neuvième fiècle avant l’ère vulgaire, Teyifterice
des Amazones étoit une opinion reçue. Ce poète
fuppofe qu’elles étoient puifîantes dans leur pays,
aux fiècles de Bellerophon , d’Hercule & de la
j eunefle de Priam. Il les place à l ’orient du fleuve
. Sangarius & de la Phrygie, parle de leurs expéditions
en L y c ie , & de leurs courfes dans la
Troade ; mais n’entre dans aucun détail fur leur
gouvernement.
La plupart des anciens plaçoient les Amazones
dans le Pont, près du Terrcodon, où une plaine
portoit le nom de Témifcyre. On admettoit même
i ’exiftence d’une ville de ce nom , ainfi qu’on peut
le voir dans Etienne de Byfance & dans Pline,
qui femblent leur donner aufli d’autres villes. Selon
Strabon, les montagnes de ce pays portoient le
nom d’Amazones.
4°. Le Livre de l’expédition des Argonautes
par Apollonius, & fon Scholiafte , fourniuent plusieurs
particularités fur les Amazones. On y voit
que les Amazones ne demeuraient pas ensemble
dans une même ville ; mais qu’elles étoient diftin-
guées en trois clafles par autant de villes dont
elles portoient les noms. Ainfi, l’on difoit les
Amazones Thémyfciriennes, ou de la ville de Thémyf-
cire; les Amazones Lycafîiennes, de la ville de Ly-
caftie , ou , félon l’opinion du Scholiafte , d’un
lieu de la Leuco-Syrie ; enfin, les Amazones Cha-
difennes, d’une ville que l’on foupçonne avoir porté
le nom de Chadifie.
5°. On leur attribuoit la fondation de plufieurs
villes de l’Ionie. Selon Strabon, la ville d’Ephèfe
avoit d’abord porté le nom de Y Amaçone-Smyme,
fa fondatrice. Ce fentiment eft celui de plufieurs
autres auteurs. Pline, fans nommer Y Amazone, dit
•qu’Ephèfe fut fondée par les Amazones, & qu’elle
eut plufieurs noms. ( Voyeç Eph e su s ). Un temple
de Diane, non celui qui fut regardé, comme un des
plus beaux monumens de l’A fie , mais un plus ancien
, paffoit pour être l’ouvrage dès Amazones.
Callimaque, il eft v ra i, ne dit pas que ce temple fût
leur ouvrage, ce qui n’eft pas probable, mais qu’elles
y érigèrent une ftatue à Diane au pied d’un hêtre.
On difoit aufli, rapporte Strabon, qu’elles avoient
fondé les villes de Smyrne,de Cumès, de My-
r in e , de Paphos & quelques autres. Dans cette
hypothèfe, les Amazones auroient été maîtrefîes
d’une grande étendue de pays. Ce préjugé, qui
flattoit alors l’amour-propre , étoit tellement reçu
que ces mêmes villes avoient fait battre des mon-
noies, où l’on voyoit une Amazone. D ’autres villes
' que celles que je viens de nommer, ont aufli une
Amazone fur leur médaille.
6°. On difoit que Théfée avoit été porter la
guerre dans leur pays ; cette attaque les attira
dans l’Attique ; mais on comptoit déjà deux expé-,
ditions guerrières de ces héroïnes. Dans la" pre-.
mière , elles avoient fait la.guerre à Priam , roi de
. Tro ie ; dans la troiftème, elles vinrent à fon fe-
cours, vers la fin du liège de cette ville par -fes^
Gfecs. La fécondé expédition préfeiîtoit bien phisr
de difficultés, pui.fqu’il falloit traverfer la mer. Thé-
fé e , en revenant de fon expédition, avoit emmené
avec lui Antiope, reine des Amazones. Elles
pafsèrent en Grèce pour venger ce rapt & l’oubli,
de leurs lo ix , qui défendoient de s’attacher à aucun
homme.
7 ° . On les fuppofoit armées comme des hommes,
fe fervant du bouclier, de la hache &. d’une
efpèce de pique.
8®. Ceux qui veulent admettre l’exiftence des
Amazones, ajoutent à ce qui en a été dit précédemment
, que même on montroit de leurs tombeaux
en diflerèns lieux. Selon Homère, auprès de Troye,
à la colline Batiée, on voyoit le tombeau, de My-
rine : on en voyoit aufli dans l’Attique, dans 1-île
d’Eubée , en Theffalie & ailleurs.
