de la grandeur & de la population de la Chine, .il
ne fut pas c ru , & il ne put exiger de croyance. Les
Portugais qui entrèrent dans ce vafte empire plu-
lieurs fiedes après , commencèrent à rendre la chofe
probable. Elle.eft aujourd’hui certaine, de cette certitude
qui naît de la difpofition unanime de mille témoins
oculaires de différentes nations, fans que per-
fonne ait réclamé contre leur témoignage.
Si deuxoutrois hiftoriens feulement a voient écrit
l’avanture du roi Charles XII. qui s’obftinant à ref-
ter dans les états du fultan fon bienfaiteur, malgré
lu i, fe battit avec fes domeftiques contre une armée
de janiffàires & de Tartares , j ’aurois fufpendu mon
jugement ; maisayant parlé à plufieurs témoins oculaires,
& n’ayant jamais entendu révoquer cette action
en doute, il a bien fallu la croire , parce qu’a-
près tou t, fi elle n’eft ni fage , ni ordinaire, elle
n’eft contraire ni aux loix de la nature, ni au caractère
dit’hérps.
Vhijloire .de l’homme au mafque de fer auroit paffé
dans mon efprit pour un roman , fi je ne la tenois
que du gendre du chirurgien, qui eut foin de cet
homme dans fa derniere maladie. Mais l’officier qui
le gardoit alors, m’ayant auffi atteflé le fait, & tous
ceux qui deyofent en être inflruits me l’ayant confirmé',
& les enfans desminiftres d’érat, dépofitaires
de ce fecret, qui vivent encore, en étant inflruits
comme m oi, j’ai donné à çette hifloire un grand dé-
gré de probabilité, dégré pourtant au-deflous de celui
qui fait croire l’affaire de Bender, parce que I’a-
vanture de Bender a eu plus de témoins que celle
de l’homme au mafque de fer.
Ce qui répugne au cours ordinaire de la nature ne
doit point rêjre cru , à moins qu’il ne foit atteflé par
des Hommes animés de l’efprit divin. Voilà pourquoi
à l'article Certitude de ce Dictionnaire, c’eft un
grand paradoxe de dire qu’on devroit croire aufli-
bien tout Paris qui affirmeroit avoir vu réfufçiter un
mort, qu’on croit tout Paris quand il dit qu’on a gagné
la bàtaiHe deFontenoy. Ilparoît évident que le
témoignage de tout Paris lur une chofe improbable,
ne fauroit être égal au témoignage de tout Paris fur
une chofe probable. Ce font là les premières notions
d e là faine Métaphyfique. Ce Dictionnaire eft con-
facré à la vérité ; un article doit corriger l’autre ; &
s’il fe trouve ici quelque erreur, elle doit être relevée
par un ;homme plus éclairé.
Incertitude, de V Hifloire. On a diftingué les tems en
fabuleux & hifloriques. Mais les tems hiftoriques au-
roientdû être diflingués eux-mêmes en vérités & en
fables. Je ne parle pasici des fables reconnues aujourd’hui
pour telles ; il'n’eft pas queflion, par exemple
, des prodiges- dont Tite-Live a embelli ou gâté
ion hifloire. Mais dans les faits les plus reçus que de
raifons de clouter.? Qu’on fafle attention que la république
romaine a été cinq .cens ans fans hiftoriens,,.
& que Tite-Live lui-même déplore la perte
des .annales des pontifes & des autres monpmens qui
périrent .prefque tous dans l’incendie de Rome , ple-
raque. inurie.rt ; qu’on fonge que dans les trois cens
premier.es années, l’art d’écrire étoit très-rare, ram
ptr eade/fl. .ixnipoia lifter,oe. Il fera permis alors de douter
de.tpws les éyenemensquine fontpasdansl’ordre
ordinaire des çhgfes humaines. Sera-t-il bien probable
que Romulus , le petit-fils du roides Sabins, aura
été .forcé d’enlever ides-Sabines pour avôir .cles femmes.
.deLucrç^cje _fera-t-élle bien yraiflemblable
?‘.croira:t-on aiféipent fur la foi de .Tite-Live,
que le roi PÔrfeqna s’e^fiut plein d’admiration pour
les Romains, parce qifun fanatique avoit voulu J’af-
fafliner ? Nefera^tion p^sporté au,contraire, à croire.
