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» & ce qu’il y a de plus dangereux, ce
» font fes maximes philofophiques. » (b)
A tout prendre , les EJfais de Montagne
font un livre original, qui contient
les plus beaux préceptes de la Morale. Ce
qu’il peut y avoir de reprëhenfible , eft
tempéré par la naïveté & la bonne foi de
l ’Auteur. I l donne un tour fi naturel .& fi
v i f à fes penfées , qu’on le lit fans fonger
à mal. C ’eft affurément l ’homme qui fait
le moins ce qu’il v a dire , mais qui fait
le mieux ce qu’il dit. La négligence qu’il
;affeéte le rend aimable ; 8c fa fierté eft
une certaine fierté d’honnête homme ,
,qui n’a rien de choquant.
Montagne ajouta à la nouvelle édition
qu’il publia de fon Ouvrage de nouvelles
penfées, mais il ne toucha point
.aux autres. Il fit la même choie dans toutes
les éditions qui .parurent pendant fa
v ie. IL ne faut pas , difoit-il, que l’acheteur
s'en aille les mains du tout vuides.
Cette occupation remplit le refte de fa
^arriéré. I l jouiffoit dans fa Terre de
Montagne d’une vie ,douce & paifible,
iorfqu’il fut attaqué d’une efquinancie qui
lui tomba fur la langue ; ce qui l’empêcha
trois jours entiers de parler. I l étoit
objigé d’avoir recours à fa plume pour
faire entendre fes volontés. Son malem-
p ira , & notre Philofophe comprit que
fa fin approchoit. Avantque de mourir ,
il voulut yoir fes amis 8c fes voifins. Il
pria fa femme par un bulletin de les inviter
a le venir voir. A leur arrivée, il fit
dire la Melfe dans fa chambre ; & lorf-
que le Prêtre fut à l’élévation, il fe jetta
à corps perdu fur fon lit , ayant les mains
jointes, 8c rendit dans cet état fon a me à
Dieu. C e fut le troifiéme .jour de Septembre
de l’année , qu’il expira ,
âgé de 5*9 ans, 6 mois 8c 1 1 jours. Il fut
enfeveli à Bordeaux dans l’JEglife d’une
Commanderie de Saint Antoine, où fon
.époufe, nommée franpoife de la ChaJJa-
gne , lui fit ériger un monument, décoré
d’une belle épitaphe.
Montagne avoït le vifage plein plu-
A G N E.
tôt que gras, la taille forte 8c famaflee ;
lacomplexion moitié gaie, moitié mélancolique,
& une fanté qui ne fut guéres
interrompue que par fa derniere maladie*
I l étoit compatiftant 8c fort humain envers
les bêtes. .Jufte 8c équitable en toutes
choies, il louoit non - feulement le
mérite de fes amis , mais même celui de
fes ennemis. I l aimoit fur-tout la liberté
8c l’indépendance. A ve c les Grands, il
étoit ouvert 8c fort libre. 11 déteftoit la
diflimulation, les rufes 8c la politique.
Auffi ne fe lioit-il qu’avec peu de per-
fonnes. I l n’ai moi t le commerce que des
hommes d’efprit,& évitoit les autres avec
foin. En compagnie, il tenoit des difcours
fort libres. C ’étoit l’offenfer que de l’interrompre
quand il parloit ; mais il fouf-
froit fans peine qu’on le contredit. I l
avoit pour principe de s^en rapporter à
fon propre jugement pour conduire fes
.affaires. Rarement fuivoit-il les avis d’autrui.
Plus rarement encore en donnoit-ii
aux autres. Quand les .chofes nfalloient
pas félon fes defirs , il ne s’en aftligeoit
point. I l faifoit confifter le bonheur à fe
laifler aller à fes goûts 8c à fes penchans ,
■ lorfqu’ils ne font pas contraires aux loix
de l’honneur , fie la vertu 8c de la probité.
Une qualité bien eftimable qu’il
pofiedoit, c’étoit d’être plus fàge 8c plus
modéré dans laprofpérité que dans l’ad-
verfité ; de fe tenir abfolument obligé par
les engagemens de la probité 8c de fes
promelfes, 8c de regarder tous les hommes
comme freres.
Sa fille fut héritière de fes biens, 8c
par fon teftament il permit au Philofophe
Charron , dont on va lire l’hiftoire, de
porter après fon décès les pleines armes de J a
noble famille, parce qu’ il ne laijfoit aucun
enfant mâle.
Morale ou Dottrine de Montagne fur
la conduite de la vie.
