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«les, qui ait pu faire penfer que cesftatues'avoient
en elles quelque chofe de divin ; mais certainement
l’opinion régnante étoit que les dieux avoient choi-
ii certains autels, certains fimulacres, pour y venir
rélider quelquefois, pour y donner audience aux
hommes, pour leur répondre. On ne voit dans Homère,
6c dans les choeurs des tragédies greques, que
des prières à Apollon, qui rend fes oracles fur les
montagnes, en tel temple, en telle ville ; il n’y a
pas dans toute l’antiquité la moindre trace d’une
priere adreffée à une ftatue.
Ceux qui profeffoient la magie, qui la croyoient
une fcience, ou qui feignoient de le croire, préten-
doient avoir le fecret de faire defcendre les dieux
dans les ftatues, non pas les grands dieux , mais les
dieux fecondaires, les génies. C ’eft ce que Mercure
Trifmégite appelloit faire des dieux ; 6c c’eft ce que
S. Auguftin réfute dans fa cité de Dieu ; mais- cela
même montre évidemment qu’on ne croyoit pas que
les fimulacres euffent rien en eux de divin, puit qu’il
falloir qu’un magicien les animât ; & il me femble
qu’il arrivoit bien rarement qu’un magicien fût aflèz
habile pour donner une ame à une ftatue pour la
faire parler.
En un mot, les images des dieux n’étoient point
des dieux ; Jupiter & non pas fon image lançôit le
tonnerre. Ce n’étoit pas la ftatue de Neptune qui
fouleyoit les mers, ni celle d’Apollon qui donnoit
la lumière; les Grecs & les Romains étoient des
gentils, des polithéiftes, 6c n’étoient point des idolâtres.
Si les Perfes , les Sabéens, les Egyptiens, les Tar-
tares, les Turcs ont été idolâtres, & de quelle antiquité
ejl l'origine des fimulacres appt liés idoles ; hifloire abrégée
de leur culte. C’eft un abus des termes d’appeller
idolâtres les peuples qui rendirent un culte au foleil
& aux étoiles. Ces nations n’eurent long-tems ni fimulacres
, ni temples ; fi elles fe trompèrent, c’eft en
rendant aux aftres ce qu’elles dévoient au créateur
desaftres : encore les dogmes deZoroaftré, ou Zar-
du ft, recueillis dans le Sadder, enfeignent-ils un
être fuprême vengeur 6c rénumérateur ; 6c cela eft
bien loin de l'idolâtrie. Le gouvernement delà Chine
n’a jamais eu aucune idole ; il a toujours confervé
le culte firaple du maître du ciel Kingtien, en tolérant
les pagodes du peuple. Gensgis-Kan chez les
Tartares n’étoit point idolâtre , 6c n’avoit aucun fi-
mulacre; les Muiulmans qui rempliffent la G rèce,
I’Afie mineure, la Syrie, la Perle, l’Inde, 6c l’Afrique
, appellent les Chrétiens idolâtres, giaour , parce
qu’ils croyent que les Chrétiens rendent un culte
aux images. Ils briferent toutes les ftatues qu’ils trouvèrent
à Çonftantinople dans fainte Sophie, dans
l ’églife des faints Apôtres, & dans d’autres qu’ils
convertirent en mofquées. L’apparence les trompa
comme elle trompe toûjours les hommes; elle leur
fit croire que des temples dédiés à des faints qui
avoient été hommes autrefois, des images de ces
faints révérées à genoux, des miracles opérés- dans
«es temples, étoient des preuves invincibles de l'idolâtrie
la plus complette ; cependant il n’en eft rien.
Les Chrétiens n’adorent en effet qu’un feul D ie u , &
ne révèrent dans les bienheureux que la vertu même
de Dieu qui agit dans fes faints. Les Iconoclaftes,
& les Profeftans ont fait le même reproche d'idolâtrie
à l’Eglife ; & on leur a fait la même réponfe.
Comme les hommes ont eu très-rarement des idées
'précifes, 6c ont encore moins exprimé leurs idées
.par des mots précis, 6c fans équivoque, nous appel-
1 -mes du nom d'idolâtresles Gentils, & fur-tout les
.Politéi’ftes. On a écrit des volumes immenfes; on a
débité des fentimens différens fur l’origine de ce culte
rendu à.Dieu, ou à plufieurs dieux, lous des figures
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fenfibles : cette multitude de livres & d’opinions
ne prouve que l’ignorance.
