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ment à leitr mémoire. De la réflexion qu’ils fofit
forcés fle faire fur ces faits» naiffent des idées de
mies & de précautions qui fe gravent encore dans
la mémoire, s’y -établi fient en-principes,- & que la
-répétition rend, habituelles. La variété & l’invém-
lion-de;:ces'.idées étonnent fouvent ceux auxquels
•ces objets font le plus, familiers. Un l'oup-qui chafle
fait par .expérience que le vent apporte à fon odorat
les'émanations du corps des animaux qu’il recherche
: il va donc toujours le nez au vent ; il
apprend de plus, à juger par le fentiment du même
organe,» fi la -bête, eft éloignée ou prochaine, fi elle
eft rèpoleélou fuyante. D ’apres cette connoiffance
il réglé fa marche ; il va à pas de loup pour la fur-
prendre, ou redouble.'de vitelfe pour l’atteindre ;
il rencontre fur la route des mulots, des grenouille
s , & d’autres petits animaux dont il s’eft mille fois
nourri. Mais quoique déjà preffé parla faim il néglige
cette nourriture préfënte 6c facile, parce qu’il fait
qu’il trouvera dans la chair d’un cerf ou d’un daim
un repas plus ample 8c plus exquis. Dans tous les
tems ordinaires ce loup épuifera toutes.les reflour-
ces qu’on peut , attendre de la vigueur & de la rufe
d’un , animal folitaire : mais lorfque l’amour met en
fôciété le-mâle 8c la femelle, ils ont refpeftivement,
quant à {’objet de la chafle, des idées qui dérivent
de la facilité que l’union procure. Ces loupsconnoif-
fent par des expériences répétées oit vivent ordinairement
les bêtes fauves-, & la route qu’elles
tiennent lorfqu’elles font chaflees. Us favent aufîi
combien eft utile un relais pour hâter la défaite
d’une bête déjà fatiguée. Ces faits étant connus, ils
concluent de l’ordinaire au probable, & en con-
féquence ils partagent leurs fondions. Le mâle fe
met en quête, & la femelle comme plus foible attend
au détroit la bête haletante qu’elle eft chargée de
relancer. On s’affure aifément de. toutes ces démarches
, lorfqu’elles font écrites fur la terre molle ou
fur la neige, 8c on peut y lire l’hiftoire des penfées
de l’animal.
Le renard, beaucoup plus foible que le loup, eft
contraint de multiplier beaucoup plus les réffourcés
pour obtenir fa nourriture. Il a tant de moyens à
prendre, tant de dangers à éviter, que fa mémoire
eft néçeffairement chargée d’un nombre de faits qui
donne à fon in/linél une grande étendue. Il ne peut
pas abattre ces grands animaux dont un feul le nour-
riroit pendant plufieurs jours. Il n’eft pas non plus
pourvu d’une vîteffe qui puiffe fuppléer au défaut
de vigueur : fes moyens naturels font donc la rufe,
la patience 8c l’adrelTe. Il a toujours, comme lé
loup , fon odorat pour bouffole. Le rapport fidele
de ce fens bien exercé l’inftruit de l’approche de
ce qu’il cherche, & de la préfence de qu’il doit éviter.
