grandes chofes en ce genre. Dans cette
idé e, il compofa une Tragédie fous le
titre d'Adamus E x u l, qui eut unTuceès
médiocre. Cela ne le découragea point.
I l en fît une autre fur la Paflionde Jejus-
Chrijl,qu’il intitula ChrifusPatiens,laquelle
fut généralementapplaudie.Ca/ûufowen
fît un grand éloge. Sandejius la traduifît
en vers Anglois , & elle fut propofée en
Allemagne comme un modèle d’une Tragédie
parfaite. Une troifiéme Tragédie
fuivit de près celle-ci. Elle avoit pour
fujet Jofephj ôc pour titre Sophomphaneas,
mot égyptien, qui lignifie le Sauveur du
monde. V JJius jugea qu’il n’avoit rien
paru de fi beau en ce genre. E t Vondel,
fameux Poète de Hollande , la traduifit
en Hollandois. Ces fuccès firent regarder
G r o t i u s comme un des plus grands
Poètes de l’Europe, fi on peut mériter
ce titre pour avoir fait des-vers latins.
On a déjà d it , qu’afin d’exceller dans la;
Poëfie latine, il fuffifoit d’avoir de la mémoire
& d’avoir fait de bonnes études.
G r o t i u s jouifioit de ce double avantage.
I l pouvoit donc faire dès vers latins
eftimables, fans être véritablement;
Poète.
Quoi qu’il en foit, le recueil de fes Poë-
fies parut en 1 6 1 6. C e fut fon frere,
Guillaume Grotius , qui le mit au jour fans ;
fon eonfentement. Car notre Philofo-
phe réfléchiifant fur la nature de ces pièces
, n’étoit pas d’avis qu’on les rendît
publiques. Quelques-unes d’entr’elles furent
cenfurées par des Théologiens, qui
trouvèrent mauvais que dans fes épitha-
îames, il eût fait intervenir les fauffes
Divinités , fuivant- l’ufagë ordinaire des!
P oè tes , ôc qu’il eût parlé de la guerre
moins en Chrétien pacifique, qu’en zélé
Citoyen. Cela chagrina un peu G R o-
T i u s , mais fa réputation n’èn fouffrit
aucun dommage. Il étoit d’ailleurs protégé
hautement par les Etats Généraux ,
&eftimépar le Roi de France. Ceux-là
l ’avoient nommé leur Hiftoriographe , ôc
l ’avoient préféré à M. Baudius, célébré
Profelfeur d’Eloquence dans l’Univerfité ■
de Leyde , qui fut allez-grand homme
pour n’être point jaloux- de cette préfé.-
rence. E t le Roi de France hélîta Iong^
temps s’il ne le choifiroit pas pour fort
Bibliothécaire, quoiqu’il eût promis cette
place à- Cafaubon. A v e c des protections
fi puilfantes , notre Fhilofophè fe mit au*
deftus des plaintes de quelques Théôlo*
giens. I l ne fongea qu’à fuivre le Barreau '
ôc à devenir habile Avocat. I l avoit
plaidé fa première caufe à l ’âge de dix-
fept ans , & ç ’avoit été avec un applau*
diîfement univerfel dont il vouloit fou-
tenir l’éclat. -
Cependant cette ardeur qu’il avoit
pour l’étude du D r o it , fe rallentit bientôt.
Son efprit vrai & ennemi des voies
obliques de la chicane, ne pou-voit- fe
plier aux: détours qufon eft obligé' d?emJ
ployer dans les affaires. Il étoit même
fur le point de l ’abandonner, lorfqu’il
fût nommé Avo cat Général d u F ifcd e '
Hollande ôc de Zélande. I l prit -poffef-
fion.de cette Charge e n " i ï)0 7 y& il la-
remplit avec une fi grande réputation »
que les Etats augmentèrent fes appointe-
mëns , ôc lui promirent une place dansda'-
Cour de Hollande. ■
Son pere crut devoir profiter de cette’
oïrconftance pour le marier. Il jetta lésf
yeux fur Marie Reigejberg , d’une des
premières familles de Zélande, & dont -
le pere avoit été Bourguëmèftre de Veer.'
Il fit? les démarches néceffai-res pourl’db-
tenir ; &• le mariage-fut célébré dans le *
mois de Juillet de l’année 16o8\ M. Gro- ■
tius fit l’épithalame de fon- fils. Daniel --
Heinfius compofa auflî une pièce de vers à r
ce fujet ; & G R o T i u s lui-même chanta?/
fes noces en vers latins.
Ces fêtes ne durèrent pas long-temps.'
L ’amour du travail ôc de l ’étude ramena;
bientôt le nouveau marié dans fon cabinet.
I l y étoit encore attiré par un
Ouvrage important, qu’il avoit entrepris 1
avant que déformer l’engagement qu’il ‘
venoit de contraCter.il s’agiffoit de l’inté— I
rêt des Hollandois par rapport à la na- •
vigation dans les Indes. G R o T r u s -
trouvoit injufte que les Portugais s’attri-
bualfent le droit exclufif de naviger dans >
la mer des Indes Orientales, fous pré- •
texte qu’ils y étoient entré les premiers. .