O n n’a peut- être rien écrit de plus vrai
que cette penfée de Pline le Naturalifte :
M O N T
•La Coutume eft la maîtrefle de toutes cho-
fes. Ufus ejficacijjimus rerum omnium Ma-
gijler. (a) L e Pbëte Pindaro l’appelle la
Reine du- monde. En effet elle faifit
l ’homme & le domine de telle forte 9
qu’elle ne lui permet pas - de raifonner fur
ce qu?elle lui prefcrit. Comme nous fu-
çons avec le lait les- ufages reçus , nous
croyons n’êtrenés que pour les fuivre. I l
femble que les-vifions que nous trouvons
en crédit, foient desopinions naturelles;
de maniéré que ce qui n’eft pas félon la
coutume, nous le croyons contre la rai-
fon. Gn reçpit les avisde la vérité 8c fes
préceptes comme une monnoie courante
lans examen ; 8c audieude s’en fer-
vir pour régler fes' moeurs , on fe contente
d’en remplir très-fotemenü fa mémoire.
I l y a , par exemple, des.loix qui
fe choquent 8c qui fe détruifent , &
nous les-adoptons-également : ce font
celles de l’honneur 8c de la juftice. Celles-
là condamnent auflt rigoureufement un
démenti fouffert , que cellesrci réprou*-
vent un démenti vengé. Par le devoir des >
armes , celui-là eft dégradé d’honneur &
de nobleftè, qui fouffre une injure. Par le
devoir c iv il, celui qui la repouffe encourt
une peine capi tale. Qui s’adreffe aux Lo ix
pour avoir raifon d’un affront, fe deshonore;
‘8c qui* ne s’y adrefte- pas, en eft
puni par les Loix mêmes;
Cette forte dè routine ou cette fervi-
tude à la coutume, s’étend même jufqu’à
la Religion. Les gens diflipés 8c peu inf-
truits , fuivent celle de leur pays , de
même qu’ils reçoivent les1 Lo ix qui y
font établies. Ils-font Chrétiens à même
titre qu’ils font Gafcons ou Allemands.
Ils croient les myfteres parce que les
autres les croient, & qu’ils n’ont pas le
courage de penfer feuls 8c pour eux. Un
autre pays,d’autres témoins,des promefles
& des menaces pareilles, leur pourroient
imprimer par la même voie une créance
toute-contraire. Plaifante foi qui ne croit
ce quïelle croit, que pour n’avoir pas le
courage de le décroire J L a Religion
A G N e : 7
Chrétienne a bien toutes les marques de
vérité & de juftice ; mais elle n’a aucun
précepte plus apparent , que celui qui
prefcrit l’obéiffance aux Magiftrats 8c
l ’obfervàtion de la Police. L ’habitude ,
dit le proverbe, eft une fécondé nature ,
& la-nature n’eft peut-être, félon la re -
marque d’un grand génie (&), qu’une première
habitude.
L e Sage doit donc le prémunir contre
la coutume , examiner , péfer chaque'
chofe avant que de l’adopter, retirer au
dedans-fon anle de la foule, 8c la tenir-
en état de juger librement de tout. Quant
■ au- dehors , il doit fuivre entièrement les
façons de les pratiques reçues. La fociété
civile n’a que faire de nos goûts & de
notre fuffrage ; mais elle a feefoin de nos
aftions , de notre travail, de notre vie ;
8c nous deVons'les-abandonner à fon fer-
vice & aux opinions communes. Car c ’eft
la réglé desregles & là loi des loix , que
chacun obferve celle du lieu où il eft. I l
n’y a pas peut-être autant de profit à
changer une L oi reçue', quelle qu’elle foit,.
qu’il y a de mal à la remuer. L a Police eft
comme un bâtiment de diverfes pieces-
jointes enfemble1, d’une telle liaifon*
qu’il eft impoffiblê d’en ébranler une, que’
tout le corps ne s’en fente. Ceùx qui donnent
le branle à un Etat , font les premiers
enveloppés dans fa ruine. G ’eft l ’orgueil
qui écarte l’homme des voies com--
munes ; qui lui fait embrafter des nouveautés,
8c qui le porte à mieux aimer '
être maître d’erreur 8c de menfonge , que'
difciple dans l ’école de la vérité. L ’humi--
lité , l’obéiflance, la douceur , qui font
lès pièces principales pour la confervar
tion de la fociété civile , demandent- une
ame Vuide , docile, & qui préfume peut
de foi. Tenez-vous dans la route commune
: il ne fait pas bon: être fi fubtil 8c
fi fin. I l eft peu d’ames aftez fermes &■ :
aftez fortes, qui puiftent fe conduire elles-
mêmes. Prefque toutes, ©nt befoin qu’on,
les tienne en tutelle;
L a pefte de l’homme c’èft de lavoir*.
{•) Hift. nat. L. XXVI. (*•) p*m