ou’il auroit s’ il étoit répété trois fois ; & en effet les
adverbes bim & fort qui expriment par eux-mêmes
le feus fuperlatif dont il s’a g it , ne font jamais- lies
de même au mot pofitif auquel on les joint pour le
lu i communiquer. On rencontre dans le langage populaire
des hébra/mcs d’une autre efpece : un homme
de Dieu, du vin de Dieu, une mo'tffon de Dieu , pour
dire un très-honnête homme,duvin très-bon, une moi/- \
/on très-abondante; ou , en rendant par-tout le même
fçns par le même tour, un homme parfait, du viapnr-
fa i t , une moijjon parfaite : les Hébreux indiquant là ;
perfeaion par le nom de D ie u , qui eft le modèle &
la fource de toute perfeaion. C eft cette efpece
A’hibrdifme qui fe trouve au P / 3 S .V . y . juftttia tua
ficut montes D e l, pour ficutmontes altijpmi ; &C au
pj\ ôf .v. 10. putr.cn D e i, pour flumen maximum.
Malgré les hellènifmts reconnus dans le latin , On
a cru effet légèrement que les idiotifmes étoient des
locutions propres & incommunicables, & en coiifé-
quence on a pris & donné des idées fanffes piiïojfr
cbes ; & bien des gens croient encore qu’on ne ftéfi-
gne par ce non» général, ou par quelqu’un des noms
fpécifiqùés qui y font analogues-, que des locutions
viüeulés imitées maladroitement de quelque autre
langue. Voyei GALiiersMË. C’eft une erreur qité je
crois fuffifamment détruite par les obfèrvaticifls que
je viens de mettre fous les yeux du lefteuf : je paffej
à une autre qui eft ericofè plus univetfellê , & qui
n’eft pas moins contraire à la véritable notion des
idiotifmes. ■
On donne communément à entendre que ce iont
des maniérés de parler contraires aux lois de la Grammaire
générale. Il y a en effet des idiotifmes qui font
dans ce cas ; & comme ils font par-là même les plus
frappans & les plus aifés à diftinguer, on a cru aifé-
ment que cette oppofition aux lois immuables de la
Grammaire, faifoit la nature commune de tous. Mais
il y a encore une autre efpece d'idiotifmes qui font
dés façons de parler éloignées feulement des ufages
ordinaires, mais qui ont avec les principes fondamentaux
de la Grammaire générale toute la conformité
exigible. On peut dotfner à ceux-ei le nom d'idiotifmes
réguliers , parce que les réglés immuables de la
parole y font fuiviés , & qu’il n y a de violé que les
inftitutions arbitraires & ufuelles : les autres au contraire
prendront la dénomination d idiotifmes irréguliers
^ parce que les réglés immuables de la parole y
font violées. Ces deux efpeces font comprîtes dans
la définition que j’ai donnée d’abord ; & je vais bientôt
les rendre fenfiblés par dés exemples ; mais en y
appliquant les principes qu’il convient de fuivrepour
én pénétrer le fens, & pour y découvrir, s’il eft pof-
fible, les caraûeres du génie propre de la langue qui
fés a introduits.
Les idiotifmes réguliers n’ont befoin d aucune autre
attention, que d’être expliqués littéralement
pour être ramenés enfuitë au lotit de la langue naturelle
que l’on parle. », j
Je trouve par exemple que les Allemands difent,
diefe gelehrten manner » comme en latin , hi docli viri ,
ou en françois « ces fav ans hommes ; & l’adjedif gelehrten
s’accorde en toutes maniérés avec le nom
manner, comme l’adjieûif latin docli avec le nom vi-
ri o u l’adje&if françois fav ans avec le nom hommes ;
ainfi les AUemans obfetvent en cela , & les lois générales
& les ufages communs. Mais ils difent,
diefe manner Jirid. gelehrt; & pour le rendre littéralement
en latin , il faut dire hi viri funt docli i & en
françois, ces hommes font fdvamment, cô qui veut dire
indubitablement ces hommes font fav ans : gelihrt eft
donc uri: adverbe ,& l’ôrî doit reconnoître ici que
les Allemands Vécarterft dés ufages eOfnmunS, qui
donnent la préférence à l’adje&if en pareil casj Ort
voit donc en quoi confifte le gtrmanifme lorfqu’il s’a*
git d’exprimer un attribut ; mais quelle peut être la
caufe de cet idiotifme ? le verbe exprime l’exiftence
d’un fujet fous un attribut. Voyt{ Ver b e. L’attribut
n’eft qu’une maniéré particulière d’être ; & c’eft aux
adverbes à exprimer Amplement les maniérés d’ètre ,
& conféqgemment les attributs : voilà le génie allemand.
