V) D I S C
les hommes n’ambitionnent que
des richeffes ôc des honneurs. En
les poffédant , ils croyent tenir
toutes chofes ; St comme il eft
impoflible qu’ils parviennent jamais
à fatisfaire leurs défirs à cet
égard , ils paflent leurs jours dans
des recherches pénibles 6c tumul-
tueufes. Il feroit même fâcheux
pour eux, qu’ils n’euffent plus rien
à fouhaiter. Sans objet ou fans
point de vue, leur ame s’affaifferoit
bientôt ; elle tomberait dans l’accablement;
St raffafiée par la jouif-
lànce , elle n’éprouverait plus
qu’un état de langueur St de trif-
telfe. Déplorable condition des
humains ! Ou ils courent après une
chimere , j’appelle ainfi une béatitude
qu’on fait ne pouvoir ja-f,
mais acquérir, ou ils font en proie
à un ennui St à un dégoût plus
xnfupportable que les plus rudes
travaux. Tranchons le mot : ou ils
vivent comme des imbécilles, ou
ils végètent comme des hypocon-
dres.
La Morale prévient heureufe-
ment ce double malheur. Elle
donne d’abord les moyens de fe
délivrer des préjugés de l’enfance,
êc de tirer fon ame de la preffe.
Elle enfeigne en fécond lieu, la
maniéré de diftinguer ce qui eft ef-
fentieliement bon 6c abfolument
néceffaire, de ce qui eft de pure
O U R S
fantaifie ou de caprice. Elle tlous
fait voir que l’entretien de notre
individu n’exige que peu de biens ,
6c que ce luxe , ce fafte ôc cet
éclat, qui éblouilfent le vulgaire,
font des inventions dignes d’amu-
fer des enfans. Enfin elle nous
éclaire fur l’objet propre des fcien-
ces, en nous avertiffant qu’on ne
doit les regarder que comme de Amples
occupations ôc des alimens
qu’on peut donner à l’efprit, ou pour
le foutenir, ou pour en étendre la
capacité. Prendre les connoiffances
au pied de la lettre ; penfer qu’on
eft né pour mefurer des lignes ,
pour examiner le rapport des angles
, pour confidérer les divers
mouvemens de la matière ; s’efti-,
mer un être important, parce qu’on
a plié fon entendement aune étude
particulière, ôc qu’on y a fait quelque
progrès ,c ’eft aux yeuxdu Mo-
ralifte une pure démence , ou du
moins une grande illufion.j^) On l’a
dit : => LaMorale eft la propre fcience
»> ôc la grande affaire des hommes
» en général, qui font intéreffés à
“ rechercher le fouverain bien, Ôc
=> qui font propres à cette recherche,
» comme d’autres par différens arts,
» qui regardent différentes parties
» de la nature, font le partage ôc
» le talent des Particuliers qui doi-
» vent s’y appliquer , pour l’ufage
» ordinaire de la vie , ôc pour leur
(<j) Voyez la Logique ou l’Ar t de penfer, pag. 1 6 de la cinquième édition.
P R E L I M I N A I R E ■ vij
=» propre fubliftance dans ce mon-
» de. Cette fcience confifte à
bien régler nos goûts , nos pen-
chans , nos paffions ôc nos inclinations
, afin de n’en être point troublés.;
à être avec fo i, à fentir fa
propre exiftence, ôc à fe fervir de
toutes chofes en les prenant pour
desinftrumens qui , quoiqu’utiles,
nous font tout-à-fait étrangers. Agir
autrement, c’eft refTembler à ces
foux qui courent les rues , ôc qui
ne peuvent demeurer tranquillement
chez eux, ôc y jouir des avantages
que leur condition peut leur
procurer.
Cette comparaifon eft de Socrate.
Ce Philofophe eft le premier
qui a appris que l’attention principale
d’un Etre raifonnable , eft de
fe débarrafTer de toutes les opinions
que le préjugé a pu introduire dans
le monde, ôc de n’admettre que
celles qu’une raifon éclairée pou-
voit adopter. Toute la vie , dit-il,
fe confume dans des occupations
vaines ôc inutiles. Elle fe dilïïpe
fans qu’on s’en apperçoive, ôc nous
manque avant que nous ayons pu
en jouir.
Auparavant que ce Sage eût
paru , les Philofophes n’êtudioient
que les fciences naturelles* Les
plus célébrés d’entr’eux, Tha/ès- &
Pythagore, avoient négligé la Morale.
Celui-ci faifoit confifter la fc-
gelfe en la foumiffion aux Içix &
en une tolérance univerfelle ; ôc il
donnoit le nom de Sage à ceux qui
font prêts à tout facrifïer à la. vérité
, honneurs, parens, réputation
même , ôc qui cherchent à être
utiles aux autres hommes. '($) Du
refte , il laiffoit , fuivant l’expreft-
(a) EJfai philofophique fur l’entendement
humain, Tom. IV . pag. 220 de ia qua-
triéme édition.
(b) T ou t le monde fait que Pythagore
eft le premier qui a pris le nom de Philofophe
, qui lignifie Amateur de la Sagefle :
ce qui fait voir qu’il ne croyoit point l ’avoir
en partage , mais qu’il défiroit fort
de la pofteder. Par cette conlidération ,
je crois devoir expofer ici fes autres maximes
de Morale.
I . L ’étude de la Philofophie tend unî-
quemenfa élever l’homme à la reftèm-
blance de la Divinité. Ainfi la connoif-
fance de Dieu ne peut être en nous que
l’extrême effort de l’imagination vers ia
perfection.
I I . Dieu eft une ame répandue dans
toute la nature, & les âmes humaines
dérivent de. lui : elles, font immortelles,,.
mais elles ne peuvent être unies à la D ivinité
, qu’en fe purgeant de leurs vices.
III- L ’unité eft le principe de toutes-
chofes.
IV . Entre Dieu & l ’homme il y a différens
ordres d’ütres fpirituels, qui font:
autant de Miniftres de l’Etre fuprême.-
Pythagore condamnoit toutes les images
de la Divinité , & vouloit que fon
culte le fît avec le moins de cérémonies-
qu’il étoit poffible. Il dilbit que. les plus:
beaux prélèns que Dieu ait fait à l’homme
, c’èft de dire la vérité & de rendre de'
bons offices: ces deux aftions reflemblant:
aux oeuvres du Créateur. I l recomman-
doit fur-tout qu?on fît la guerre à cinq!
chofes. i ° . A u x maladies du corps:, en;
s’abftenant des débauches qui les: proi-
duifent.. 2 ° . A l’ignorance de l’efpritr,,
en fe donnant- la- peine, de- le: cultiver;.