
a v e r t i s s e m e n t .
Précis de l ’hifloire de la Géographie ( i) .
Quoique la Géographie ait été cultivée dans l’antiquité, on ne peut difcon venir
que les anciens manquoient des connoiffances qu’ont employées les modernes pour la
porter au degré de perfection où elle eft arrivée de nos jours. Il falloir que, d un cote ,
l’aftronomie fît les progrès qu’elle doit aux belles découvertes qui nous ont fait connoître
les fatellites de Jupiter, ôc que, de l’autre, des hommes habiles correfpondiffent enfemble »
pour déterminer les longitudes avec précilion ; ainfi, quand on regrette la perte des cartes
anciennes, c ’eft feulement, je crois, pour juger des fituations relatives des différens
lieux nommés dans les auteurs, 8c non pour connoître leur jufte pofition fur tel ou
tel point du globe. Il faut rendre cependant juflice au travail de Ptolemee, quoiqu il
n’eüt pas une jufte idée de la configuration des p a ys, ni des diftances en longitude , fes
latitudes font en général affez approchantes de celles que l’on a connues depuis lui.
Mais il faut reprendre de plus haut l’hiftoire de la Géographie.
La première carte dont parlent les auteurs anciens, eft celle que Sefoftris, le premier.
&C le plus grand conquérant de l’Egypte, fit expofer à la vue de fon peuple, pour lui
faire connoître les nations qu’il avoit foumifes ôc l’étendue de fon empire, dont les
embouchures du Danube ôc de l’Indus faifoient les bornes.
On reconnoît encore l’antiquité' de la Géographie dans les defcriptions des livres
de Moife, le plus ancien des hiftoriens, né en Egypte, 6c éleve a la cour par la propre
fille du roi. Ce chef du peuple de Dieu 8c fon fucceffeur Jofue ne s en tinrent pas a
des defcriptions hiftoriques, lorfqn’ils .firent le partage de la Terre promife aux douze
tribus d’Ifraël. Jofeph 6c les plus habiles, interprètes de l’écriture fainte, affurent qu’ils
firent dreffer une carte géographique de ce pays.
La navigation contribua beaucoup aux progrès de la Géographie. Les Pheniciqns,
les plus habiles navigateurs de l ’antiquité , fondèrent un grand nombre de colonies
en Europe ôc en Afrique, depuis le fond de l’Archipel ou de la mer Egee , jufqu à
Gadès. Ils avoient foin d’entretenir ces colonies pour conferver 6c meme augmenter
leur commerce. Le befoin que nous avons de connoître les pays ou nous faifons des
établiffemens, doit faire croire que cette connoiffance leur étoit indifpenfable.
Il faut convenir que quelque antiquité que l’on puiffe donner a la Géographie, elle
fut long-temps à devenir une fcience fondée fur certains principes. C eft dans la fuite
que les Grecs afiatiques réunifiant les lumières des aftronomes chaldeens 6c des géomètres
d’Egypte, commencèrent à former différens fyftêmes fur la nature 8c la figure de.la
terre. Les uns la croyoient nager dans la mer, comme une balle dans un baflin d eau ;
d’autres lui donnoient la figure d’une furface plate, entre - coupee- d eau . mais en
Grèce, des philofophes plus conféquens jugèrent qu’elle formoit avec les eaux un
corps fphérique.
Thalès de Milet fut le premier qui entreprit de travailler d’après ce fyftême. U
( i ) Une partie de ce morceau eft prife de la première édition,
A V E R T I S S E M E N T . V
conftruifit un globe, 6c repréfenta fur une table d’airain la terre ôc la mer. Selon
plufieurs auteurs., Anaximandre, difciple de Thalès, eft le- premier qui ait figuré la
terre fur un globe. Héeatée, Démocrite, Eudoxe ÔC d’autres adoptèrent les plans ou
cartes géographiques, 8c en rendirent l’ufage affez commun dans la Grèce.
Ariftagoras de Milet préfenta â Cléomènes, roi de Sparte, une table d’airain, fur
laquelle il avoit décrit le tour de la terre- avec les fleuves ôc les mers, pour lui expliquer
la fttuation des peuples qu’il avoit à foumettre fucceffivement.
Socrate réprima l’orgueil d’Alcibiade par l’infpeâion d une- carte du monde, en
lui démontrant que les domaines dont il étoit fi fier -ne tenoient pas plus d efpace fur
cette carte que le plus petit point n’en pouvoit occuper.
Scylax de Cariandre publia, fous le-règne de Darius, fils- d’Hyftafpes, roi de Perfe,
un Traité de Géographie 8c un périple , ou voyage fais par- mer le long des côtés.
On voit dans la comédie des Nuées d’Ariftophane, un difciple de Socrate montrant
à Strépifi-ade une defcription de la terre.
Ce fut fous les Grecs que la Géographie commença à profiter des fecours quel’aftronomie
pouvoit lui procurer : la protection qu’elle trouvait â la cour des princes contribua à
fes progrès.
Alexandre, difent les hiftoriens,. étoit accompagné dans le cours de fes conquêtes,
des deux ingénieurs Diognètes ôc Béton, pour, lever la carte des pays que leur prince
traverfoit. Ils prenoient exaélement les diftances des villes 8c des rivières. d’Afie, depuis
les portes Cafpiennes jufqu’à l a mer des Indes. Ils employoient les obfervations que
Néarque 8c Onéfkrite avoient faites à bord des vaiffeaux qu’Alexandre leur avoit donnés
pour reconnoître la mer des. Indes 8c le golfe Perfique. Ils obfervoient les diftances
des lieux, non-feulement par l ’eftime du chemin, mais encore par la mefure des ftades,
lorfque cela leur étoit poffible ; 8c les obfervations aftronomiques, â la vérité moins
exaâes 8c moins nombreufes que les nôtres, rempliffoient, à quelques égards, quoique
très-imparfaitement, le vuide que caufoit quelquefois l’impoflïbilité où l ’on fe trouvoit
de prendre des mefures. ,
Pithéas, mathématicien de Marfeille, florifioit au temps d’Alexandre ( i ) . Sa pafiïon
pour la Géographie ne lui permit pas de s’en tenir aux obfervations faites dans fon pays.
Il parcourut l’Europe depuis les colonnes d’Hercule jufqu’à l’embouchure du Tanaïs;
8c dans un autre voyage il s’avança par l’Océan occidental jufques fous le cercle
polaire arâique. Ayant remarqué que plus il tiroit vers le nord, 8c plus les jours
devenoient grands, il fut le .premier à défigner ces différences de jour par climats.
Strabon croyoit ces pays inhabitables; 8c, malgré l ’opinion qu’Eratoftène 8c Hipparque
avoient du contraire, il ne.put s’empêcher d’accufer Pythéas de men-fonge. On fait
a&uellement à quoi s’en tenir fur cette affertion de Strabon; 8c les favans ont rendu
à Pythéas toute la juflice qu’il mérite.
( i) M. de Bougainville croit 'qu’il florifioit au plus tard vers le milieu du quatrième fiècîe avant
J. C. Mim, de lut. I, IX , p. 148,