Mais comment pourra-1-on concilier ce rai-
fonnement avec l’ufage prefque univerfel, d’exprimer
l’attribut par un adjeâif mis en concordance
avec le fujet du verbe ? Je réponds qu’il n’y a peut-
être entre la maniéré commune & la maniéré allemande
d’autre différence que celle qu’il y auroit entre
deux tableaux , où l’on auroit faifi deux momens
différens d’une même aftion : le germanifme faifit
l’inftant qui précédé immédiatement l’afte de juger,
où l’efprit confidere encore l’attribut d’une maniéré
vague & fans application au fujet : la phrafe commune
préfente le fujet tel qu’il paroît à l’efprit après
le jugement , & lorfqu’il n’y a plus d’abftraftion.
L’Allemand doit donc exprimer l’attribut avec les
apparences de l’indépendance ; & c’eft ce qu’il fait
par l’adverbe qui n’a aucune terminaifon dont la
concordance puiffe en défîgner l’application à quelque
fujet déterminé. Les autres langues doivent exprimer
l’attribut avec les caraâieres de l’application ;
ce qui eft rempli par la concordance de l’adjeâif attributif
avec le fujet. Mais peut-être faut-il fous-en-
tendre alors le nom avant l’adjeélif, & dire que hi
viri funt dàcli , c’eft la même chofe que hi viri funt
viri docli ; & que ego fum mifer , c’eft la même chofe
que ego fum homo mifer : en effet la concordance de
l’adjeâit avec le nom, & l’identité du fujet exprimé
par les deux efpeces, ne s’entendent clairement &
d’une maniéré fatisfaifante, que dans le cas de l’ap-
pofition ; & l’appofition ne peut avoir lieu ici qu’au
moyen de l’ellipfe. Je tirerois de tout ceci une con-
çlufion furprenante : la phrafe allemande eft donc
' un idiotifnu régulier, & la phrafe commune un idiotifme
irrégulier.
Voici un latinifme régulier dont le développement
peut encore amener des vues utiles : neminem repe-
rire eft idqui vêtit. Il y a là quatre mots qui n’ont rien
d’embarraffànt : qui vêtit id (qui veuille cela) eft une
propofition incidente déterminative de l’antécédent
neminem ; neminem (ne perfonne) eft le complément
ou le régime objettif grammatical du verbe reperire ;
neminem qui vêtit id (ne trouver perfonne qui veuille
cela) ; c’eft une conftru&ion exaôe & régulière. Mais
, que faire du mot eft? il eft à la troifieme perfonne du
finguliér ; quel en eft le fujet ? comment pourra-t-on
lier à ce mot l’infinitif reperire avec tes dépendances ?
Confultons d’autres phrafes plus claires dont la fo-
lution puiffe nous diriger.
On trouve dans Horace ( III. Od. à .) dulce & décorum
eft pro patriâ mori ; & encore ( IV . Od 12 .)
dulce efi dejipen in loco. Or la conftruftion eft facile :
mori pro patriâ eft dulce 6* décorum j dejïpere in loco ejl
dulce : les infinitifs mori & dejiperc y font traités comme
des noms, & l’on peut les confidérer comme
tels: j’en trouve une preuve encore plus forte dans
Perfe, Sat. 1. foire tuum nihil eft ; l’âdjettif tuum mis
en concordance avec foire, défigtie bien apiefcire eft
confidéré comme nom. Voilà la difficulté levee dans
notre première phrafe : le verbe reperire eft ce que
l’on appelle communément le nominatif du verbe
efl; ou en termes plus juftes, c’en eft le fujet grammatical
, qui feroit àti iiominatif, s il etoit déclinable
: reperire néminerti 'qui velu id, en eft donc le fujet
logique. Ainfi il faut cônftmire » reperire neminem qui
vêtit id , eft ; ce qui lignifie littéralement, ne trouver
perfonne qui le veuille, efl ou exifte ; ou en tranfpofant
la négation, trouver quelqu'un qui le Veuille , n'eft pas
ou n'exifte pas ; ou enfin 3 en ramenant la même
penfée à notre maniéré de l’énoncer, on ne trouve
perfonne qui le veuille.
