
Homère > quoique de beaucoup poftêrîeur à
Moyfe f i ) , eft encore le plus ancien des écrivains
où nous puiflions prendre des connoiflances fur
F état de la Grèce 8c d’une partie de l’Afie mineure.
Quoique fa géographie foit infiniment plus détaillée
que celle de Moyfe, elle ne nous fait cependant
connoître que la Grèce. Ce qu’il dit de F Afie
mineure, quoique utile, eft moins circonftancié.
Il pârle peu de la haute A fie ; & ce qu’il dit de
l ’Afrique eft peu de clrofe. Mais, en détaillant ainfi
la Grèce, il femble que ce chantre divin, infpiré
par les mufes, devinât dès-lors que fes écrits paf-
i'eroient à la poftérité la plus reculée , 8c feraient
le plus précieux monument de la puiflance des
Grecs de fon temps & de' l’âge qui l’avoit précédé.
Mais fi de l’examen de fon Iliade nous paflons à
celui de fon Odyffée, nous relierons convaincus
«[u’excepté la Grèce & lés îles de l’Archipel, quelques
côtes de l’Italie, Homère ne connoît qu’im-
parfaitement, même les autres parties baignées par
la Méditerranée, & qu’il n’a que des idées bien
incomplètes du refte de la terre. Voye^ ce qu’il dit
des pays feptentrionaux & des côtes fituées au-
delà des colonnes d’Hercule. Cependant cet écrivain
immortel ; l’objet de notre admiration comme
p o è te , eft d’une étude précieufe & indifpenfable
pour la connoiflance de la: géographie ancienne.
Hérodote (2 ), le plus inftruCtif des écrivains qui
nous reftent de l’antiquité, nous donne de grands
•détails fur la géographie : il avoit beaucoup voyagé,
il s’étoit inftruit fur les lieux même. Il nous fait
connoître plufieurs grandes parties de l’Afie, & ce
qu’il en dit fe trouve confirmé par les écrivains qui,
depuis lui, ont parlé des mêmes pays. Cependant ce
qu’il nous dit ne s’étend guère au-delà des pays avec
lefquels les Grecs avoient quelque rapport. On ne
peut lui en faire un reproche, puifque fon fujet
ne.comportoit pas qu’il en parlât. Mais enfin, tel
que nous le lifons aujourd’hui, nous n’y trouvons
rien fur les parties feptentrionales & occidentales
de l’Europe ; fur la plus grande partie de l’A fie , &
fur l’Afrique, excepté l’Egypte & la Libye. I c i,
les Garamantes, ailleurs les Sarmates & les Scythes
font le ntc plus ultra de fes connoiflances.
Cependant, outre une foule d’inftruCtions géogra-
hiques que l’on trouve dans fon ouvrage , il y
rille un. trait de là lumière qui eût dû percer plutôt
les ténèbres qui couvrirent fi long-temps la véritable
configuration de l’Afrique. Hérodote nous
apprend que des Tyriens en avoient fait le tour.
A ve c plus d’attention à ce récit, on eût tenté plutôt
le même voy ag e , & l’on n’eût pas nié fi longtemps
la poflibilité de revoir revenir à T y r par
le détroit de Gades, des navigateurs partis d’un des
(1) Moyfe écrivoit environ 1595 ans avant notre è re ,
la îortie d'Egypte étant de l’an 1596; & Homère environ
907 ans, felbn les marbres de Paros.
V1) V ers l’an 450 avant notre ère,
ports de la mer Rouge. La forme de l’Afrique;
dit-oi^ actuellement, étoir donc connue des anciens.
Sans doute, & certainement de proche en proche,
il fe trouvoit des hommes qui auraient pu la faire
connoître en totalité. Mais ils n’avoient pas été
interrogés, le voyage des navigateurs Tyriens
n’avoit pas été renouvelé, &- les écrivains grecs
ne connoifioient pas l’Afrique jufqu’à l’Equateur.
G’eft donc à fort que quelques perfonnes fe font
cru fondées à trouver la Mappemonde ancienne
de M. d’Anville (3) imparfaite, parce qu’elle ne
préfentoit pas l’Afrique dans fa totalité. Etoit-ce
faire connoître cette partie que de dire que l’on
en avoit fait le tour, fans prefque y croire, &
fans donner aucune idée de fa forme ?
Les hiftoriens d’Alexandre, les auteurs de quelques
périples, Diodore de Siqile, 6*c. nous font
d’un grand fecours pour les différentes parties de
la géographie ancienne. Ce font eux qui, avant
Pline, nous ont fait connoître l’Inde 8c plufieurs
côtes baignées par cette mer.
