Il n’en eft pas de la raifon, comme du fens & de
la mémoire. Elle ne naît point avec nous. Elle s’âc-
quiert par l’induftrie & fe forme parl’exercice & l’expérience.
Il faut fa voir impoferdes mots aux chofes ;
paffer des mots impofésà la propofition, de la propofition
au fyllogifme, & parvenir à la connoiffance
du rapport des mots entre eux.
Beaucoup d’expérience eft prudence ; beaucoup
de fcience, fageffe»
Celui qui fait eft en état d’enfeigner & de convaincre.
Il y a dans l’animal deux fortes de mouvemens qui
lui font propres ; l’un v ita l, l’autre animal ; l’un involontaire
, l’autre volontaire.
La pente de l’ame vers la caufe de fon impetus,
s’appelle defir. Le mouvement contraire, averfion. Il
y a un mouvement réel dans l’un & l’autre cas.
On aime ce qu’on defire; on hait ce qu’on fuit. On
méprife ce qu’on ne defire ni ne fuit.
Quel que foit le defir ou fon ob je t, il eft bon ;
quelle que foit l’averlion ou fon objet, on l’appelle
mauvais.
Le bon qui nous eft annoncé par des lignes appa-
rens, s’appelle beau. Le mal dont nous fommes menacés
par des lignes apparens, s’appelle laid. Les ef-
peces de la bonté varient. La bonté confidérée dans
les fignes qui la promettent, eft beauté; dans la chofe,
elle garde le nom de bonté; dans la fin , on la nomme
plaijir, & utilité dans les moyens.
Tout objet produit dans l’ame un mouvement qui
porte l’animal ou à s’éloigner, ou à s’approcher.
La naiffance de ce mouvement eft celle du plaifir
ou de'la peine. Ils commencent au même inftant.
Tout defir eft accompagné de quelque plaifir ; toute
averfion entraîne avec elle quelque peine.
Toute volupté naît ou de la fenfation d’un objet
préfent, & elle eft fenfuelle ; ou de l’attente d’une
chofe , de la prévoyance des fins , de l’importance
des fuites, & elle eft intelle&uelle, douleur ou joie.
L’appétit, le defir, l’amour, l’averfion, la haine,
la joie, la douleur, prennent différens noms, félon
le degré, l’ordre, l’objet & d’autres circonftances.
Ce font ces circonftances qui ont multiplié les
mots à l’infini. La religion eft la crainte des puiffances
invifibles. Ces puiftances font-elles avouées par la
loi civile, la crainte qu’on en a retient le nom de religion.
Ne font-elles pas avouées par la loi c ivile , la
crainte qu’on en a prend le nom de fuperjlition. Si les
puiftances font réelles, la religion eft vraie. Si elles
iont chimériques, la religion eft faufte. Hinc onun-
tur pajjionum nomifla. Verbi gratia , religio, metus po-
tentiarum invifibilium , qua Jipublics accepta , religio ;
fecus , fuperjlitio , &c.
C ’eft de l’aggrégat de diverfes pallions élevées
dans l’ame, & s’y fuccédant continuement jufqu’à
ce que l’effet foit produit, que naît la délibération.
Le dernier defir qui nous porte, ou la derniere
averfion qui nous éloigne, s’appelle volonté. La bête
délibéré. Elle veut donc.
Qu’eft-ce que la félicité ? un fuccès confiant dans
les chofes qu’on defire.
La penfée qu’une chofe eft ou n’eft pas, fe fera ou
ne fe fera pas , & qui ne laiffe après elle que la préemption
, s’appelle opinion.
De même que dans la délibération, le dernier defir
eft la volonté ; dans les queftions du paffé & de
l’avenir, le dernier jugement eft l’opinion.
La fuçceflion complettedes opinions alternatives,
diverfes, ou contaires, fait le doute.
La confcience eft la connoiffance intérieure & fé-
crettè d’une penfée ou d’une aftion.
.. Si le raifonnement eft fondé fur le témoignage
d’un homme dont la lumière & la véracité ne nous-
foient point fufpe&es, nous avons de la foi ; nous
croyons. Lafoi eft relative à la perfonne ; la croyance
au fait.
La qualité en tout eft quelque chofe qui frappe par
fon degré , ou fa grandeur ; mais toute grandeur eft
relative. La vertu même n’eft que par comparaifon.
Les vertus ou qualités intelleftuelles font des facultés
de l’ame qu’on loue dans les autres & qu’on defire
en fqi. Il y en a de naturelles ; il y en a d’acquifes.
La facilite de remarquer dans les chofes des ref-
femblances & des différences qui échappent aux autres
, s’appelle bon efprit ; dans les penfées, bon juge-
ment.
Ce qu’on acquiert par l’étude & par la méthode ,
fans l’art de la parole, fe réduit à peu de chofe.
La diverfité des efprits naît de la diverfité des paf-
fions , & la diverfité des pallions naît de la diverfité
des tempéramens, des humeurs, des habitudes, des
circonftances, des éducations.
La folie eft l’extrême degré de la pafiion. Tels
étoient les démoniaques de l’évangile. Taies fuerunt
quos hijloria facra vocavit judaico fiylo doemoniacos.
