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I
On représenta d’abord l’os que Ton prétendait
avoir extrait de Testoinac d’un des naturels, la veille
au soir. On avait eu soin de l’aiguiser par le bout,
afin de couper la gencive, car, sans cette précaution,
il leur serait impossible de faire sauter la dent sans
briser la mâchoire entière. On s’occupa ensuite de
couper un womera, à huit à dix pouces du bout, et
pour cela il faut de grandes cérémonies. Le bâton est
posé sur un arbre, et Ton essaie trois fois avant de
frapper dessus. Le bois étant très-dur et l’instrument
coupant très-mal, il fallut plusieurs coups pour en
venir à bout ; cependant on fit constamment trois
feintes avant que chaque coup fût donné. Quand la
gencive fut convenablement préparée avec Tos aigu,
le petit bout du bâton fut posé sur la dent aussi haut
que le permit la gencive, tandis que l’opérateur se
prépara à abattre la dent avec une grosse pierre qu’il
avait de Tautre main. Là, leur attention au nombre
trois fut encore remarquable, car aucun coup ne fut
frappé sur le bâton avant qu’on eût d’abord ajusté
par trois fois. Cette première opération dura dix minutes
entières, car, malheureusement pour le pauvre
enfant, la dent tenait fort dans sa gencive. Lnfin, elle
sauta, et le patient fut emmené à une petite distance,
où sa gencive fut raffermie par ses amis, et il fut
bientôt revêtu, grâce à leurs soins, du costume
qu’il devait garder durant quelques jours. On lui
passa autour du corps une ceinture où tenait une
épée de bois ; sa tête fut entourée d’un bandeau
surmonté de bandelettes de xanthorrhoea qui, par la
blancheur de leur couleur, produisaient un effet curieux
et qui n’était point désagréable. Le patient
avait la main gauche posée sur la bouche qui devait
rester fermée, il lui était défendu de parler et de
manger de tout le jour. Tous les enfans furent traités
de la même manière, excepté un seul joli petit garçon
de huit 011 neuf ans, qui, après s’ètre laissé couper la
gencive, ne voulut pas supporter plus d’un coup de
la pierre, et, se sauvant d’entre les mains des opérateurs,
réussit à s’échapper. Durant toute l’opération,
les spectateurs firent aux oreilles des patiens un bruit
épouvantable (en criant iwâh-iwâh, gaga-gaga sans
relâcbe), suffisant pour distraire leur attention, et
étouffer toutes les plaintes qui eussent pu leur échapper
; mais ceux-ci se faisaient un point d’honneur de
supporter leur douleur sans pousser un soupir.
Du reste, on observa quelques autres singularités.
On n’essuya point le sang qui sortait de la gencive
déchirée, mais on le laissa couler le long de la poitrine
de chaque enfant, et tomber sur la tête de
Tbomme sur lequel il était assis, cl dont le nom fut
ensuite ajouté au sien. Ce sang desséché resta sur la
tête des hommes et la poitrine des enfans durant
quelques jours. Les garçons furent ensuite désignés
par le titre de kebarra, nom qui par son étymologie
a rapport à Tun des instrumens employés dans cette
cérémonie, car kebah dans leur langue signifie une
pierre ou un rocher.
N. 8. Cette planche représente les jeunes gens
ajustés et assis sur un tronc d’arbre, comme ils paru