Mais Strabon les efface tous. C ’eft dans ce géo-
graphe-philofophe qu’il faut étudier la defcripticn
des pays anciens, s’inftruire fur les peuples, fur
les monumens (4). Non-feulement il ne laifle pas
ignorer les principaux objets de l’hiftoire; mais,
de plus ,'.pour la Grèce au moins * il offre le double
avantage de rapprocher l’état ancien du pays, de
l’état aCtuel du moment où il écrit : cette efpèce de
géographie comparée, eft d’autant plus utile que
beaucoup de lieux avoient changé de noms depuis
Homère. 11 fuit donc, en quelque forte, ce poète
dans fa defcription * & recherche quels peuvent
être les lieux dont il a parlé, & rapporte jufqu’à
deux & trois fentimens fur les noms qu’ils paroiuent
avoir portés depuis. Ainfi, après qu’Homère a jeté
le plus grand jour fur la géographie de la Grèce, ;
il vient lui - même éclairer la géographie de ce
poète. Il nous offre de plus davantage de nous faire
connoître une partie de l’Afie & des parties con-
fidérables de l’Europe. Il vivoit fous Augufte. On
fait qu’à cette époque l’empire romain embrafloit
prefque toute la terre connue ; & c’eft cet empire
qu’il décrit. La politique avoit fait fentir à ces
maîtres qu’il leur étoit indifpenfable, de connoître
leurs vaftes états ; & l’amour des connoiflances,
ainfi que le defir d’être utile, appelèrent des écrivains
philofophes à ces defcriptions intéreffantes :
c ’eft à ces vertus que nous devons les ouvrages de
Strabon & de Plinet
Les deux auteurs qui fuivent immédiatement
Strabon, tant pour l’importance de leurs travaux
(3) On a fait le même reproche à ma carte du monde
connu des anciens ; mais c’eft avec auffi peu de fondement.
(4) Encore cet auteur n’a-t-il pas une méthode bien
rigoureufe 3 n’a-t-il pas affez de ces vues qui donnent tant
de prix à quelques ouvrages, en offrant des détails pofi-
tifs fur les produ&ions, la population, le commerce , les
finances, &c, des états que l’on y décrit,
G E O
que pour Futilité que nous en retirons, font Pau-
fanias & Ptolemée, tous deux Grecs, & tous deux
vivans vers le milieu du fécond fiècle de notre ère.
A la vérité, il exifte entre eux une très-grande
différence par la manière dont ils ont traité leur
matière. Mais quel perte on eût fait fi l’on eût
été privé de l’un des deux 1
Ptolemée, aftroncme habile, géographe laborieux,
après avoir raflemblé les noms de tous les peuples 8c
de tous les lieux connus, entreprit de les pré-
fenter dans un ordre géographique, & de donner
une defcription de toute la terre, en aflignant à
chaque lieu, à chaque montagne, à chaque fource
& à chaque embouchure de fleuve, fa latitude 8c
fa longitude. Travail iir.menfe, & même encore
impofîible dans fon exécution, puifque toutes les
longitudes d’un très-grand nombre de lieux ne font
pas encore connues d’une manière aftronomique.
'Mais, malgré fes imperfections, la géographie de
Ptolemée eft la bafe de toute efpèce de travail fur la
géographie ancienne.
Quant à Paufanias, il n’eft pas géographe, mais
il préfente les plus riches matériaux à la géographie.
C ’eft un curieux qui voyage en Grèce avec attention
, qui décrit bien les lieux, qui nous fait re*
marquer la beauté & lés agrémens des routes , les
richeffes des temples, l’hiftoire des v illes, l’origine
des peuples, &c. Quel dommage qu’il n’ait parlé
que d’une grande partie de la Grèce; ou plutôt,
quel dommage que l’on ait perdu ce qu’il avoit écrit
fur quelques parties de l’Afie (1) l C’eft un ouvrage
dont je ne puis trop confeiller la leCture aux amateurs
de l’ancienne géographie (2).