La puiffance d’un homme eft l’aggrégat de tous
les moyens d’arriver à une fin. Elle eft ou naturelle ,
ou inftrumentale.
De toutes lespuiffances humaines, la plus grande
eft celle qui raflemble dans une feule perfonne, par
le confentement, la puiffance diviféed’un plus grand
nombre d’autres, foit que cette perfonne foit naturelle
comme l’homme, ou artificielle comme le citoyen.
La dignité ou la valeur d’un homme, c’eft la même
chofe. Un homme vaut autant qu’un autre vou-
droit l’acheter, félon le befoin qu’il en a.
Marquer l’eftime ou le befoin, c’eft honorer. On
honore par la louange, les fignes, l’amitié, la f o i ,
la confiance, le fecours qu’on implore , le confeiL
qu’on recherche, la préféance qu’on cede, le ref-
peft qu’on porte, l’imitation qu’on fe propofe , le:
culte qu’on p a y e , l’adoration qu’on rend.
Les moeurs relatives à l’efpece humaine confiftent
dans les qualités qui tendent à établir la pa ix, & à
affurer la durée de l’état civil.
Le bonheur de la v ie ne doit point être cherché
dans la tranquillité ou le repos de l’ame , qui eft im-
pofiible.
Le bonheur eft le paffage perpétuel d’un defir fa-
tisfait à un autre defir fatisfait. Les aâions n’y con-T
duifent pas toutes de la même maniéré. Il faut aux
uns de la puiffance , des honneurs , des richeffes ;
aux autres du loifir, des connoiffances, des éloges ,
même après la mort. D e - là , la diverfité des moeurs.
Le defir de coonoître les caufes attache l’homme1
à l’étude des effets. Il remonte d’un effet à une caufe,
de celle-ci à une autre, & ainfi de fuite, jufqu’à ce
qu’il arrive à la penfée d’une caufe éternelle qu'au?
cune autre n’a devancée.
Celui donc qui fe fera occupé de la contemplation
des chofes naturelles, en rapporteranéceffaire-
ment une pente à reconnoître un D ieu , quoique la
nature divine lui refte ôbfcure & inconnue.
L’anxiété naît de l’ignorance des caufes ; de l’anxiété
, la crainte des puiffances invifibles ; & de la
crainte de ces puiffances, la religion.
Crainte des puiffances invifibles, ignorance des
caufes fécondés, penchant à honorer ce qu’on redoute
, événemens fortuits pris pour prognôftics ;
femences de religions.
Deux fortes d’hommes ont profité de ce penchant
& cultivé ces femences ; hommes à imagination ar-.
dente devenus chefs de fefres ; hommes à révélation
à qui les puiffances invifibles fe font manifeftées.
Religion partie de la politique des uns. Politique partie
de la religion des autres.
Là nature a donné à tous les mêmes facultés d’ef;
i prit & de corps.
La nature a donné à tous le droit à tou t, même
avec offenfe d’un autre ; car on ne doit à perfonne
autant qu’à f0i> ^ ^—-'''!. ‘/ - ••• 5-T- _ l
Au milieu de, tant d’intérêts divers, prévenir fon
concurrent, moyen le meilleur de fe conferver.
De-là le droit de commander acquis à chacun par
la néceflîté de fe conferver.
D e - là , guerre de chacun contre chacun, tant qu’il
n’y aura aucune puiffance coa&ive. De-là une infinité
de malheurs au milieu defquels nulle fécurité
que par une prééminence d’efprit & de corps ; nul
lieu à l ’induflrie , nulle récompenfe attachée au travail
, point d’agriculture , point d’arts, point de fo-
ciété ; mais crainte perpétuelle d’une mort violente.
De la guerre de chacun contre chacun, il s’enfuit
encore que tout eft abandonné à la fraude & à la
forcé, qu’il n’y a rien de propre à perfonne ; aucune
poffeffion réelle, nulle injuftice.
Les pallions qui inclinent l’homme à la paix, font
la crainte, fur-tout celle d’une mort violente ; le defir
des chofes néceffaires à une vie tranquille & douce
, & l’efpoir de fe les procurer par quelque induf-
trie.
Le droit naturel n’eft autre chofe que la liberté à
chacun d’ufer de fon pouvoir dé la maniéré qui lui
paroîtra la plus convenable à fa propre conferva-
lion.
La liberté eft l’abfence des obftacles extérieurs.
La loi naturelle eft une réglé générale diftée par
la raifon en conféquence de laquelle on a la liberté
de faire ce que l’on reconnoît contraire à fon propre
intérêt.
Dans l’état de nature , tous ayant droit à tou t,
fans en excepter la v ie de fon femblable, tant que
les hommes conferveront ce droit, nulle fûreté même
pour le plus fort.
De-là une première loi générale, di&ée par la raifon
, de chercher la paix, s’il y a quelque efpoir de
fe la procurer ; ou dans l’impoffibilité d’avoir la
paix , d’emprunter des fecours de toute part.
