3fi VOYAGE
1 826.
Juin.
fîmes une longue halte pour mieux reposer nos chevaux
et laisser passer l’ardeur du milieu du jour. A
deux heures nous remontâmes à cheval. Nous traversâmes
les énormes blocs de basalte qui, disposés
circulairemenl et d’une manière assez régulière tout
autour du Piton, représentent l’enceinte primitive du
cratère, lorsque ce volcan se trouvait dans toute son
énergie, et rejeta au loin ces longues coulées de
laves qui formèrent successivement toute File. Nous
arrivâmes ensuite au milieu de ces Cañadas qui occupent
aujourd’hui le fond même de l’ancien cratère,
peu à peu comblé et nivelé par les cendres et les
ponces du Pic. Cette vaste enceinte peut avoir un
rayon d’une lieue d’étendue, le sol est assez compacte,
et les chevaux y marchent et même y galopent sans fatigue;
mais la chaleur, qui se concentre et se réfléchit
en tout sens dans ce lieu, en rend le trajet fort maussade.
Le Spartium est le seul végétal ligneux qui puisse
croître là ; je recueillis en outre un Sisymbre à fleurs
jaunes, un Hieracium, une Scrophulaire et un Ne-
pe ta , tous très-rares et fort clairsemés. On laisse à peu
de distance une petite montagne surmontée d’un cratère
parfaitement dessiné , qui dut fumer long-temps
encore après la destruction du grand volcan. Dans
les ponces écrasées, jusqu’au pied du Pic, parait cette
jolie violette à fleurs jaunes récemment publiée par
M. Berthelot sous le nom de Viola teydensis. Dernier
effort du règne végétal, elle continue d’exister presque
jusqu’au sommet du mont, et ne s’arrête qu’à la
limite des ponces, où commence la lave nue.
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DE L ’ASTHOLABE. 37
Nous attaquâmes le cone par un monticule latéral
formé par un amas de ponces sur la gauche, et ne
nous arrêtâmes à peu près qu’au tiers du mont, sur
une petite esplanade connue sous le nom de Estancia
de los Ingleses. Le vent qui soufflait avec force était
assez gênant, mais de petits murs de pierres, adossés
à de gros blocs de basalte, nous servirent d’abris, et
nous nous y établîmes pour la nuit, auprès de bons
feux entretenus avec les tiges du Spartium.
A cinq beures et demie du soir, le thermomètre à
l’ombre marquait 15° centigrades ; à huit heures, au
moment où nous nous couchâmes, il était à 13° ; et le
matin, en nous relevant, à 9° ; je ne pense pas qu’il
ait descendu au-dessous de 6° à 7° dans la nuit. Du
reste, l’air était très-pur, je n’éprouvai aucun de ces
violens malaises ou de ces suffocations ressenties par
divers voyageurs. M. Quoy seul souffrit des maux
d’estomac, et M. Gaimard dormit toute la nuit sans
rien éprouver. Pour moi, étendu près du foyer, sous
ma couverture, la chaleur m’excitait souvent à mettre
ma main à l’air, et chaque fois je ne lardais pas à i-es-
sentir au petit doigt un engourdissement marqué qui
s’étendait rapidement dans le reste de la main , et me
forçait enfin à la cacher de nouveau. M. Aubert, à qui
je communiquai ce fait, m’assura qu’il avait éprouvé
ce même engourdissement à un degré violent, deboni
et en marchant.
A cette hauteur la voix se propageait à une distance
étonnante, et avec une grande clarté. Sous le rocber
qui nous abritait, je m’entretenais à demi-voix avec
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Juin.
m