çois Junius le logea chez lu i , & fe chargea
de fa conduite. Illepréfentaà Jqfeph
Scaliger, l’ornement de l’Umverfité de
Leyde. Ce doéte perfonnage parla longtemps
avec lui ; & il fut fi étonné de fa-
prodigieufe capacité, qu’il voulut diriger-
fes études. L e jeune G R o T i u s ne tarda
pas à faire voir qu’il étoit digne de recevoir
des leçons d’un fi grand Maître. Un
an après fon arrivéë à l’Univerfité, il
foutint avec un applaudiffement général s*'
des Thefes publiques fur les Mathémati-r
qnes , la Philofophie & la Jurifprudence./.
Encouragé par ce fuccès , il fe livra fans
réferve à l ’étude. Il y paffoit une partie-:
de la nuit. Son ardeur étoit te lle , qu’il',
netrouvoit jamais la journée affez longue.
L e temps s’envole , difoit-il, au-devant
de nous. Hora ruit ■ : c’étoit fon.
mot. Une application fi vive 8c fi confi*
tante , lui procura des connoiffances fans«,
nombre. Bientôt fa réputation fe répand
it, & les Gens de Lettres en parlèrent;
dans leurs Ouvrages comme d’un prodige.
Ifaac Pontanus écrivit qu’il promettent
infiniment ; Meurjius , qu’on n’avoit jamais
rien vu de pareil ; Jacques Gilot, que/
c ’étoit une merveille ; le célébré Poète/
Barlceus , que fon enfance avoit étonné
tous les vieillards ; Heinpus, qu’il avoit
été homme dès fa naifTance-, & qu’onm’a- -
voit jamais remarqué en lui aucun trait
puéril : enfin Jean Douça avoit peine à -
croire que le grand Erafme eut donné de
fi grandes efpérances , & il foutenoit.
qu’il pouvoit être comparé à tout te qui'
a été le plus eftimé dans l’Antiquité.
A peine forti duC o lle g e , G R o T i us-
ofa former des projets dont-l’exécution
exigeoit une très-grande érudition : ce fut
d’éclaircir & de faire réimprimer plufieurs
Ouvrages -obfcurs & difficiles -, dont on
n’avoit que . des éditions défeétueufesr
L e premier de ces Ouvrages, auquel il
travailla, eft le Traité du -Mariage de Mer-
cure avec la Philologie, par Martianus Ca-
pella. Ce Martianus Capella eft un A fr icain
, qui a écrit à la façon de fon pays ,
& dont par conféquent le ftyle bàrbare eft
prefque inintelligible. Il falloit avoir bien
du courage pour s’engager ^ans un-travail
fi rebutant. G R o T r u s auroit pta
(ans doute fa i r e -un meilleur ufage de fon
temps 5 mais ; fon pere lui ayant communiqué
un manuferit de l’Ouvrage de cet -
Auteur , notre jeune Philofophe le fit
voir à Scaliger j 8c ce Savant l’engagea a -
l’étudier & à en donner une nouvelle édition.
I l obéit. L a difficulté de fentreprife '
ne le rebuta point. Il lut tous les O uvra- -
ges quravoient rapport aux matières que
Captlla avoit traitées ; & ü remplit fe
tâchequeScaliger lui avoit impofée, avec
un fuccès*, qui fuivaitt l’expreflton de M.
Baillet, étonna.toute la terre;
L ’édition ne parut cependant pas des
qu’îl y eut mis la derniere main. Comme
il fongeoit à la publier, il fe préfentaune
occafion de faire le voyage de Françe.
G r o t i u s fouhaïtoit ardemment devoir
ce Royaume j 8c le- défir de fe procurer
cette fatisfadion, rallentit celui qu’il':
devoït avoir de jouir de la gloire de fon
travail. Le grand Penfionnaire de H ol- -
lande ( M. de Barnevelt ) vint à Paris pour
les affaires de la République. U connoif-
fëit G R o.Ti u s & l ’eftimoit. I l reçut
donc avec plaifir lapropofition quecelui-
ci lui fit de l’accompagner. Notre Philofophe
partit avec lui. En arrivant dans
cette Capitale , il apprit avec joie que fa
réputation quoique naif&nte ' , y avoit
percé. I l fut accueilli de tous les Gens de
Lettres & de plufieurs perfonnes de dif-
tindion. En particulier M; de Bu^anval 9
qui à\flbit été Ambaffadeur en Hollande,
8c qui avoit eu occafion de le connoître
de plus p rès , fe fit un mérite de le préfen-
ter au Roi. C e Prince le reçut avec borné,:
& pour lui donner une preuve plus-réelle
de fon eftime, il lui fit préfent de fon portrait
8c d’une-chaîne d’or. G r o t i u s
fut fi flatté de cet accueil & de ce préfent,
qu’il voulut en inffruire le Public. I l fe/
fit graver décoré de la chame-d or que le-
Roi lui avoit donnéè.
