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400 VOYAGE DE L’ASTROLABE. 401
particulier, oiseau ou poisson. Jamais on n’a observé
qu’aucun objet matériel ou imaginaire pût les déterminer
à faire une bonne action, ou les détourner
de ce qu’ils jugent criminel. A la vérité, on
retrouve parmi eux quelque idée d’une existence
future, mais elle est indépendante de toute notion
religieuse; car elle n’a nulle influence sur leur vie
actuelle ni sur leurs actions. On les a souvent questionnés
sur ce qu’ils devenaient après leur mort ;
quelques-uns répondaient qu’ils se plongeaient dans
la Grande-Eau (la mer) ou qu’ils s’en allaient au-delà ;
mais, sans contredit, la grande majorité indiquait
qu’ils s’envolaient dans les nuages. M. Collins, conversant
avec Benilong à son retour de l’Angleterre,
où il avait acquis une grande connaissance
des coutumes et des moeurs européennes, désirant
savoir d’où il supposait que ses concitoyens provenaient
, lui fit d’abord observer que tous les blancs
de Port-Jackson étaient venus d’Angleterre, et lui
demanda ensuite d’où étaient venus les noirs ( ou
lord). L’insulaire bésita. Sur la question de savoir
si ces noirs venaient de quelque île, il répondit qu’ils
ne venaient d’aucune île, mais des nuages [bourou-
wi), et que, quand ils mouraient, ils y retournaient.
Benilong paraissait vouloir faire entendre que les
morts montaient à leur nouveau séjour sous la forme
de petits enfans, en voltigeant d’abord sur la cime
et sur les branches des arbres, et, suivant lui, en
cet état, ils vivaient de petits poissons, leur nourriture
favorite.
Les jeunes naturels qui résidaient à Sydney aimaient
beaucoup à se rendre à l’église le dimanche,
mais sans s’inquiéter de ce qu’ils allaient y faire.
On les voyait souvent prendre un livre et imiter très-
adroitement le ministre dans ses gestes (car on ne
saurait trouver de meilleurs mimes), riant et jouissant
quand on applaudissait à leurs grimaces.
On a parlé, dans une brochure ou dans une gazette,
d’un naturel qui s’était élancé au-devant d’un homme
qui allait tirer sur une corneille, et celui qui rapportait
le fait, en tirait la conséquence que cet oiseau
était nn objet de vénération pour les sauvages. Mais
on peut assurer hardiment que, bien loin d’attacher
aucune répugnance à voir tuer des corneilles, ils sont
très-friands de leur chair, et emploient le stratagème
suivant pour les attraper. Un naturel se couche sur
un rocher, comme s’il était endormi au soleil, et
tient un morceau de poisson à la main. L’oiseau,
épervier ou corneille, voyant la proie et l’homme
sans mouvement, fond sur le poisson; au moment
de le saisir, il est lui-même capturé par le sauvage,
c[ui le jette vite sur des charbons et s’en fait un mets
qu’il savoure avec délices.
Du reste, disent Collins et Barrington, on ne peut
douter qu’ils ne sentent la différence entre le bien et
le mal, entre le bon et le mauvais , et ont des termes
pour l’exprimer. Ainsi, qu’on leur fasse tort, ou qu’on
leur montre une raie puante dont ils ne mangent
jamais, ils s’écrient wiri, mauvais; qu’au contraire
on leur rende un service, ou qu’ils voient un kangarou.
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