eft le chef-lieu du dioCefe ; chaque églife
jyaroiffiaie eft propre à fes parojffiens ; les églifes
monachales appartiennent chacune à quelque ordre
pu congrégation, & ainfi des autres ; de forte qu’on
pourroit plutôt mettrè les églifes dans la clafle des
chofes appellées en droit res communes, dont la propriété
n’appartienf à perfonne, mais dont l’ufage eft
commun à tout le monde.
Les biens d’cglife ne peuvent être engagés, vendus,
ni autrement aliénés, fans une néceffité ou
Utilité évidente pour l’églife, & fans y obferver
certaines formalités qui font une enquête de com-
modo & incommodo , l’autorifation de l’Ëvêque dip-
çéfain , le confentement du patron s’il y en a un ,
qu’il y ait des publications faites en juftice en présence
du miniftere public, enfin que le contrat d’alienation
foit homologué par le jupe royal.
i° . La prefcription des biens d’eglife ne peut être
acquife que par quarante ans , à la différence des
biens des particuliers, q u i, félon le droit commun ,
fe prefcrivent par dix ans entre prélens, & vingt
ans entre abfens avec titre , & par trente ans fans
titré.
3°. U immunité des églifes confifte en ce qu’elles
font tenues en franche-aumône. Le feigneur, qui
donne un fonds pour conftruire une églife , cimetière
ou autre lieu facré, ne fe réferve ordinairement
aucun droit qi devoir fur les biens par lui donnés
§jj auquel cas on tient communément qu’il ne r e f
te plus ni foi ni jurifdiâion fur le fonds , du-moins
quant à la chofe, mais non pas quant aux perfonnes
qui font toujours jufticiables du juge du lieu ; 6c
même quoique le feigneur ne perçoive aucune redevance
fur le fonds, & qu’on ne lui en pafle point
de déclaration ou av eu , il ne perd pas pour cela
fa direfte ni fon droit de juftice fur le fonds même ,
de forte que s’il eft néceflaire défaire quelqu’aâe de
jurifdiflibn dans l’églife même, fes officiers font
conftam ment en droit de le faire.
Le feigneur conferve auffi fur lefonds-aumôné le
droit de patronage.
On diftingue la pure - aumôme de la tenure en
franche-aumône ; la première, eft quand on donne
à l’églife des biens temporels, produifans un revenu
fur lefquelsle fie f& la jurifdiâion demeurent, foit
au donateur, s’il' a le fief & la jurifdiélion fur le
lieu, foit au feigneur, fi le donateur ne l’eft pas;
les héritages donnés à l’églife en pure-aumône font
tenus franchement, & fans en payer aucune redevance
ni autre droit, fi ce n’eft a d obfequium pre-
cum.
Mais l’églife ne poflede en franche-aumône ou
pure-aumône que ce qui lui a été donné à ce titre ;
fes autres biens font fujets aux mêmes lois que ceux
des particuliers.
4°. Une autre immunité des églifes, c’étoit le
droit d’afyle ; mais ce privilège n’appartenoit pas
lingulierement à l’églife, car il tiroit fon origine de
c'e que dans là loi ae Moïfe, Dieu avoit lui-même
établi fix villes de refuge parmi les Ifraëlites , où les
coupables pouvoient le mettre en fureté , lorfqu’ils
n’avpient pas commis uij crime de propos délibéré.
I M M Les payefls âvoient auffi leurs afyles ; non-feulement
les autels Ôç les temples en fervoient, mais auflî les
tombeaux 6ç les ftatues des héros» Il y a encore des
villes en Allemagne, qui ontconfervé ce droit d’afyle
; les palais des princes ont ce même privilège,
& tous les fouverains ont le droit d’afyle dans leurs
états ppijr les fujets d’un autre prince, qui.viennent
s’y réfugier , à moins que l’intérêt commun des puif?