C ’eft la même fyntaxe & la même conftruôion
par-tout où l’on trouve un infinitif employé comme
fujet du verbe fum, lorfque ce verbe a le l'ens adject
i f , c*eft-à-dire lorfqu’il n’eft pas limplement verbe
fubftantif, mais qu’il renferme encore l’idée de l’exif-
tence réelle comme attribut , & conféquemment
qu’il eft équivalent à exifto. Ce n’eft que dans ce cas
qu’il y a latinifme ; car il n’y a rien de fi commun
dans la plupart des langues, que de voir l’infinif fujet
du verbe fubftantif, quand on exprime enfuite un
attribut déterminé : ainfi dit-on en latin turpeeftmen-
tiri, & en françois, mentir eft une chofe honteufe. Mais
nous ne pouvons pas dire voir eft pour on voit, voir
étoit pour on voyoit, voir fera, pour on verra , comme
les Latins difent videre eft, videre erat, videre erit.
L ’infinitif confidéré. comme nom , fert aufli à expliquer
une autre efpece de latinifme qu’il me femble
qu’on n’a pas encore entendu comme il faut, & à
l’explication duquel les rudimens ont fubftitué les
difficultés ridicules & infolubles du redoutable que
retranché. Voye^ In f in it if .
II. Pour ce qui regarde les idiotifmes irréguliers, il
fau t, pour en pénétrer le fens, difeerner avec foin
l’efpece d’écart qui les détermine, & remonter, s’il
eftpoflible, jufqu’à la caufe qui a occafionné ou pû
occafionner cet écart : c’eft même le feul moyen
qu’il y ait de reconnoître les caraûeres précis du génie
propre d’une langue , puifque ce génie ne confifte
que dans la réunion des vues qu’il s’eft propo-
fées , & des moyens qu’il a aùtorifés.
Pour difeerner exactement l’efpece d’écart qui détermine
un idiotifme irrégulier, il faut fe rappeller ce
que l’on a dit au mot G r a m m a ir e , que toutes les
réglés fondamentales de cette fcience le réduifent à
deux chefs principaux, qui font la Lexicologie & la
Syntaxe. La Lexicologie a pour objet tout ce qui
concerne la connoiffance des mots confédérés en foi
& hors de l’élocution : ainfi dans chaque langue, le
vocabulaire eft comme l’inventaire des fujets de fon
domaine ; & fon principal office eft de bien fixer le
fens propre de chacun des mots autorifés dans cet
idiome. La Syntaxe a pour objet tout ce qui concerne
le concours des mots réunis dans l’enfemble
de l’élocution ; & fes décifions fe rapportent dans
toutes les langues à trois points généraux, qui font
la concordance , le régime &c la .conftruâion.
Si l’ufage particulier d’une langue autôrife l’altération
du fens propre de quelques mots , & la fubf-
titution d’un fens etranger, c’eft alors une figure de
•mots que l’on appelle trope. Voyez ce mot.
Si l’ufage autôrife une locution contraire aux lois
générales de la Syntaxe, c’eft alors une figure que
l’on nomme ordinairement figure deconftruclion, mais
que j’aimerois mieux que l’on défignât par la dénomination
plus générale de figure de Syntaxe , en ré-
lervant le nom de figure de conftruclion aux feules locutions
qui s’écartent des réglés de la conftru&ion
proprement dite. Voye^ Fig u r e & C o n st r u c t
io n . Voilà deux efpeces d’écart que l’on peut ob-
ferver dans les idiotifmes irréguliers.
i° . Lorfqu’un trope eft tellement dans le génie
d’une langue, qu’il ne peut être rendu littéralement
dans une autre, ou qu’y étant rendu littéralement il
y exprime un tout autre fens , c’eft un idiotifme de
la langue originale qui l’a adopté ; & cet idiotifme
eft irrégulier , parce que le fens propre des mots y
eft abandonné ; ce qui eft contraire à la première
inftitution des mots. Ainfi le fuperftitieux euphémif-
me , qui dans la langue latine a donné le fens de fa-
crifitr au verbe ma&are, quoique ce mot lignifie dans
fon étymologie augmenter davantage (magis auûare);
cet euphémifme, dis-je, eft tellement propre au génie
de cette langue, que la traduélion littérale que l’on
en feroit dans une autre , ne pourroit jamajs y faire
naître l’idée de facrifi.ee. Voyc{ Eu p h é m ism e .