Notre Philofophe profita de fon féjour
en France, pour paffer Dodeur en D roit ;
8c après avoir vu les perfonnes les plus,
diftinguées par leur état & par leur favoir 7
il en partit pour retournera D e lf t , très-
content de fon voyage; Une chofe man-
. quoit cepèndanf à fa fatisfadion : c’étoit
de n’avoir pas vu l’illuftre M. de Thou•
I l n’avoit pas trouvé l ’occafion à Paris de
faire connoiffançe avec lui, & il en étoit
très-mortifié. Afin de fe confoler, il rés
o lu t de lui écrire lorfque fon édition de
Capella feroit imprimée. I l fe hâta donc
à la publier. Elle parut en iy p p , fo u s
Jesaufpices du Prince de Coudé, avec ce
vtitre : Martianï .Minei Felicis Capeline ,
Carthaginienps, viri proconfularis Satyri-
con ; in quo de nuptiis Philologice & Mer-
curii libri duo, & de feptem artibuslibera-
, libus, libri Jingulares ; omnes emendati Gr
. notisfive Februis Hug. G r o t i t illujlrad.
G r o t i u s. deftina un exemplaire de
- cet Ouvrage à.M. de Thou, 8c le lui env
o y a avec une lettre remplie de fenti-
mens d’eftime 8c de confidération. -Ce
, Savant le remercia .par une lettre très-
polie & très--obligeante ; & il y eut déformais
entre ces deux hommes célébrés
.un commerce de lettres très-intime.
Dans cette même année ( iypp> .)
G R O Tri u s traduifit: en Latin un O uvrage
qui exigeoit des connoiffances toutes
oppofées à celles qu’il avoit employées
pour l'édition de Martianus Capella : c’eft
le Traité de.Navigationde Simon Stevin,
Mathématicien du Prince de NaJJau. II
dédia fa tradudion-à la République de
iV^iife. Ce Traité étoit en quelque forte
le livre claffique des Officiers de Marine ,
8c G r,q T-i u s qui favoit combien on
.l’e ftimoit, .avoit penfé faire une chofe
.-utile, en le préfentant au Public écrit en
•une langue que toutes les Nations p.uffent
entendre. I l fut obligé , pour rendre bien
fon A uteur , d?étudier particuliérement
l ’A ftronomie, -qui ëft-la bafe de la navigation
proprement' dite. I l prit ainfi du
goût pour cette belle fcience. I l lut.quelques
livres d’Aftronomie, 8c particulièrement
l’Ouvrage grec d’Aratus de Sole,
publié 200 ans avant, J. C . lequel contient
les phénomènes céleftes 8c l’image
des conftellations , fuivant les ..anciens
Aftronomes. i l le trouva fi curieux, qu’il
crut devoir le traduire en Latin. C ’eft ce
qu’il fit en i<Soo. Cette tradudion fut
.tçndue publique cette même-année /précédée
d’une Epître Dédîcâtolfë aux Etats
de Hollande 8c de Weftfrife. E lle fut reçue
avec les plus grands applaudiffemens.
MM. Scaliger, de Thou 8c Lipfe, comblèrent
d’éloges le Tradudeur. L e célébré
Cafaubon écrivit que tout le monde avoit
été étonné de cette produdion. E t Bo-
naventure Vulcain, qui fit à cette occafion
une pièce de vers à la louange de G r o t
i u s , la termine en difant quyApollon
lui avoit ouvert fon fanduaire, 8c qu’il
feroit bientôt lui-même un Apollon•
■ Perge ita Groti ( dit-il ) ipjius Jic mihi
Fhccbus eris.
Notre Philofophe n’avoit cependant
• encore que dix-huit ans ; 8c il avoit acquis
autant de gloire que les favans les
plus célébrés. I l paffoit pour un prodige
• d’érudition. Mais on n’auroit point imaginé
que cette tête remplie de connoif-
lances abftraites , connut les-charmes du
ftyle 8c les agrémens de la Poèfie. Quelques
perfonnes favoient ’bien que dans fa
tendre jeuneffe il avoit fait de jolis vers
élégiaques ; mais on penfoit que l’étude
profonde des Auteurs anciens, à laquelle
il s’étoit liv r e , avoit détruit le premier
feu de fon imagination. C e fut une chofe
qui furprit tous les Gens de Lettres , lorf-
qu’il mit au jour quelques pièces -de vers
bien faites, Sc fur-tout celle “touchant la
guerre du Roi d’Efpagne avec la République
, où il faitrparler la Ville d’Oftende,
dont lesEfpagnols faifoient le fiége depuis
près de trois ans. L e bruit public
l’attribua d’abord à Scaliger, parce qu’il
-paffoit pour le plus grand Poète de ce
. temps. M. Feyrefc, fameux Magiftrat de
“Provence, l ’écrivit à ce favanthomme,-
qui lui répondit qu’il étoit trop vieux pour
.-conférer avec les Mu fes ; que cette pièce
de vers n’étoit point de lui, 8c que G R o -
T i u s -en étoit le véritable Auteur. Elle
Tut fi généralement goûtée , que MM.
jDuvair , Garde des Sceaux de France,
-Rapin, Grand Prévôt de la Connétabiie ,
Etienne Pajquier 8c Malherbe la traduifi-
rrent en François , & Cafaubon en vers
Grecs.
C e fuccès enfla le coeur de notre jeune
■ Philofophe.Ilcrutpouvoir tenter de plus
D ij