Une fécondé loi de raifon, c’eft après avoir pour-
vû à fa défenfe & à fa confervation, de fe départir
de fon droit à tout, & de ne retenir de fa liberté que
la portion qu’on peut laiffer aux autres , fans inconvénient
pour foi.
Se départir de fon droit à une chofe, c’eft renoncer
à la liberté d’empêcher les autres d’ufer de leur
droit fur cette chofe.
On fe départ d’un droit, ou par une renonciation
(impie qui je tte, pour ainfi dire, ce droit au milieu
de tous fans l’attribuer à perfonne, ou par une collation
, & pour cet effet il faut qu’il y ait des fignes
convenus.
On ne conçoit pas qu’un homme conféré fon droit
à un autre, fans recevoir en échange quelque autre
bien ou quelque autre droit.
La conceffion réciproque de droits eft ce qu’on
appelle un contrat. .
Celui qui cede le droit à la chofe, abandonne
aufli l’ufage de la chofe, autant qu’il eft en lui de
l’abandonner.
Dans l’état de nature, le pafte arraché par la
crainte eft valide.
Un premier pafre en rend un poftérieur invalide.
Deux motifs concourent à obliger à la prédation du
pafre, la baffeffe qu’il y a à tromper, & la crainte
des fuites fâcheufes de l’infraûion. Or cette crainte
eft religieufe ou civile, des puiffances invifibles ou
des puiffances humaines. Si la crainte civile eft nul-,
le , la religieufe eft la feule qui donne de la force au
pafte, de-là le ferment.
La juftice commutative eft celle de contraâans ;
la juftice diftributive eft celle de l’arbitre entre ceux
qui çontraûent.
Une troîfieme loi de la raifon, c ’eft de garder fe
pafre. Voilà le fondement de la juftice. La juftice 61
la fainteté du pafre commencent, quand il y a fo->
ciété &c force coaâive.
Une quatrième réglé de la raifon , c’eft que celui
qui reçoit un don gratuit, ne donne jamais lieu au
bienfaiteur de fe repentir du don qu’il a fait.
Une cinquième, de s’accommoder aux autres, quL
ont leur caractère comme nous le nôtre.
Une fixieme , les fûretés prifes pour l’avenir,'
d’accorder le pardon des injures paffées à ceux qui
fe repentent.
• Une feptieme, de ne pas regarder dans la venv
geance à la grandeur du mal commis, mais à la
grandeur du bien qui doit réfulter du châtiment.
Une huitième, de ne marquer à un autre ni haine,'
ni mépris, foit d’afrion, foit de difçôurs , du regard
ou du gefte.
Une neuvième, que les hommes'foient traités
tous comme égaux de nature.
Une dixième, que dans le traité de paix générale,’
aucun ne retiendra le droit qu’il, ne veut pas laiffer
aux autres.
Une onzième, d’abandonner à l’ufage commun
ce qui ne fouffrira point de partage.
Une douzième , que l’arbitre, choifi de part
d’autre, fera jufte.
Une treizième , que dans le cas .ou là chofe ne
peut fe partager, on en tirera au fort le droit entier,
ou la première poffeffion.
Une quatorzième, qu’il y a deux efpeces de fort ;
celui du premier occupant ou du premier n é, dont
il ne faut admettre le droit qu’aux chofes qui ne font
.pas divifibles de leur nature.
Une quinzième, qu’il faut aux médiateurs de la
paix générale, la lûreté d’aller & de venir.
Une feizieme, d’acquiefcer à la décifion de l’arbitre.
Une dix-feptieme, que perfonne ne foit arbitre
dans fa caufe.
Une dix-huitieme, de juger d’après les témoins
dans les queftions de fait.
Une dix-neuvième, qu’une caufe fera propre à
l’arbitre toutes les fois qu’il aura quelque intérêt à
prononcer pour une des parties de préférence à
l’autre.
Une vingtième, que les lois de nature qui obligent
toujours au fore intérieur , n’obligent pas toujours
au fore extérieur. C ’eft la différence du vice
&. du crimè.
La Morale eft la fcience des lois naturelles, ou
des chofes qui font bonnes ou mauvaifes dans la fo.»
ciété des hommes.
On appelle celui qui agit en fon nom ou au nom
d’un autre , une perfonne; &Ia perfonne eft propre,
fi elle agit en fon nom ; représentative, fi c’eft au
nom d’un autre.
Il ne nous refte plus, après ce que nous venons
de dire de la philofophie d’Hobbes, qu’à en déduire
les conféquences, & nous aurons une ébauche de
fa politique.
C ’eft l’intérêt de leur confervation & les avantages
d’une vie plus douce, qui a tiré les hommes de
l’état de guerre de tous contre tous, pour les affem-
blerenfociété. . . .
Les loix & les pafres ne fuffifent pas pour faire
ceffer l’état naturel de guerre; il faut une puiffance
coaftive qui les foumette.
L’aflbciafiori du petit n'ombre ne peut procurer la
fécurité, il faut celle de la multitude.
La diverfité des.jugemens & des volontés ne laiffe
ni paix ni fécurité à efpérer dans une fociété oit la
multitude gouverne.
Ü n’importe pas de gouverner & d’être gouverne