lances fie dPhmodeqùe le coupable foit rendu à fon
fouverain*
À l’égard des églifes, ç’étoient les afyles les plus
inviolables ; dans leur inftitution ils ne devaient fer-
vir que pour lès infortunés & ceux que le hafard ou
la néceffité exppfoient à la rigueur de la lpî ; mais
dans la fuite pn en fit un ufage odieux , en les fai-
fant feryir à protéger Indifféremment & les coupables
malheureux & les plus grands fçeiérats,
L’empereur Arcadips fut le premier qui abolit ces
afyles ,"àl’inftigation d’Eutrope fon favpri ; il fit entre
autres chofes une loi pour aflujettir les oecoqo-
mes des églifes à payer les dettes des réfugiés que
les ciercs refufoient de livrer. Eutrope eut bientôt
lieu de fe repentir de ce qu’il avoit fait faire ; car
l’année d’après il fut obligé de venir chercher dans
l ’églife de Conftantinople l’afylp qu’il aypit voulu
fermer aux autres. Cependant ^.rcadius ne pouvant
réfifter aux cris du peuple qui demandpit Eutrppe ,
envoya pour l’arrachpr de l’autel ; une troupe dé
foldats vint affiéger l’églife l’épée à la main. Eutrope
fe cacha dans la facriftie; S. Jean Chrifoftpmé t
patriarche d,e cette églife, fe préfpnta po.ur appaifer
J a fureur des foldats. IJs fe faifirent de lui » & le menèrent
au palais comme un criminel ; mais il toucha
tellement l’empereur & ceux qui étoient préfens par
fes larmes & par ce qu’il leur djt fur le du
aux faipts autels , qu’il obtint eqfin qu’Eutrope de-
meurepoit en sûreté, tant qu’il feroit dans çe,t afyle.
Il en fprtit quelques jours après dans l’efpérançè dè
fe fauyer ; majs il fut pris & banni, & dans la même
année il eut la tête tranchée. Apres fa mprt,Arca-
dius rétablit l'immunité dps églifes.
Thpodorp le jeune fit en 431 une loi cpnçernant
les afyles dans les églifes. Çlle porte que les temples
dédiés doiyent être ouverts à tous ceux qui font en
péril, & qu’ils feront en sûreté non-feulement près
de l’autel, mais dans tous les bâtimens qui dépendent
dei’églife, pourvu qu’ils y entrent fans armes. Cette
)oifut faite à l’çccafion d’une profanation qui étoit
.arrivée nouvellement dans une églife de Conftantinople
; une troupe d’efçlaves s’y étant réfugiée près
.du fanêluaire, s’y maintint les armes à la main pendant
plufieurs jours, auboutdefquels ils s’égorgèrent
eux-mêmes.
L’empereur Léon fit auffi en 466 une loi, portant
défenfe fous peine capitale , de tirer perfonne des
églifes , ni d’inquieter les évêques & les cpçonomes
pour les dettes des réfugiés, dont on les rendoit ref-
ponfables fuiyant la loid’Arcadius.
Les évêques & les moines profitèrent de ces dif-
ppfitions favorables des fouverains pour étendre cette
immunité à tous les bâtimens qui étoient des dé-
pendançe§ de l’églife. Ils marquoient même au dehors
une enceinte, au-delà de laquelle ils plantoient
d,es bornes pour limiter la jurifdiâion féculiere. Ces
.couvens devenoient comme autant de fortprefijes pfi
Je crime étoit à l’abri, & bravoitla puiflance duma-
giftrat.
Nous ayons çi’anciens conciles qui ont fait de?
canons pour conferver aux églifes le droit d’afyle.
L ’approbajion que les fouverains y donnoient, contribua
beaucoup à fairve faire ces decrets.
En Italie & dans plufieurs autres endroits, les
.églifes & autres lieux faints font encore des afyles
pour les criminels. On y a même donné à ce priyi-
I M M 579 lége plus d’étendue qu’il n’a Voit anciennement.
En France, fous la première race de nos rois, le
droit d’ âfÿle dans les églifes était aqffi un droit tfès-
facré. L’églife de S. Martin de Tours étoit un alyie
des plus refpèâab.les ; on ne pp.uvpit le violer fans
fe rendre coupable"d’un facrilégè des plus fcancl^lpux.