Il eft très-probable que l’imagination des poètes,
&même celle des hiftoriens , a embelli & exagéré
ce que leurs plus anciens écrivains leur avoient
appris des femmes; aufli féroces que leurs maris ,
habitantes près des bords du Pont. A mefure que
les connoiflances des Grecs s’étendirent en Afie ,
les Amazones, peuple au fond imaginaire , fe reculèrent
vers la Scythie & le Caucafe.
Hérodote rapporte ainfi la caufe de leur éloignement.
Lorfque les Grecs fe furent battus aveç
les Amazones, auprès du Thermodon , ils tranfpor-
tèrent, le plus qu’il leur fut poflible, de ces femmes
à bord de leurs bâtimens , & trois mirent à la
voile ; elles parvinrent à maflacrer leurs ravif-
feurs & à s’emparer des bâtimens; mais ne réuflif-
fant pas à. les gouverner, elles voguèrent au gré
des vents, qui les portèrent vers, le Palus méotide.
Ayant mis pied.à terre, elles fe retirèrent dans
le pays ; ayant, rencontré des chevaux,, elles s’en
emparèrent & s’en fervirent pour faire des courfes
de côtés & d’autres.; la vue de ces ennemis inconnus
étonna les Scythes, qui les prirent d’abord
pour de jeunes guerriers. Mais , après un combat
dans lequel quelques-unes des Amazones relièrent
fur la place, ils furent détrompés, & pensèrent au
moyen de faire la paix, & même de s’allier avec
ces héroïnes ; elles confentirent à fe marier avec
la troupe de jeunes gens qu’on leur avoit op-
pofée ; mais ne pouvant pas s’habituer à la vie
fédentaire des femmes Scythes, qui ne fortoient
pas de leurs charriots-, elles engagèrent leurs époux
à traverfer le Tanaïs, avec ce qu’ils avoient de
troupeaux, pour aller s’établir à l’orient de ce
fleuve. Leurs defcendans, ajoute Hérodote, ont
formé la nombreufe nation des Sauromates, qui
occupe un pays de quinze journées d’étendue en
remontant le fleuve vers le nord, & de huit journées
de largeur du côté de l’orient.
Il fembleroit, d’après ce récit, que les Amazones
ne connoiflbient d’abord pas les nations Scythiques ;
mais Juftin les fait au contraire commencer par
une commünieation_avec ce peuple ; car félon cet
hiftorien, Ylinus & Scolopitus, princes du fang
" ro y al, ayant été chafles de la Scythie par une'fac-
tion- des premiers de la nation, emmenèrent avec
, eux un anez grand nombre de jeunes gens, & vinrent
s’établir dans la Cappadoce ( le Pont) auprès
du fleuve Thermodon ,& s’emparèrent des plaines
de Themifcyre. Ils pillèrent & ravagèrent le pays
pendant plufieurs années ; enfin on leur tendit des
embûches, & on les fit tous périr. Dans leur dé-
fefpoir, les femmes de ces Scythes prirent les
armes & repoufsèrent leurs ennemis ; puis, enhardies
par leurs fuçcès , elles portèrent la guerre au
loin : elles perdirent l’envie de fe marier ; & ,
regardant ce lien comme un efclavage, elles s’é-
• rigèrent en république. Pour mettre en elles , à
• cet égard, toute efpèce d’égalité, elles tuèrent les
maris qui avoient furvécu au défaftre du pays ;
• elles ne contraftèrent plus d’alliance avec les hommes
des pays voifins, qu’au tant qu’il en étoit
befoin pour devenir mères , & fe firent un devoir
de tuer les enfans mâles qu’elles mettroient au
-monde , &c.- &c. D ’après ce récit, les Amazones
étoient des femmes Scythes ; d’autres auteurs ont
dit qu’au lieu de tuer les mâles, elles leur diflo-
quoient les membres, & que, devenus grands ,
• ces mâles leur fervoient de maris.
Malgré ce que j’ai dit d’après les anciens, & d’après
un fort grand nombre d’autres paffages qui pré-
fenteroient à-peu-près tous le même fens, v o ic i,
félon M. Frerez, à quoi fe réduit ce que l’on peut
croire de l’hiftoire des Amazones.
i? . Au temps d’Hérodote, d’Hippocrate & de
Platon, il y avoit encore dans la Scythie, à l’eft
du Tanaïs, une tribu de Sauromates , où les femmes
accompagnoient les hommes à la guerre.