C ’efl: pareillement un trope qui a introduit dans
notre langue ces idiotifmes déjà remarqués au mot
G a l l ic ism e , dans Iefquels on emploie les deux
verbes venir & aller} pour exprimer par l’un des
prétérits prochains, & par l’autre des futurs prochains
(voye^ T ems ) ; comme quand on d i t , je
viens de lire ,j e venois de lire, pour f a i ou j'avois LA
depuis peu de tems ; je vais lire yf allais lire , pour je
dois , ou je dévots lire dans peu de tems. Les deux verbes
auxiliaires venir & aller perdent alors leur lignification
originelle, & ne marquent plus le transport
d’un lieu en un autre ; ils ne fervent plus qu’à marquer
la proximité de l’antériorité ou de la poftério-
rité ; & nos phrafes rendues littéralement dans quelque
autre langue , ou n’y fignifieroient rien , ou y
fignifieroient autre chofe que parmi nous. C ’eft une
catachrefe introduire par la néceffité (voye£ C a t a -
c h r e s e ) , & fondée néanmoins fur quelque analogie
entre le fens propre & le fens figuré. Le verbe
venir, par exemple, fuppofe une cxiltence antérieure
dans le lieu d’où l ’on vient ; & dans le moment
qu’on en v ient, il n’ÿ a pas long-tems qu’on y
étoit: voilà précifément la raifon du choix de ce
verbe , pour fervir à l’expreffion des prétérits prochains.
Pareillement le verbe aller indique la pofté-
riorité d’exiftence dans le lieu où l’on va ; & dans
le tems qu’on y v a , on eft dans l’intention d’y être
bientôt : voilà encore la juftification de la préférence
donnée à ce verbe, pour défigner les futurs prochains.
Mais il n’en demeure pas moins vrai que ces
verbes ^devenus auxiliaires, perdent réellement
leur lignification primitive & fondamentale, & qu’ils
n’en retiennent que des idées acceffoires & éloignées.
z°. Ce que l ’on vient de dire des tropes, eft également
vrai des figures de Syntaxe : telle figure eft
un idiotifme irrégulier, parce qu’elle ne peut êrre rendue
littéralement dans une autre langue , ou que la
verfion littérale qui en feroit faite, y auroit un autre
fens. Ainfi l’ufage où nous fommes , dans la langue
françoife , d’employer l ’adjeâfif poffeffif mafeu-
lin , mon , ton ,fo n , avant un nom féminin qui commence
par une voyelle ou par une h muette, eft un
idiotifme irrégulier de notre langue , un gallicifme ;
parce que l’imitation littérale de cette figure dans
une autre langue n’y feroit qu’un lolécifme. Nous
difons mon ame , & l’on no diroit pas meus anima ;
ton opinion, & l’on ne peut pas dire tuas opinio: c ’eft
que les Latins a voient pour éviter l'hiatus occafionné
par le concours des voyelles , des moyens qui nous
font interdits par la conftitution de notre- langue, &
dont il étoit plus raifonnable de faire ufage , que de
violer une loi aufli effentielle que celle de la concordance
que nous tranfgreffons : ils pouvoient dire anima
mea, opinio tua ; & nous ne pouvons pas imiter
ce tour , & dire ame ma, opinion ta. Notre langue
facrifie donc ici un principe raifonnable aux agré-
mens de l’euphonie ( voye^ Eu ph o n ie ) , conformément
à la remarque fenfée de Cicéron, Orat. n. :
impetratum eft a confuttudine ut peccare ,fuavitatis causa
. ticeret.
Voici uneellipf? qui eftdevenue une locution propre
à notre langue, un gallicifme, parce que l’iifage
en a prévalu au point qu’il n’eft plus permis de fuivre
en pareil cas la Syntaxe pleine : il ne laifjepas d'agiry
notre langue ne laiffe pas de fe prêter à tous les genres
d'écrire, on ne laiffe pas d'abandonner la vertu en la
louant , c’eft-à-dire il ne laiffe pas lé foin d'agir, notre
langue ne laiffe pas la faculté de fe prêter à tous les
genres d'écrire , on ne laiffe pas la foibleffe d'abandon-
ner la vertu en la louant, Nous préférons dans ces