B j vouloit faire voir que par Je droit des
gëns , la navigation elt permife à tout
lè monde ; que l’Océan qui elt immenfe,
eft commun à tous les hommes ; qu’il
étoit abfurde’d’imaginer que ceux-qui au-
roient navigé les premiers dans une mer-,
feroient cenfés -en avoir pris polfeffion ;
que le commerce eft permis de Nation à
Nation1, & q01 ne peut être interdit
fans injurftice ; ôc enfin que le Pape n’avoit
pas pû • accorder aux Portugais le
commerce exclufif avec les .Indiens. C ’éft
ce qu’il prouva dans un Ouvrage qui parut
en 1 609 avec ce titre : Mare libe-
rum, feu'de jure , quod Bat avis competit
ad indica commercia : c’eft-à-dire, liberté
de la mer, ou du droit qu’ont les -Hollan-
doïs de naviger dans les Indes. Cet O uvrage
fut imprimé à fon infu, Ôc publié •
malgré lui ; car quoiqu’il l’eût compofé
avec beaucoup, de foin , il n’en étoit pas
fort content. Malgré cela,'il effuya deux >
critiques j l’une intitulée : De jujlo im-
perio Lujitanorum ajiatico , par un Efpa-
gnol ; . ôc l’autre : Mare claufum feu de ■
deminio maris, par le fameux Selden. Elles
méritèrent- l’eftime de G R o T 1 u s , qui
y auroit répondu j; s’il n’eû t; point eu
quelque mécontentement des Hollandois.
I l s’en plaint dans deux de fes lettres, fans
en trop dire la -raifon. ( a ) - -
Ce n’étoit fans doute -ici qu’une maû-
vaife humeur , à en juger par le préfent
qu’il leur fit l’année fuivante.' C e fut un
Traité de l’Antiquité de la République
de Hollande, ( De Antiquitate Relpublictz
Batavce ) dans lequel, après avoir expli- '
qué ce quec’eft qu’un gouvernement arif-
tocratique, & parlé des-anciens Bataves,
qui ont été fournis félon lui à un pareil
gouvernement, il fait l’hiftôire de la République.
Cette production parut fous les '
aufpices des Etats de Hollande- ôc de >
Weftfrife, lefqitels témoignèrent leurfa-
tisfaCHon à l’Auteur par un- préfent. Il
gagna tellement par-là1 l’eftime desHol*-
landois , que la place de Grand Penfion-
naTre de Rotèrdam étant devenue vàcante
(en 1 61 3, ) on la lui offrit. G R o -
T 1 u s la refufa d’abord , parce qu’il crai-
gnoit d’être déplacé par la fuite , à câufe
des grands mouvemens dont la Repu*
blique étoit agitée : mais Meilleurs de
Rotèrdam lui- ayant alluré qu’il en joui—
rôit à perpétuité, il l’accepta ; ôc il eut
ainfi entrée aux Etats de Hollande, Ôc
enfuite aux Etats Généraux. Ce fut une5
occafîon favorable pour lui de renqu-'
veller connoiifance avec le Grand Péri- '
fiorinaire ( M. de Barnevelt. ) Cette con-
noilfance dégénéra bientôt en une étroite
amitié. M. de Barnevelt voulut même lu i :
donner des preuves réelles de fon atta*
chement en lui cédant fa place ; mais
G r o t i u s reçut cette1 offre comme
i l l e devoit : il le'remercia.
Elevé ainfi aux places les plus éminentes
de la République ; notre Philofophe'
étoit obligé de veiller a la gloire ôc aux
intérêts de fes concitoyens. I l eut à e t
fujet quelques démêlés avèc les Anglois
fur la- pêche dans la mer feptentrionalé.
I I alla même eri"Angleterre pour en conférer
avec le Miniftere, qui ne le fatisfit
pas comme il s’y attendoit. C e qui le
confola j ce fut l’accueil gracieux dont le
Roi Jacques I. l’honora,' ÔC la connoïf-
fance qu’ il fît avec le célébré Cafaubon.
Ges deux Savansfe connoiffoient bien dè'
réputation & s ’eftimoient‘ beaucoup; mais
leur liaifon perfonnelle mit le fcëau' à
cette eftime réciproque; G r o t i u s
parle dè cette liaifon dans fes lettrés avec
la p k s grande fatisfaéïion, ôc de Cafaubon
avec éloges".' De fon côté Cafaubon écrivant
a Daniel Heinfr'us ; lui marque q,uril
ne fauroit affez- fe féliciter d’avoir vu un
aufiî grand homme" qué G R o T 1 u s.
» Oh l’honîme1 admirable't s’écrie*t-il. '
» Je le là vois , f continue Cafaubon ; )
» mais-' pour' bien comprendre jufqu’oîr*
» v a l’excellence de-cë divin génie,I l faut
» le voir ôc l’entendre: L a probité habite
»Tur fonvifage : fes* difeours font autant
» de preuves de fa fcience profonde ôc de
» là pieté fîneerè. Tous IesSavàns & les
{«»yEpift, 144. Sc 3 8.4; --