
X IV A V E R T I S S E M E N T.
Cet habile homme, né avec un goût fi décidé pour la Géographie, que dès l’Sge de
treize ans il avoit déjà dreffé, pour fonufage, une petite carte qurl ma dit etre à la
bibliothèque du r o i , reprit & difcuta toutes les parues de la Géographie. Il y donna tous
fes foins, en fit l’objet de l’étude de tous fes momens , acquit une réputation brillante,
& mérita d’être en correfpondance avec tous les favans 8c tous les grands & les princes
protecteurs de la Géographie. On ne peut, ce me femble, lui faire qu’un reproche ;
c’eft d’avoir adopté l’opinion de l ’alongement de la terre par les pôles, ôc davoir
fait toutes fes .projetions d’après cette fauffe hypothèfe.
Mais d’ailleurs, que d’éloges ne mérite-t-il pas pour être parvenu à donner iJffe forme
plus exafle à la configuration de différentes parties de l’Europe, telles entre autre*
nue l’Italie & la Grèce ! Je ne prétends pas entrer ici dans le détail de fes travaux :
on les trouve dans fes.éloges, lus dans deux féances publiques ( i ) par les fecretaires
des académies des Sciences 8c Belles-Lettres.
Je ne puis cependant omettre ici quelques réflexions fur la perfeflion qu U a
portée dans l’étude de la Géographie ancienne. Il y fut déterminé, ainfi qu’il me 1 a
répété pl ufieurs fois, par le peu d’accord qu’il trouvoit entre l’état afluel de la Géographie,
le témoignage des auteurs, 8c les travaux de ceux qui l’avoient précédé. Je développe
c&ttô l'dêé» , «
L’étude de la Géographie ancienne me femble inféparable de la leflure des hiftoriens
& même des poètes anciens. Je ne m’arrêterai donc pas à combattre les opinions
d’un aflronome moderne, qui croit cette connoiffance fort inutile. Elle l’eft en effet,
fi l’on n’a égard qu’à l’aftronomie & aux mathématiques. Mais fi l ’on veut lire Homere
avec tout l’intérêt dont fes deux poèmes font fufceptibles ( i ) ; fi l’on veut s inflruire
avec Hérodote 8c Diodore, de l’étendue & de la puiffance des principaux peuples qut
ont figuré dans la haute antiquité ; fi. l’on veut çonnoître les intérêts de la Grèce au
temps de Thucycide ; s’inltruire des conquêtes des Romains dans Polybe , Tite Live ,
Salufte, &c. le peut-on fans la Géographie ? Et qu’eft-ce que la Géographie dont On
a befoin, fi ce n’efl celle qui nous fait çonnoître celle des pays dont il eft parle dans
ces auteurs? Cette affertion, pour les hommes non prévenus, n’a pas befoin de
grandes preuves ; je ne m’y arrêterai donc pas. _ . ,
M. d’Anville, en fe livrant à l’étude de la Géographie ancienne, étudia d abord les
auteurs anciens, rapprocha leurs paffages avec critique, 6c difcuta leurs mefures itinéraires.
Des auteurs de l’antiquité qui marquent le plus en Géographie , Strabon S Paufanias &
Ptolemée, paroiffent être ceux que l’on ne peut trop confulter, 8c auxquels on doit
le plus fe conformer. M. de Lille s’en étoit fervi ;'mais il n’avoit affez examine , ce
me femble, que fi Ptolemée doit être plus cru lorfqu’il donne la pofition des villes
( i ) Dans le même temps & fans avoir eu communication de ces deux morceaux, j’eus la fatisfa&ion,'
douloureufe par fon objet, d’en faire inférèr un dans laffeuille de la correfpondance de M. de la Blancherie.
M Peut-être fuffiroit-U de lire les notes géographiques, auffi-bien que la carte que j’ai faite pour la
bêlle édition de la traduflion d’Homère par M. G in , pour fentir combien la Géographie ancienne
«fl nêceffaire à la leflure de ce poète.
d’Egypte & d’Arabie ; Strabon , lorfqu’il parle de l’ Afie mineure , de l’Italie, &c.