Lb? çpuciles tenus alors dans les Gaules fecom-
mançjo.ipnt de ne po.int attenter aux afyles que l.’pn
cherçhoit dans les églifes.
L imniuniu futetënduç jufqu’aii parvis des églifes,
aux maifons des évêques, & à toiisles autres lieux
renfçrmqs dans leurs enceintes, afin de ne pa$ obli-’
ger les réfugiés de refier continuellement dans ï’é-
glifé, pii plufiçurs aâions, néceflajres à la v ie , ne
pourfoient fe faire avec bienféançe,
Lprfqu’il n’y avoit p.pjnt de porçhp , ou de ngryïa
& cimetiere fermé , Y immunité^s’étendoit fqr unar^
pentde terre autpnr de l’églifé ,r pomme, il eft dit
dans un decret de CIotaïre, qui eiftà’ Ia fuite de la
loi falique , § , xiij.
Les réfugiés avoient la liberté 4e faire venir des
vivres , & c’eût été violer Y immunité eccléfiaftique,
que de les en empêcher. On ne pouyoit les, tirer de
cet afy le, fans leur donner qne affprance jpridjquç
de la vie & de la rémiffipn de leprs crimes , fans
qu’ils fufient fujets à aucune peipe.
Charlemagne fit fur cette matierp deux capitulaires
fort différens|ÿun en 77^, portapç que ie§ eri-
minels. dignes 4e mort fuivant les lois, qui fe réfn-!
gient dans l ’églife, n’y doivent point être protégés ,
& qu’on ne doit pojnt les y tenir > ni leur porter à
manger ; l’autre qui fut fait en 78$, porte an-contraire
que Içs églifes, ferviront d’afyle à ceux qui s’y
réfugieront ; qu’cjh ne les condamner^ à m ort, ni à
mutilation de membre. ,
Mais i f faut obferver qu’on en pxceptoit certains
crimes , pour lefquels on n’açcprdë jamais de
gracp.
L’églife ne pouypit pas nôn plus fervir d’afyle
aux criminels qui s’étpient évadés 4e prïfon.
Lorfque le criminel avôit lé tems de fe retirer dans
unlieu d’afyle, avant que la juftice fe fût-emparép de
lu i, alors plie ne pouvait lui faire fpn prpcès ; mais
au bout de huit jours elle pouvoit l’obliger de forjur
rer le pays , fuivqnt çe qui eft dit pn l’ancienne çpu-
tume de Norman4ie , çhap. x*iv.
Philippe-le-Bel défendit de firerles coupables des
églifes, où ils étoient réfugiés, finon.dans les cas
où le droit l’autorifoit.
Enfin, François I. par fon ordonnance dp 1 J39 ,
art. t€ S 9 ordonne qu’il n’y aurpit lieu d'immunité
pour dettes ni autres matières civiles, & que l’on
pourra prendre toutes perfonnes en lieu de franchir
fe, fauf à les réintégrer, quand il y aura depret de
prife 4e corps décerné à l’encontre d’eux fur Ips in?
formations , & qu’il fera ainfi ordonné par le juge ;
tel eft le dernier état de Yimmunité eccléfiaftique
par rapport au droit d’afylp.
Pour ce qui eft des immunités qui peuvent appartenir
aux eççléfiaftiques, foit en corps , ou en particulier
, Ips princes chrétiens, pour marquer leur
refpeft envers l’églife dans la perfonne de fes minif-
tres, ont accorde aux eccléfiaftiques plufieurs privilèges,
exemptions & immunités , foit par rapport
à leur perfonne ou à leurs biens; ces privilèges font
certainement favorables ; on ne prétend pas les coutelier.
Mais il ne faut pas croire, comme quelques ecclé»
liaftiques l’ont prétendu, que ces prîyiléges foient
de droit divin, ni que l’églife foit dans une indépendance
abfolue de là puifiapce féculiere.
Il eft confiant que l’églife eft dans l’état & fous la
prote&ion du fouverain; les eccléfiaftiques fujets &c
citoyens de l’état par leur naiffancé, ne ceffent pas