On ne fait pas qui inventa les habits 6c les chauf-
fures, & on veut lavoir qui le premier inventa les
idoles J Qu’importe un paflage de Sanconiaton qui
vivoit avant la guerre de Troie ? Que nous apprend-
il , quand il dit que le cahos , l ’efprit, c’eft-à-dire
le fouffle, amoureux de fes principes, en tira le limon
, qu’il rendit l’air lumineux, que le vent Colp,
6c fa femme Baii engendrerent Eon,& qu’Eon engendra
Jenos ? que Cronos leur defeendant a voit deux
yeux par-derriere, comme par-devant, qu’il devint
dieu, & qu’il donna l’Egypte à fon fils Tau t; voilà
un des plus refpe&ables monumens de l’antiquité.
Orphée, antérieur à Sanconiaton, ne nous en apprendra
pas davantage dans fa théogonie, que Da-
maicius nous a confervée ; il repréfente le principe
du monde fous la figure d’un dragon à deux têtes ,
l’une de taureau,l’autre de lion , un vifage au milieu
qu’il appelle vifage-dieu9 6c des aîles dorées aux
épaulés.
Mais vous pouvez de ces idées bifarres tirer deux
grandes vérités; l’une que les images fenfibles 6c
hyéroglyphes font del’antiquité la plus haute; l’autre
que tous les anciens philofophes ont reconnu un
premier principe.
Quant au polithéïfme, le bon fens vous dira que
dès qu’il y a eu des hommes, c’eft-à-dire des animaux
foibles , capables de raifon, fujets à tous les
accidens, à la maladie & à la mort, ces hommes
ont fenti leur foibleffe 6c leur dépendance ; ils ont
reconnu aifément qu’il eft quelque chofe de plus
puiffant qu’eux. Us ont fenti une force dans la terre
qui produit leurs alimens ; une dans l’air qui fou-
vent les détruit ; une dans le feu qui confume, 6c
dans l’eau qui fubmerge. Quoi de plus naturel dans
des hommes ignorans , que d’imaginer des êtres qui
préfident à ces élémens ! Quoi de plus naturel que
de révérer la force invifible qui faifoit luire aux yeux
le foleil & les étoiles ? Et dès qu’on voulut fe former
une idée de ces puiffances fupérieures à l’homme
quoi de plus naturel encore que de les figurer d’une
maniéré fenfible ? La religion juive qui précéda la
nôtre, 6c qui fut donnée par Dieu même, étoit
toute remplie de ces images fous lefquelles Dieu eft:
repréfenté. II daigne parler dans un buifion le langage
humain ; il paroît fur une montagne. Les ef-
prits céleftes qu’il envoie, viennent tous avec une
forme humaine; enfin, le fanfhiaire eft rempli de
chérubins, qui font des corps d’hommes avec des
ailes 6c des têtes d’animaux ; c’eft ce qui a donné
lieu à l’erreur grofliere de Plutarque, de T a c ite ,
d’Appion, 6c de tant d’autres, de reprocher aux
Juifs d’adorer une tête d’âne. D ieu , malgré fa dé-
fenfe de peindre & d e fculpter aucune figure, a donc
daigné fe proportionner à la foibleffe humaine, qui
demandoit qu’on parlât aux fens par des images.
Haïe dans le ckap. PI. voit le Seigneur alfis fur
un trône, 6c le bas de fa robe qui remplit le temple.
Le Seigneur étend fa main 6c touche la bouche d©
Jérémie au ckap. I. de ce prophète. Ezéchiel au ckap.
I I I . voit u$ trône de faphir, 6c Dieu lui paroît comme
un homme aflis fur ce trône.. Ces images n’alte-
rent point la pureté de la religion ju iye, qui jamais
n’employa les tableaux, les ftatues, les idoles, pour
repréfenter Dieu aux yeux du peuple.