Peu fait pourchaffer à force ouverte, il s’approche
ordinairement en filence ou d’une perdrix
qu’il évente, ou bien du lieu par lequel il fait que
doit rentrer un lièvre ou un lapin. La terre molle
reçoit à peine la trace légère de fes pas. Partagé
entre la crainte d’être furpris, & la néceffité de fur-
prendre’lui-même, fa marche toujours précautionnée
& fouvent fufpendue décele fon inquiétude, fejs
defirs & fes moyens. Dans les pays giboyeux où
les plaines & les bois ne laiffent pas manquer de
proie, il fuit les lieux habités. Il ne s’approche de
la demeure des hommes que quand il eft preffé par
le befoin , mais alors la connoiffance du danger lui
fait doubler fes précautions ordinaires. A la faveur
de la nuit il fe gliffe Je long des haies & des buif-
fons. S’il fait que les poules font bonnes, il fe rappelle
en même tems que les pièges 6c les chiens
font dangereux. Ces deux fouvenirs guident fa marche
, 6c la fulpendent ou l’accélèrent félon le degré
dé vivacité que donnent à l’un d’euxles circonftancés'qui
furvxennent.'l.orfque la nuit commencé &
que fa longueur offre des reffources.à là prévoyance
du renard, le jappement éloigné d’un chien arrêtera
fur le champ la courfè. Tous les dangers qu’il
a courus en différens tems fe repréfentent à lui*
mais à l’ approche du jour cettè frayeur extrême cédé
à la vivacité de l’appétit : l’animal alors devient
courageux par néceffité. Il fé hâte même de s’expo-
fer, parce qu’il fait qu’un danger plus grand le menace
au retour de la lumière;
^On voit que les àfrions les plus ordinaires des
bêtes j leurs démarches de tous les jours fuppofent
la mémoire , la réflexion fur ce qui s’eft pâlie* "la
comparaifon entre un objet préfeftt qui les attire &
des périls indiqués qui les éloignent, la diftinfrion
entre des circonftançés qui fe réffemblent à quelques
égards, 8c qui différent à d’autres, le jügement 6c
le choix entre tous ces rapports. Qu’eft-ce donc
que Vinjiinci? Des effets , fi multipliés dans les animaux
, de la recherche du plaifir 6c de la crainte de
la douleur ; les conféquences & les induftiohs tirées
par eux des faits qui fe font placés dans leur mémoire
; les aûions qui en réfiiitent; ce lyftème de
connoiflances auxquelles l’expérience ajoute , 6t
que chaque jour la réflexion rend habituelles, tout
cela ne peut pas fe rapporter à Yinjlincl, ou bien ce
mot devient lynonyme avec celui d'intelligence.
Ce font les befoins vifs q ui, comme nous l’avonà
dit, gravent dans la mémoire des bêtes des fenfa-
tions fortes & intéreffantes dont la chaîne forme
l’enfemble de leurs connoiffances. C ’eft par cetté
raifon que les animaux carnafliers font beaucoup
plus induftrieux que les frugivores, quant à la recherche
de la nourriture ; mais chaffet fouvent ces
mêmes frugivores, vous les verrez acquérir,relativement
à leur défenfe, la connoiffance d’un nombre dô
faits, & l’habitude d’une foule d’indufrions qui les
égalent aux carnafliers. De tous les animaux qui §§|
vent d’herbes , celui qui pàroît le plus ftupide eft
peut-être le lièvre. La nature lui a donné dés yeux
foibles & un odorat^obtus; fi ce n’eft l’ouie qu’il a
excellente, il paroît n’être pourvu d’aucun inftru-
ment d’induftrie. D ’ailleurs il n’a que la fuite pour
moyen de défenfe : mais âüffi femble-t-il épuifef
tout ce que la fuite peut comporter d’intentions 8c
de variétés. Je ne parle pas d’un lièvre que des lévriers
forcent par l’avantage d’une viteffe fupérieu-
re , mais de celui qui eft attaqué par des chiens cou-
rans. Un vieux lièvre ainli chaffé commence par
proportionner fa fuite à la viteffe de la pourfuite.
Il fçait , par expérience, qu’une fuite rapide ne le
mettroit pas hors de danger, que la chafle peut être
longue, 6c que fes forces ménagées le ferviront
plus long-tems. 11 a remarqué que la pourfuite des
chiens eft plus ardente, & moins interrompue dans
les bois fourés où le contafr de tout fon corps leur
donne un fentiment plus v if de fon paffage, que fur
la terre oit fes pies ne font que pofer ; ainfi il évite
les bois, 6c fuit prefque toujours les chemins ; ( ce
même lièvre lorlqu’il eft pôurfuivi à vue par un lévrier,
s’y dérobe en cherchant les bois ). Il ne peut
pas douter qu’il ne foit fuivi par les chiens cour ans
lans être v u : il entend ïfiftinâement que la pour-
fuite s’attache avec fcrupule à toutes les traces de
fes pas ? Que fait-il} après avoir parcouru un lon°r
efpace en ligne droite, il revient exactement fur fes
mêmes voies. Après cette rufe, il fe jette de côté,
fait plufieurs fauts confécutifs, & par-là dérobe
au moins pour un tems, aux chiens le fentiment de
la route qu’il a prife. Souvent il va faire partir du
gîte un autre lièvre dont il prend la place. Il déroute
ainfi les chaffeurs & les chiens par mille moyens
qu’il feroit trop long de détailler. Ces moyens lui
font communs avec d’autres animaux, qui, plus
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fiâbïiés que lui d’ailleurs, n’ont pas plus d’expérier.:
ce à cët égard. Lés jeunes animaux on,t beaucoup
moins de ces fufés. C ’eft à là feiençe cle'sTairs que les
vieux doivent les induétions juftes & promptes qui
amènent ces a£tes multipliés.