Rolybe , auteriei^r^ Tirerj^ive de deux gens années,
qui dit que Porfenna fubjügua lés Romains. L ’ayan-
^ R'e^ lis > «nfergçé par .les-Garthaginois ..^ns
un tonneau garni de pointes de f e r , merite-t-elle
qu’on la croie ? Polybe contemporain n’en auroit-il
pas parlé, fi elle avoit été vraie ? il n’en dit pas un
mot. N’efl-ce pas une grande préfomption que ce
conte ne fut inventé que long-tems après pour rendre
les Carthaginois odieux ? Ouvrez le dictionnaire
de Moréri à l’article Régulus , il vous allure que le
fupplice de ce Romain eft rapporté dans Tite-Live.
Cependant la Décade où T ite-Live auroit pû en parler
eft perdue ; on n’a que le fupplément de Frein-
femius , & il fe trouve que ce dictionnaire n’a cité
qu’un allemand duxvij.fiecle, croyant citer un romain
du teriis d’Augufte. On feroit des volumes im-
menles de tous les faits célébrés & reçus, dont il faut
douter. Mais les bornes de cet article ne permettent
pas de s’étendre.
Les monumens , les cérémonies annuelles , les médailles
mêmes, font-elles des preuves hifloriques ? On eft
naturellement porté à croire qu’un monument érigp
par une nation pour célébrer un événement, en attelle
fe certitude. Cependant, lices monumens n’ont
pas ere elevés par des contemporains ; s’ils célèbrent
quelques faits peu- vraiflemblables, prouvent-ils autre
chofe , linon qu’on a voulu conlacrer une opinion
populaire ?
La colonne roftrale érigée dans Rome par les
contemporains de Duîllius, eft fans doute une preuve
de la victoire navale de Duillius. Mais la ftatug
de l’augure N avius, qui coupoit un caillou avec un
fafoir, prouvoit-elle que Navius avoit opéré ce.prodige
? Les ftatues de Cérès & de T riptolème, dans
Athènes, étoient-elles des témoignages incontefta-
bles que Cérès but enfeigné l’Agriculture aux Athér
niens ? Le fameux Laocôon, qui fubfifte aujourd’hui
fi entier, attefte-t-il bien la vérité de Vhijloire du
cheval de Troie ?
Les cérémonies, les fêtes annuelles établies par
toute une nation, ne conftatent pas mieux l’origine
à laquelle on les attribue. La fête d’Arion porté fur
un dauphin, fe célébroit chez les Romains comme
chez les Grecs. Celle de Faune rappelloit fon aventure
avec Hercule & Omphale, quand ce dieu
amoureux d’Omphale prit le lit d’Hercule pour celui
de fa maîtreffe.
La fameufe fête des Lupercales étoit établie en
l’honneur de la louve qui allaita Romulus & Remusi
Sur quoi étoit fondée la fête d’Orion, célébrée le
5 des ides de Mai ? Le voici. Hirée reçut chez lui
Jupiter , Neptune & Mercure ; & quand fes hôtes
prirent congé , ce bon homme, qui n’avoit point de
femme, & qui vouloit avoir un enfant, témoigna fâ
douleur aux trois dieux. On n’ofe exprimer ce qu’ils
firent fur la peau du boeuf qu’Hirée leur avoit fervi
a manger ; ils couvrirent enfuite cette peau d’un
peu de terre, & de-là naquit Orion au bout de neuf
mois.
Prefque toutes les fêtes romaines, fyriennes, gre-
ques, égyptiennes, -étoient fondées lur de pareils
contes, ainfi que les temples & le s ftatues des anciens
héros. C ’étoient.des monumens que la crédulité
confacrgit à l’erreur.
Une médaille, mêqe contemporaine, n’eft pas
quelquefois une preuve. Combien la flatterie n’a-
t-elle pas frappé de médailles fur des batailles très?
indécifes, qualifiées de yiâoires, & fur des entre*
prifes manquées, qui. n’pnt été achevées que dans
la légende. N’a-t-on pas, en dernier lieu , pendant;
la guerre .de 1740 des Anglois contre le roi d’Ef?
pagne , frappé une médaille qui atteftoit la prife dç
Carthagene .par l’amiral Vernon, tandis que cet
amiral Te voit le fiége ?