Paufanias eft un guide plus sûr à l’égard de certains détails de l ’intérieur de la Grèce.
De-là vient que l’ayant peu confulté, fes cartes diffèrent, en beaucoup de points, de ce
qui eft dit dans cet auteur : de-là vint auffi qu’en donnant une traduflion de cet ancien ,
l ’abbé Gedoyn offrit des cartes qui étoient en contradiflion avec le livre même auquel
elles étoient adaptées, parce qu’ellés n’étoient qu’une copie de celles de M. de Lille.
Auffi, ce qu’a donné M. d’Anville eft-il infiniment plus e x a fl, tant fur la Grèce que
fur toutes les autres parties ; non pas qu’il n’y ait encore certains points où fa critique
foit en défaut ; mais, en totalité, fes cartes font des chefs-d’oeuvre d’érudition 8c de
critique«-
A la connoiffance des auteurs de l’antiquité, celui qui s’occupe de la Géographie
ancienne, doit joindre une connoiffance très-précife de la Géographie moderne. Car
c’eft fouvent par les comparaifons des lieux modernes que l ’on fait répondre très-
précifément à tel ou tfl lieu ancien, que l’on parvient à çonnoître la jufte pofition de
ces derniers. Ç ’a été la méthode de M. d’Anville. Pour fe convaincre de fon utilité,
on n’a qu’à comparer fes cartes de la Gaule avec celles de Sanfon 8c celle de dom Martin,
on verra qu’en fuivant trop aveuglément les itinéraires, la carte de Peutinger , &c.
ces auteurs ont adopté pour les mefures itinéraires les erreurs que des fautes de copiftes
ont introduites dans les textes afluellemenr imprimés. Ainli XX mille ont fouv'enr
été fubftitués pour XV , 8c XV pour X X , quelquefois même X pour X X , parce que
les copiftes lifoient mal Sc écrivoient fans attention. La direflion des routes une fois
connue , il n’y avoit qu’une connoiffance exafte de la correfpondance des lieux qui pût
faire retrouver ces fautes 8c s’en garantir. C’eft ce qu’a fait M. d’Anville , c’eft ce que
j’ai tâché de faire moi-même , en fuivant les traces de cet habile homme. Mais malgré fes
travaux 8c ceux de beaucoup d’autres favans qui fe font auffi occupés de la Géographie, il
reftera long-temps encore une infinité de lieux dont on ne connoîtra pas la jufte pofition.
L’Efpagne feule en préfente une foule, nommes par Tite-Live, Ptolemée, &c. qui nous
font entièrement inconnus aujourd’hui. Ce ne fera qu’avec le temps , 8c en recherchant
avec foin les monumens découverts fucceffivement en différentes provinces , que l’on
parviendra à donner une carte ancienne de ce royaume, plus détaillée que celles que
l ’on a publiées jufqu’à préfent.
On en diroit prefque autant des cartes anciennes de la Gaule 8c de l ’Italie, fur lefquelles
il y a encore bien des additions 8c des correûions à faire. Ce fera l’ouvrage du temps
8c de l ’application au travail. On s’y livrera d’autant plus, que l’on ne fe perfuadera
pas qu’il ne refte plus rien à découvrir, 8c qu’il fuffit de copier ce qui a été déjà publié
fur ces matières.
Je n’ajoute plus qu’un mot. Peut-être les amateurs de la faine littérature, ceux qui
font de l’étude de l’antiquité le cas qu’elle mérite, trouvent-ils que pour mettre le
lefleur en état de recourir aifément aux fources , j’aurois dû citer par-tout mes autorités.
J’ai trop fenti, dansj mes études, l’importance de cette manière de travailler,
pour ne pas m’en être d’abord impofé la loi. Mais , effrayé par l’abondance de la