Les rufes, l’invention, l’induftrie, étant une fuite
dé la connoiffance des' faits gravés par le befoin
dans là mémoire , les animaux doués dé vigueur,
bu pourvus de déférifes doivent être moins induftrieux
que les autres. Aufli voyons-nous que le loup
qui eft un des plus robuftès animaux .de nos climats,
eft un des moins rufés lorfqu’il eft chaffé. Son nez
qui le guide toujours, ne le rend précautionné que
contre les furprifes. Mais d’ailleurs il ne fonge qu’à
s ’éloigner, 8c à fe dérober au péril par l’avantage
de fa force St de fon haleine. Sa fuite n’eft point
compliquée comme celle des animaux timides, il
n’a.point recours à ces feintes 6c. à ces retours qui
font une reffource néceffaire pour la foibleffe 8c la
laffitude. Le fanglier quieft armé de défenfes, n’a
point non plus recours à.l’induftrie. S’il fe fent preffé
dans fa fuite, il s’arrête pour combattre. 11 s’indign
e , 6c fe fait redouter des chaffeurs & des chiens
qu’il menace &c charge avec fureur. Pour fe procurer
une défenfe plus facile, 6c une vengeance plus
affurée, il cherche les bluffons épais 8c les halliers.
Il s’y plate de maniéré à ne pouvoir être abordé
qu’en face. Alors l’oeil farouche 6c les foiës hérif-
fées, il intimide les hommes 6c les chiens, les bleffe
& s’ouvre un paffage pour une retraite, nouvelle.
La vivacité des befoins donne, comme on v o it,
plus ou moins d’étendue aux connoiffances que les
bêtes .acquièrent. Leurs lumières's’augmentent en
raifon des obftacles qu’elles ont à furmonter. Cette
faculté qui rend les bêtes capables d’être perfedion-
nées , rejette bien loin l’idée d’automatifme qui
ne peut être née que de l’ignorance des faits. Qu’un
chaffeur arrive avec des pièges dans un pays où ils
ne font pas encore connus des animaux, il les prendra
avec une extrême facilité, & les renards même
lui paroîtront imbécilles. Mais lorfque l’expérience
les aura inftruits, il fentira par les progrès de leurs
connoiffances le befoin qu’il a d’en acquérir de nouvelles.
Il fera contraint de multiplier les reffources
8c de donner le change à ces animaux en leur pré-
fentant fes appâts fous mille forme. L’un fe dévoye-
ra des reluîtes ordinaires à ceux de -fon efpece, 8c
fera voir au chaffeur des marches qui lui font inconnues.
Un autre aura l’art de lui dérober légèrement
fon appât en évitant le piège. Si l’un eft afîiégé dans
un terrier, il y fouffrira la faim plutôt que de franchir
le pas dangereux ; il s’occupera à s’ouvrir une
route nouvelle ; fi le terrein trop ferme s’y oppofe»
fa patience laffera celle du chaffeur qui croira s’être
mépris. Ce n’eft point une frayeur automate qui
retient alors cet animal dans le terrier ; c’eft une
.crainte favante & raifonnée : car s’il arrive par hasard
qu’un lapin enfermé dans le même trou forte
& détende le piège, le renard vigilant prendra fu- j
rement ce moment pour s’échapper & paffera fans
héfiter à côté du lapin pris & dù piège détendu.
Parmi les différentes idées que la néceffité lait ac- I
quérir aux animaux, on ne doit pas oublier celle
des nombres. Les bêtes comptent ; cela eft certain,
8c quoique jufqu’à préfent leur arithmétique paroiffe
affez bôrnée, peut-être pourroit-on lui donner plus
d’étendue. Dans les pays où l’on conferve avec foin
le gibier, on fait la guerre aux p ies, parce qu’elles
enlèvent les oeufs 8c détruifent l ’efpérance de la
ponte. On remarque donc affidùment les nids de
ces oifeaux deftrufteurs ; & pour anéantir d’un coup
la famille: carnaffiere, on tâche de tuer la mere pendant
qu’elle couve. Entre ces meres il en eft d’in-
Qüiettes gui déferlent leur nid dès qu’on en apprôï
N S 7 97 1 che, AI,ors on eft contraint de faire un affût bien
couvert au pied de l’arbre fur lequel eft ce nid, &
un homme fe place dans l’affût pour attendre le retour
de la couveufç; mais il attend en vain, fi la
pie qu’il veut furpréndre a quelques fois été'manquée
en pareil cas. EIIeTâit que la.foudre va fortir
de cet antre où elle à vu entrer un homme. Pendant
que la tendreffe maternélie lui tient la vue attachée
fur fon nid, la frayeur l’en éloigne jufqu’à ce que
la hii.it puiffe la dçro.ber au chaffeur. 'Pour tromper
cet oifqau inquiet, on s’éft avifé d’envoyer à l’affût
deux hommes, dont l’un s’y plaçoit & l’autre paf-
fôit mais Ta pie compte & iè tient toujoiiirs éloignée.