On pourra prendre une idée de l’avantage que
Fon retirerait d’étudier ainfi fucceflivement les principaux
auteurs que je viens de nommer; favoir,
Homère, Strabon, Paufanias & Ptolemée, fi l’on
veut prendre la peine de lire, dans le volume II
de ce dictionnaire, l’article G r æ c ia . Je l’ai rédigé
d’après ce plan. Après un expofé général des dif-
férens états de la Grèce, renfermé dans un tableau,
je préfente la Grèce d’Homère, la Grèce de Strabon,
celle de Paufanias, & enfin celle de Ptolemée. J’au-
rois pu fondre ces auteurs enfemble, comme l’ont
fait Paulmier de Grantemenil, Cellarius, &c. Mais
pourquoi refaire ce qui eft déjà fait? De plus, toutes
lès villes, tous les fleuves de la Grèce, quoique ce
foit des anciens qui nous les faffent connoître, ne
fe trouvent-ils pas dans le dictionnaire,? Mais, de
cette manière, on a , en quelque forte, Fhiftoire
(1) On a plufieurs éditions de cet écrivain, grecque &
latine. La mile traduûion françoife que l’on ait actuellement
, c’eft celle de l’abbé Gédoyn. Elle fourmille de
fautes :les amateurs de l’antiquité en gémiffovent. Heureusement
que M. B .. . avocat au parlement de Rouen,
vient d’en faire une tradu&ion nouvelle, dont il fe pro-
«ofe de donner une fuperbe édition.
| Wf Quant aux autres auteurs que l’on peut confulter
pour Fétude de la géographie ancienne, ôn peut voir l e .
ffcfcours que j’ai placé à la tête de cette partie.
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géographique de la Grèce ; du moins on vok quels
progrès avoient faits les connoiflances : enfin, les
avantages que l’on peut retirer de l’étude de chacun
de ces écrivains.
Autant j’aurois craint le reproche d’être tombé
dans une prolixité déplacée, fi j’avois fuivi ce même
ordre pour tous les pays ; autant j’ai cru le devoir
adopter pour le peuple le plus intéreflant de toute
l’antiquité. Encore dois-je convenir que j’ai moins
confidéré ici ce qui corivenoit à la claffe la plus
nombreufe de leCteurs, que ce qui pouvoit fervir
à ceux qui, novices encore en littérature, voudraient
fe livrer à l’étude de l’antiquité. Je crois
pouvoir affurer que cette méthode doit être adoptée
par ceux qui veulent étudier à fond la géographie
ancienne : car je ne cherche pas à diflîmuier qu’il
doit y avoir une mefure différente dans l’étude,
félon'le but que l’on fe prapofe. D’après cela, je
dirais à un maître qui fe chargerait de l’enfeigne-
ment : « vous propofez-vous d’inftruire des éco-
» liers ? Voulez-vous former des élèves ?
n Si ce font des écoliers que vous inftruifez,
mettez-leur d’abbrd fous les yeux un tableau général.:
de l’ancien monde, faites-leur en connoître
les principales parties, les principales villes ; parlez-
leur des nations, des empires ; aidez-vous d’un peu
de chronologie 8c d’hiftoire ; que vos leçons foient
un réfumé clair, une courte anaiyfe de tout ce
que vous ont appris les anciens. Vous les mettrez
ainfi en état de fuivre Sémiramis, C yrus, Alexandre,
les Romains, dans leurs vaftes conquêtes ; Annibal,
Céfar, dans leurs marches ; enfin, ils feront en état
d’entendre & de mieux goûter les récits des hiftoriens
latins & grecs. Un-grand enfemble doit fuffire
à.leurs connoiflances ; laifîez les détails aux dictionnaires
que l’on confulte & aux gens dè l’art qui
travaillent.
» Si, au contraire, vous voulez diriger un jeune
littérateur dans l’étude de l’antiquité ; fl vous voulez,
quel que foit d’ailleurs fon objet, qu’il connoifle
bien la géographie ancienne; faites-le commencer
par la leCture de M oy fe , qu’il y puife un© idée
des premières peuplades connues de cet écrivain;
mais qu’il s’en tienne au texte ; préfervez-le, pour
fon bien , du danger des commentateurs. Q u ’il
n’aille pas rèchercher fi Javan (3) n’eft pas Y Ion des
Grecs , fi l’Elide vient d’Eliffa, la Macédoine de
Kettirn, Dodone de Dona'im (4). Quand il aura plus
étudié, il reviendra fur ces objets, & aflurera fes
premières conjectures.
» Qu’il pafle enfuite à la leCture des autres grands
hiftoriens & des géographes. Aidé de vos confeils,
il les comparera, parviendra à les éclaircir les uns
par les autres, 8c enfin connoîtra exactement l’état
des lieux anciens.
»vLorfqu’il fe fera formé, d’après chacun, une
(3) Quatrième fils de Japhet,
(4) Trçis fils d’ion.