Les médaillés ne font des témoignages irréprochables
forfque l’événement eft atteflé _par desj
^ijtgurs contemporains ; alors ces preuves fe foute*
“ nant
nant l’une par l’autre j conftatent la vérité.
JD oit on dans /’hiftoire inférer des harangues, &
faire des portraits ? S i, dans une occafion important
e , un général d’armée * un homme d’état a. parlé
d’une maniéré finguliere & forte qui caraâérife fon
génie & celui de fon fiecle, il faut fans doute rapporter
fon difcours mot pour mot ; de telles harangues
font peut-être la partie de Vhijloire la plus utile.
Mais pourquoi ’faire dire à un homme ce qu’il n’a
pas dit ? Il vaudroit prefque autant lui attribuer ce
qu’il n’a pas fait i .c’eft une fiétion imitée d’Homere.
Mais ce qui eft fiaion dans un poème, devient à la
rigueur menfonge dans un hiftorien» Plufieurs anciens
ont eu cette méthode $ cela ne prouve autre
chofe, finon que plufieurs anciens ont voulu faire
parade de leur éloquence aux dépens de la vérité.
Les portraits montrent encore bien fouvent plus
d’envie de briller que d’inftruire : des contemporains
•font en droit de faire le portrait des hommes d’état
•avec lefquels ils ont négocié, des généraux fous qui
ils ont fait la guerre. Mais qu’il eft à craindre que
le pinceau ne foit guidé par la paffion ! Il paroît que
les portraits qu’on trouve dans Clarendon font faits
avec plus d’impartialité, de gravité & de fageffe,
que ceux qu’on lit avec plailir dans le cardinal de
Retz.
Mais vouloir peindre les anciens, s’ efforcer dé
développer leurs âmes, regarder les évenemens
comme des cara&eres avec lefquels on peut lire fû-
xemenÊ dans le fond des coeurs ; c’eft une entreprife
bien délicate ; c’eft dans plufieurs une puérilité.
De la maxime de Cicéron concernant /’hiftoire ; que
1Vhijlorien nofe dire une faujfeté j, tni cacher une vérité.
La,première partie de ce précepte eft ineonteftable ;
il faut examiner l’autre. Si une vérité peut être de
quelque utilité à l’état, votre filence eft condamnable.
Mais je fuppofe que vous écriviez Vhijloire d’uil
prince qui vous aura confié un fecret, devez-vous le I
•révéler ? Devez-vous dire à la poftérité ce que vous
feriez coupable de dire en fecret à un feul homme ?
le devoir d’un hiftorien l’emportera-t-il fur un de-
yoir plus grand ?
Je fuppofe encore que vous ayez été témoin d’une
foiblefle qui n’a point influé fur les affaires publiques,
devez-vous révéler cette foiblefle ? En ce cas,
Vhijloire feroit une fatyre.
Il faut avouer que la plupart des écrivains d’anecdotes
font plus indifcrets qu’utiles. Mais que dire de
ces compilateurs infolens, qui fe faifant un mérite
de médire, impriment & vendent des fcandales,
comme Lecaufte vendoit des poifons.
De Vhijloire fatyrique. Si Plutarque a repris Hérodote
de n’avoir pas allez relevé la gloire de
quelques villes greques; & d’avoir omis plufieurs
faits connus dignes de mémoire, combien font plus
réprehenfibles aujourd’hui ceux qui, fans avoir aucun
des mérités d’Hérodote, imputent aux princes,
aux nations, des actions odieufes ; fans la plus légère
apparence de preuve. La guerre de 1741 a été
écrite en Angleterre; On trouve, dans cette hifloire,
qu’à la bataille deFontenoy les François tirèrent fur
Us Anglois avec des balles empoifonnées & des morceaux
dé verre venimeux, & que le duc de Cumberland envoya
au roi de France une bo'ète pleine de ces prétendus
poifons trouvés dans les corps des Anglois bUJfés. Le
même auteur ajoute que les François ayant perdu
quarante mille hommes à cette bataille, le parlement
de Paris rendit un arrêt par lequel il étoit détendu
d’en parler fous des peines corporelles.