Les lettrés Chinois, les Perfes, les anciensEgyp-,
tiens n’eurent point d'idoles ; mais bien-tôt lfis 6c
Ofiris furent figurés : ,bien-tot Bel à Babylone fut
un gros coloffe ; Brama fut un monftre bifarre dans
la prefqu’île de l’Inde.. Les Grecs fur-tout multiplièrent
les noms des dieux, les ftatues 6c les temples ;
mais en attribuant toûjours la fuprème puiffance à
leur Zeus, nomme par les Latins Jupiter, maître des dieux
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dieux & des hommes. Les Romains imitèrent les
Grecs : ces peuples placèrent toûjours tous les dieux
dans le ciel fans favoir ce qu’ils entendoient par le
ciel 6c par leur olympe. Il n’y avoit pas d’apparence
que ces êtres fupérieurs habitaffent dans les nuées
qui ne font que de l’eaiu On en avoit placé d’abord
fept dans les fept planettes , parmi lefquelles on
comptoit le foleil ; mais depuis, la demeure ordinaire
de tous les dieux fut l’étendue du ciel.
Les Romains eurent leurs douze grands dieux ,
fix mâles 6c fixfemelles, qu’ils nommèrent dît majorant
gentium ; Jupiter, Neptune, Apollon, Vulcain,
Mars, Mercure, Junon, Vefta » Minerve, C é rè s ,
Vénus, Diane. Pluton fut alors oublié ; Vefta prit
fa place.
Enfuite venoient les dieux minorum gentium, les
dieux indigetes, les héros, comme Bacchus, Hercule
, Efculape ; les dieux infernaux, Pluton, Pro-
ferpine ; ceux de la mer, comme Thétis, Amphi-
trite , les Néréides, Glaucus ; puis les Driades , les
Naïades, les dieux des jardins, ceux des bergers. Il
y en avoit pour chaque profeflion, pour chaque
aftion de la v ie , pour les enfans, pour les filles nubiles
, pour les mariées, pour les accouchées ; on
eut le dieu Pet. On divinifa enfin les empereurs : ni
ces empereurs, ni le dieu P et, ni la déeffe Pertunda,
ni P riape, ni Rumilia la déeffe des'tétons, niSter-
cutius le dieu de la garde-robe, ne furent à la vérité
regardés comme les maîtres du ciel 6c de la terre.
Les empereurs eurent quelquefois des temples ; les
petits dieux Pénates n’en eurent point-; mais tous
eurent leur figure, leur idole.
C ’étoient de petits magots dont on ornoit fon cabinet
; c’étoient les amufemens des vieilles femmes
6c des enfans, qui n’étoient autorifés par aucun culte
public. On laiffoit agir à fon gré la fuperftition de
chaque particulier : on retrouve encore ces petites
idoles dans les ruines des anciennes villes.
Si perfonne ne fait quand les hommes commencèrent
à fe faire des idoles, on fait qu’elles font de l’antiquité
la plus haute ; Tharé pere d’Abraham en faifoit
à U r en Chaldée : Rachel déroba & emporta les
idoles de fon beau-pere Laban ; on ne peut remonter
plus haut.
Mais quelle notion précife avoient les anciennes
nations de tous ces fimulacres ? Quelle v ertu , quelle
puiffance leur attribuoit-on ? Croira-t-on que les
dieux defeendoient du ciel pour venir fe cacher dans
ces ftatues ? ou qu’ils leur communiquoient une partie
de l’efprit divin ? ou qu’ils ne leur communiquoient
rien du tout ? C ’eft encore fur quoi on a
très-inutilement écrit ; il eft clair que chaque homme
en jugeoit félon le degré de fa raifon, ou de fa
crédulité, ou de fon fanatifme. Il eft évident que les
prêtres attachoient le plus de divinité qu’ils pou-
voient à leurs ftatues, pour s’attirer plus d’offrandes
; on fait que les Philofophes déteftoient ces fuper-
ftitions ; que les guerriers s’en mocquoient ; que les
inagiftrats les toléroient, & que le peuple toujours
abfurde ne favoit ce qu’il faifoit : c’eft en peu de
mots l’hiftoire de toutes les nations à qui Dieu ne
s’eft pas fait connoître.
On peut fe faire la même idée du culte que toute
l’Egypte rendit à un boeuf, 6c que plufieurs villes
rendirent à un chien, à un finge, à un chat, à des
oignons. Il y a grande apparence que ce furent d’abord
d.es emblèmes : enfuite un certain boeuf Apis,
un certain chien nommé Anubis, furent adorés. On
mangea toûjours du boeuf 6c des oignons; mais il eft
difficile de favoir ce que penfoient les vieilles femmes
d’Egypte, des oignons facrés 6c des boeufs.