Le lendemain trois y vontj 8c elle voit encore
que deux feulement, le retirent. Enfin il eft né-
ceffajre que cinq ou fix hommes en .allant à l’affût
mettent fon calcul en défaut. La pie qui croit que
cette collefrion d’hommes n’a fait que pafler ne tarde
pas à revenir. Ce phénomène renouvelle toutes
les fois qu’il eft tenté, doit être mis âùrang des phénomènes
les plus ordinaires delafagacité des animaux.
Piiifque les animaux gardent la mémoire des faits
qu’ils ont eu intérêt de remarquer : puifque les con-
féquences qu’ils en ont tirées s’établiffent en principes
par la réflexion, & fervent à diriger leurs actions
, ils font perfeftibles ; mais nous ne pouvons
pas favoir jufqu’à quel degré. Nous fommes même
prefque étrangers au genre de perfeftion dont les
bêtes font fufceptibles. Jamais avec un odorat tel
que le nôtre nous ne pouvons atteindre à la diver-
fité des rapports 8c des idées que donne au loup 8c
au chien, leur nez fubtil & toujours exercé. Ils doivent
à la fineffe de ce fens la connoiffance de quelques,
propriétés de plufieurs corps, & des idées de
relation entre ces propriétés 8c l’état àftuel de leur
machine. Ces idées & ces rapports échappent à
la ftupidité de nos organes. Pourquoi donc les bêtes
ne fe perfectionnent - elles point ? Pourquoi ne re-,
marquons-nous pas un progrès fenfible dans les ef-
peces ? Si Dieu n’a pas donné aux intelligences cé-
leftes de fonder toute la profondeur de la nature de
l’homme, fi elles n’embraffent pas d’un coup-d’oeiP
cet àffêmblage bizarre d ’ignorance & de taîens ,
d’orgueil & de baffeffe, elles peuvent dire aufîi :
Pourquoi donc cette efpece humaine , avec tant de
moyens de perfectibilité, eft*elle fi peu avancée
dans les connoiffances les plus effentielles ? Pourquoi
plus de la moitié des hommes eft-elle abrutie
par les fuperftitions ? Pourquoi ceux même à qur
l’être fuprême s’eft manifefté par la voix de fon
fils, font - ils occupés à fe déchirer entr’eux, au lieu
de s’aider l’un l’autre à jouir en paix des fruits de la
terre & de la rofée du ciel ?
II eft certain que les bêtes peuvent faire des progrès;
mais mille obftacles particuliers s’y oppofent,1
& d’ailleurs il eft apparemment un terme qu’elles ne
franchiront jamais.
La mémoire ne conferve les traces des fenfations 6c
des jugemens qui en font la fuite, qu’autant que cel-,
les-ci ont eu le degré de force qui produit l’attentiou
vive. Or les bêtes vêtues par la nature, ne font gue-
res excitées à l’attention que par les befoins de l’appétit
6c de l’amour. Elles n’ont pas de ces befoins
de convention qui naiffent de l’oifiveté' 6c de l’ennui.
La néceffité d’être émus fe fait fentir à nous
dans l’état ordinaire de veille, 8c elle produit cette
curiofité inquiette qui eft la mere des connoiffances.'
Les bêtes ne l’éprouvent point. Si quelques efpeces
font plus fujettes à l’ennui que les autres, la fouine^'
par exemple, que la foupleffe & l’agilité carafré-
rifent, ce ne peut pas être pour elles une fituation
ordinaire, parce que la néceffité de chercher à vivre
tient prefque toujours leur inquiétude en exer»
cicë, Lorfque la chaffé eft heùreufe, 8c que leur faim