2°. Les Scythes donnoient le nom d’ (Eorpata à
ces femmes Sauromatides, qui fe nommoient elles-
mêmes dans leur langue Amazones oü héroïnes, mot
qui n’a pas fon origine dans le grec, mais dans le
"Scythe, où l’on retrouve encore qu'Aemé T faîne
fignifie femme excellente. On a plufieurs exemples
de mots, i ° . corrompus en paflant d’une langue
dans une autre ; de mots qui alors paroiflent
avoir leur étymologie dans la langue dans laquelle
■ ils font défigurés.
3°. Quelques fiècles avant Homère, une armée
de ces Sauromates ayant traverfé le Caucafe & la
-Colchide , avoit pénétré dans l’A fie mineure, &
s’étôit arrêtée fur les bords du Termodon.
- 4°. Quoique cette armée fût probablement d’hom-
>mes & de femmes, l’amour du merveilleux, dont
Turent toujours pofledés les écrivains grecs, même
• dans les fiècles les plus éclairés , les aura empêchés
de faire mention des hommes : ils n’auront parlé
que des femmes en cette occafion ; & cette tradition
, adoptée par les poètes, aura fervi de fondement
à divers romans hiftoriques.
5°. La tradition de leur féjour dans l’Afie mineure,
& des courfes qu’elles avoient faites juf-
^qu’aux..portes de T r o y e , où , fuivant Homère,
on montroit quelques-uns de leurs tombeaux, étoit
trop ancienne & trop univerfelierttettt reçue pour
n’avoir pas quelque fondement liiftorique ; mais il
n’en étoit pas de même de la guerre d’Hercule &
de Théfée contre les Amazones de Themifcyre, &
de l’expédition qu’elles avoient, difoit-on , entre-
prife contre les Athéniens. Cette tradition, adoptée
par les écrivains de l ’Attique, n’étoit appuyée
fur aucun témoignage ancien. D ’ailleurs, elle lup-
■ pofoit que ces femmes guerrières, qui n’avoient ni
flottes ni vaifleaux, avoient fait une marche de
plus de.fept cens lieues pour fe fendre , par terre
& par le nord du Pont-Euxin , des bords du Ter-
modbn dans, l’Attique ; & que, dans cette longue
marche, elles avoient traverfé fans obftacle le Tanaïs
, le Boryfthène, le Tyras & le Danube près
de leurs embouchures.
Il faut obferver encore que les noms donnés à
ces Sauromatides par les écrivains, font tous des
noms Grecs , ou du moins de racines grecques ;
Orithye , Ménacippe , Hippolite, 8tc. quoiqu’il
foit vifible que ces femmes dévoient porter des
noms barbares, pris de la langue qu’elles partaient.
6°. Les Sauromates de l’ATie mineure n’étant
pas recrutés par de nouvelles troupes de leur nation
, n’ayant ni villes , ni ntaifons, ignorant ou
méprifant l’agriculture , ne fubfifloient que du pillage
des terres voifines, & dévoient s’afîoiblir ,
même par leurs viétaires ; enforte qu’au bout de
quelques années, ils fe feront trouvés hors d’état de
réfifter aux nations liguées pour exterminer des
ennemis avec lefquels il n’étoit pas poflible de faire
aucun traité.
7?. Enfin, les Sauromates d’Hérodote formoient
une nation particulière diftinguée des Scythes, &
même abiolument différente des Sarmates ou Slaves
qui n’habitèrent jamais à l’orient du Tanaïs. On
peut conjefturer que les Abcafles, les Circafles &
les autres peuples du Caucafe, font des reftes de
ces Sauromates.
Je finirai cet article par un morceau emprunté
d’un mémoire de M. de P ou illy , fur les caufes
d’incertitude dans l’hiftoire ( i) .
« Les femmes oritdifputé aux hommes l’honneur
de ravager la terre ; & il y en a eu qui, dans une
irruption que firent les Scythes dans l’A fie mineure,
fe diftinguèrent par-leur férocité ; la mémoire
s’en eft confervée fous le nom à’Amazones. Il
eft vrai.que Strabon, l’un des plus judicieux critiques
de l’antiquirté , traite ces héroïnes de perfon-
nages fabuleux ; mais^en réduifant, avec Ifocrate,
leur hïftoire à la propofition que je viens d’annoncer
, il eft difficile dëJa révoquer en doute. On fait
q ue , parmi les peuples du Nord, les femmes parta-
geoient quelquefois avec les hommes les travaux
& les périls de la guerre. C’étoit pour les y encourager,
que l’on armoit d’un arc & d’une épée;
Frigga, déeflè des plaifirs. L’hiftoire parle de quel->
(i) Mém. de Lit. tom. V I , p. 9J.
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