Les idoles parloient affez fouvent : on faifoit commémoration
à Rome le jour de la fête de Cybè le,
des belles paroles que la ftatue avoit prononcées
’ Tome FU I,
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Iorfqu’on en fit la tranflation du palais du roi Attalc :
Ipfa peti volui, ne f it mora , mitte volentem ,
Dignus Roma locus quo deus omnis eat.
» J’ai voulu qu’on m’enlevât, emmenez-moi vîte ;
» Rome eft digne que tout dieu s’y établiffe ».
La ftatue de la fortune avoit parlé ; les Scipions,'
les Cicérons, les Céfars à la vérité n’en croyoient
rien ; mais la vieille à qui Encolpe donna un écu
pour acheter des oies 6c des dieux , pouvoit fort
bien le croire.
Les idoles rendoient auffi des oracles, & les prêtres
cachés dans le creux des ftatues parloient au
nom de la divinité.
Comment, au milieu de tant de dieux, & de tant
de théogonies différentes 6c de cultes particuliers,
n’y eût-il jamais de guerre de religion chez les peuples
nommés idolâtres ? Cette paix fut un bien qui
naquit d’un mal de l ’erreur même : car chaque nation
reconnoiffant plufieurs dieux inférieurs, trou-
voit bon que fes voifins euffent auffi les leurs. St
vous exceptez Cambife, à qui on reproche d’avoir
tué le boeuf Apis, on ne vôit dans l’hiftoire profane
aucun conquérant qui ait maltraité les dieux d’un
peuple vaincu. Les Gentils n’avoient aucune religion
exclufive ; 6c les prêtres ne fongerent qu’à multiplier
les offrandes 6c les facrifices.
Les premières offrandes furent des fruits ; bien-,
tôt après il fallut des animaux pour la table des prêtres
; ils les égorgeoient eux-mêmes ; ils devinrent
bouchers 6c cruels : enfin, ils introduifirent l’ufage
horrible de facrifier des vi&imes humaines, & fur-
tout des enfans 6c des jeunes filles. Jamais les Chinois
, ni les Perfes, ni les Indiens, ne furent coupables
de ces abominations ; mais à Héliopolis en
Egyp te, au rapport de Porphire, on immola des
hommes. Dans laTaurideon facrifioit les étrangers r
heureufement les prêtres de laTauride né dévoient
pas avoir beaucoup de pratiques. Les premiers Grecs,
les Cipriots, les Phoeniciens, les Tyriens, les Carthaginois,
eurent cette fuperftition abominable. Les
Romains eux-mêmes tombèrent dans ce crime de
religion; 6c Plutarque rapporte qu’ils immolèrent
deux Grecs & deux Gaulois, pour expier les galanteries
de trois veftales. Procope, contemporain du
roi des Francs Théodebert, dit que les Francs immolèrent
des hommes quand ils entrèrent en Italie avec
ce prince : les Gaulois, les Germains, faifoient communément
de ces affreux facrifices.
On ne peut guere lire l’hiftoire, fans concevoir
de l’horreur pour le genre humain. Il eft vrai que
chez les Juifs Jephté facrifia fa Hile, & que Saiil fut
prêt d’immoler fon fils. Il eft vrai que ceux qui étoient
voués au Seigneur par anathème, ne pouvoient être
rachetés, ainfi qu’on rachetoit les bêtes, 6c qu’ il
falloit qu’ils périffent : mais Dieu qui a créé les
hommes, peut leur ôter la vie quand il v e u t , 6c
comme il le veut : 6c ce n’eft pas aux hommes à fe
mettre à la place du maître de la vie & de la m ort,
6c à ufurper les droits de l’Etre fuprème.
Pour confoler le genre humain de l’horrible tableau
de ces pieux facriléges, il eft important de favoir
que chez prefque toutes les nations nommées
idolâtres, il y avoit la Théologie facrée, & l’erreur
populaire ; le culte fecret, & les cérémonies publiques
; la religion des fages , 6c celle du vulgaire. On
n’enfeignoit qu’un feul D ieu aux initiés dans les my-
fteres ; il n’y a qu’à jetter les yeux fur l’hymne attribué
à Orphée , qu’on chantoit dans les myfteres
de Cérès Eleufine, fi célébrés en Europe & en Afie*
« Contemple la nature divine, illumine ton ef-
» prit, gouverne ton coeur , marche dans la voie de
» la juftice ; que le Dieu du ciel & de la terre foit
» toujours prêtent à tes yeux, Il eft unique, il exifte.
S ss