Des mémoires frauduleux, imprimés depuis peu,
lont remplis de pareilles abfurdités infolentes. On y
trouve qu’âu fiége de Lille les alliés jettoient des
oillets dans la ville conçus en ces termes : François,
-tonfo t^-vous, laMaintenon ne fera pas votre reine %
Tome V I I I% -
Prefque chaque page eft remplie d’impofhirea &
Ce termis offenfans contre la famille royale Si contre
les .familles principales du royaume, fans alléguer
la plus légère vraiffemblance qui piliffe donner
ta mordre couleur à ces menionges. Ce n’eft point
écrire Ihrft»ma c’eft écrire au hazard des calom-
nies.
° n a imprimé enHollande, fous le nom d’hillolrt,
une foule de libelles ...dont le ftyle eft auffi greffier
M M H B b W S m S auffi faux qu’ils font mal
W H F I h H E taauvais Fruit de l’excellent
arbre de la liberté. Mats fi les malheureux auteurs
de ces nepties. ont eu la.liberté de tromper les lecteurs
, il faut ufer ici de la-liberté dé lès détromper,
Utd a ntahodc, dt Ik.maniçrt H'inrircTUlioirï &
du fiyU.'Oaea a tant dit fur cette matière .q u ’ilifaut
ici eridire très-peu. On fait affez que la méthode &
le ftyle de Tite-Liveÿia gravité, fou éloquence fit-
g e , conviennent à la majefté de la république ro- •
marne ; que Tacite eft plus fait pour peindre des ty-
rans, Polybe pour donner des leçons de la guerre;
Denys d Halycarnaffe pour développer les anti-
quites» ..
Mais en fê modelant en général fur ces grands
maîtres, on a aujourd’hui un fardeau plus pefant
que le leur à'fontenir. On exige des hiftoriens mo1-
dernes plus de détails, des faits plus conftatés des
dates preetfes, des autorités , plus d’attention aux
mages., aux lois , aux moeurs, au commerce, à la
■ H > à 1 agriculture, à la population. 11 en eft dè
Uiiftmrc comme des Mathématiques & de la.Phyfi.
que. La carrière s’eft prodigieufement accrue. Autant
il eft.aifé dé»faire un recueil de gazettes., autant
il eft difficile aujourd’hui d’écrire l’hijloiri.
On exige que l /ijjifoiVr d’un pays.étrauger ne foit
point jettee dans le même moule que celle de votre
patrie. .
Si vous faites Vhijloire de France, vous n’êtes pas
Obligé de décrire le cours de la Seine & de la Loire ;
mais fl vous donnez au public les conquêtes des Portugais
eu A fie, on exige une topographie des pays
découverts. On veut que vous meniez votre leéleur
iar la main le long de l’A frique, & des- côtes de la
iferfe & de l’Inde; on attend de vous des inftruc-
tions fur les moeurs, les lois, les ufages de ces nations
nouvelles pour l’Europe.
Nous avons vingt hjtoires de l’établiflement des
Portugais dans les Indes ; mais aucune ne nous a fait
connoître les divers gouvernemens de ce pa ys, fes
religions, fes antiquités, les Brames, les difciples
de Jean, les Guebres, les Banians. Cette réflexion
peut s’appliquer à prefque toutes les kijloires des
pays étrangers» ’
Si vous n’avez autre chofe à nous dire, fmotï
qu’un Barbare a fuccédé à un autre Barbare fur les
bords de l’Oxus & de l’Iaxarte, en quor êtes-vous
utile au public ?
^ La méthode convenable à Vhijloire de votre pays
n’eft pas propre à écrire les découvertes du nouveau
monde. Vous n’écrirez point fur une ville
comme fur un grand empire ; vous ne ferez point la
vie d’un particulier comme vous écrirez Vhijloire
d’Efpagne ou d’Angleterre.
Ces réglés font affez connues. Mais l’art de bien
écrire l'HiJloire fera toujours très-rare. On fait affez
qu’il faut un ftyle grave, pur, varié, agréable. Il
en eft des lois pour écrire VHifloire comme de celles:
de tous les arts de l’efprit ; beaucoup de préceptes,
& peu de grands artiftes. Cet article eflde M. de V olt
a i r e . Histoire Naturelle. L ’objet de l'Hifloire naturelle
eft auffi étendu que la nature ; il comprend
tous les êtres qui vivent fur la terre, qui s’élèvent
dans l’air, ou qui reftent dans le fein des eaux, tous
F f