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quelques-uns ont l’air de spectres. Cet état n’est point
étonnant quand on sait que la terre ne fournit presque rien à
la nourriture de ces hommes qui, pour toute arme, ayant de
simples lances, sont obligés de parcourir de grands espaces
avant de pouvoir atteindre une jietite proie, telle que des Ser-
pens, des Lézards, des Scinques, et parfois des Phalangers et
des Péramèlcs qu’ils mangent sans les avoir fait cuire, et après
s’être bornés à les présenter au feu. Nous les avons vus quelquefois
dévorer avec le même empressement les intestins de
poissons que nos matelots jetaient.
D’après cc qui nous a été dit par les Anglais qui font la pêche
des Phoques au port du Roi-Georges, toute l’industrie qui tend
à leur procurer de la nourriture, est plutôt le partage des
femmes que celui des hommes : elles vont à la chasse avec des
chiens du pays, font la pèche et plongent sur le bord de la
mer pour avoir des coquillages.
La prise d’un Kanguroo est pour eux une chose importante ;
e t, pour cela, il est nécessaire que toute une peuplade entoure
l’endroit où il est cantonné, y mette le feu, et oblige ainsi l’animal
à se livrer à ses coups. Outre la nourriture, le Kanguroo
leur fournit, par sa peau , le seul vêtement qu’ils possèdent.
Ils ont soin de l’assouplir, ct le portent sur les épaules, en
forme de manteau court. Le froid excessif qu’il doit faire l’hiver
dans cette contrée, ne les a point encore déterminés à s’en
faire des vêtemens pour les membres inférieurs; et l’usure de
ceux qu’ils portaient prouve suffisamment qu’il ne leur est pas
facile de s’en procurer.
Ces hommes sont très-frileux, et, pour se préserver du froid
autant qu’ils le peuvent, ils portent constamment avec eux un
cône de banksia desséché, enflammé, et qui brûle lentement
comme de l’amadou. ChoYe singulière ! tous le mettent presque
à toucber leurs parties génitales, le plus souvent sous leur
manteau. Ils s’en servent anssi pour enflammer en un instant,
et le plus souvent sans objet en apparence, les lieux par où ils
passent, ce qu’ils font avec une prestesse singulière et une ra-
; Il
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pidité qu’il nous serait bien difficile d’imiter. Aussi, toute celte
contrée est-elle tellement brûlée qu’on ne peut y faire un pas
sans être noirci de toutes parts. Les grands arlires sont char-
bonnés jusque dans leur eimc, tandis que le "sous-bois meurt
ct ne pousse que des tiges rabougries. Il est certain que cela
doit nuire en partie a la végétation des bords de la mer, et
détruire même les animaux qui pourraient servir à la nourriture
des indigènes, tels que les Mollusques terrestres, los
Lézards, etc.
Leurs habitations sont des niches arrondies dans lesquelles
deux ou trois hommes peuvent se tenir étendus : elles sont formées
débranchés d’arbres recourbées, recouvertes en général
de feuilles de xanthoréa. On voit aux alentours les débris de la
plante qu’ils ne paraissent manger qu’à défaut d’autre chose,
parce qu’elle ne fournit que fort peu d’aliment; et, dans pres-
- que toutes ces cases de malheureux qui n’ont pas de quoi vivre,
les premières choses qui sc présentent, les seules même que l’on
voie, sont des objets de toilette! Ce sont de petits morceaux
d’ocre rouge dont ils se plaisent à se frotter la figure et le
corps, et à se couvrir la tête en grattant ee cosmétique avec
l’ongle, ce qu’ils faisaient aussitôt que nous leur en présentions
quelque fragment. Sans doute que cette couche sale a
un autre but, celui de se garantir des Moustiques, insectes
fort communs dans les lieux marécageux où ils établissent leurs
cabanes.
L’état de misère dans lequel ces peuplades semblent vivre
n’a point anéanti autant qu’on pourrait le croire certaines des
facultés propres à l’homme. Ainsi, par exemple, on ne peut
pas dire que les habitans du port du Roi-Georges soient stupides,
quoique leur existence s’écoule presque entièrement dans
le repos ou à la recherche de leur nourriture. Notre présence les
mettait dans une sorte de gaieté, et ils cherchaient à nous communiquer
leurs sensations par une loquacité à laquelle nous ne
pouvions répondre, n’entendant pas leur langage. Dès que la
rencontre s’opérait, ils venaient à nous les premiers en gestii3
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