IIO S H A F T E
intime. D e fon côté S H A F T E s B ü R Y
n’eftimapas feulement M. Bayle ; ü l’aima.
I l voulut lui donner une preuve
feniïble de fon attachement avant que de
retourner chez lu i , en fe faifant connoî-
tre. I l engagea pour cela M. Furly , Marchand
A n g lo is , qui cultivoit les Lettres
av e c fuc cè s , & qui par-là étoit effimé
de MM. Bayle & Leclerc ; il engagea,
d is -je , M. Furly à inviter Bayle à dîner
avec Milord Ashley. C ’eft le nom qu’a-
voit S h a i t e s j s ur y avant la mort
de fon pere. M. Bayle le connoiffoit déjà
de réputation. I l favoit qu’il étoit le petit
fils du fameux Chancelier d’Angleterre
de ce nom , illuftre ami de M. Loke.
I l fut donc très-empreffé de le vo ir . En
allant chez le Marchand , il monta dans
l’appartement de notre Philofophe. Celui
ci lit femblant de vouloir l’arrêter ;
niais Bayle le remercia. » Je ne le puis
» abfolument point, d it - il, je fuis obligé
„ d’être ponftuel à un rendez-vous, où
» je dois trouver le Lord Ashley. »
S h a f t e s b u r y le laiflà partir &
ne tarda pas à l’aller joindre. I l eft aifé
d’imaginer quelle fut la furprife de Bayle,
quand il v it que le Lord Ashley étoit l ’E tudiant
en Médecine. Cette métamôr-
phofe ne fervit qu’à refferrer encore plus
le noeud de leur amitié. Notre Philofophe
le força d’accepter une belle montre
pour gage de fon attachement. E t lorf-
qu’il fut arrivé à Londres , il voulut lui
faire préfent des meilleurs livres qui pa-
roiffoient en Angleterre. Il pria M. Def-
niaiïieux d’ en faire une lifte. C e Monfieur
crut que Bayle choifiroit mieux que lui.
Il lui écrivit les intentions de S H A F-
t e s b u r y ; & Bayle répondit comme
il le devoit. » Il n’eft point nécefîàire de
» lui donner aucune lifte de livres : je l’en
» remercie. J ’ai un allez bon memehto
» par une belle montre qu’il voulut à
' toute force que j’acceptaffe de fa part.»
Notre Philofophe fut inftruit de ce re-
merciment ; mais il ne jugea pas à pro-
S BU R Y.
pos de s’y arrêter , comme il paroît par
la lettre que lui écrivit Bayle pour lui
témoigner fa reconnoiffance du Suidas , 5c de tant d’autres beaux livres dont il
lui avoit fait préfent. (æ)
En arrivant à Londres , S h a f t e s -
b u r y fut très-furpris d’apprendre qu’on
venoit d’imprimer un petit Ouvrage qu’il
avoit fait à l’âge de vingt ans, intitulé :
Recherches fur la vertu , fur une copie
fubreptice d’une ébauche fort imparfaite.
C ’étoitle fameux M. Tolandqui lui avoit
joué ce tour. Quoique notre Philofophe
ne défavouât pas le fond de cet O uvrage
, il étoit fâché qu’on l’eût publié ,
à caufe du ftyle qui étoit très-inégal.
Pour prévenir la mauvaife opinion que
le Public auroit pû avoir de fa façon
d’écrire, il déclara dans une lettre qui
parut en 1705?., que cette édition étoit
très-imparfaite , & qu’elle avoit été publiée
contre les intentions de VAuteur pendant
qu’ il étoit abfent............Peut-être, ajoutet
il , on pourra donner un jour cette pièce
en meilleur état , d’autres chofes l’ayant
fait depuis rechercher. (/>)
Dans ce temps-là notre Philofophe
perdit fon pere, & il devint par fa mort
Comte de Shaftefbury. I l fut en cette
qualité reconnu Pair d’Angleterre. Cette
dignité l’obligea à retourner au Parlement
; & ce devoir joint aux occupations
que lui donnèrent les biens dont il hérita
, le replongèrent dans l ’embarras des
affaires. I l s’agiffoit alors au Parlement
d’une choie très-importante , qui inté-
reffoit le Roi Guillaume III. C ’étoit le
projet que ce Prince avoit formé de la
grande alliance de la Maifon d’Autriche
& des Provinces-Unies, en faveur de
Charles 111. fécond fils de l ’Empereur
Léopold. L e Comte jugea que rien n’étoit
plus propre pour appuyer ce projet, que
l ’Eleétion d’un bon Parlement. Lorfque
celui où l’on avoit entamé cette affaire
fut dilfolu, fuivant l’ufage d’Angleterre,
S h a f t e s b u r y travailla à ce grand
(«) On lit dans la lettre E lle , qui fc rapporte à
grandeur, qualification que Biy V-donnoit à Shaf*
TEJMJRY. Lettre! de Bayle, Tom. III. pag. I014,
(bj Several Letters , &c. pag. 42.
ouvrage ; & il réuflït li bien , que le
R oi lui dit qu’ il avoit tourné la chance.
I l gagna par-là les bonnes grâces de Sa
Majefté. I l ne tint pas à Elle qu’il n’en
reçût des preuves réelles , par l’offre
qu’Elle lui fit de la place de Secrétaire
d’Etat. C ’efl; en Angleterre fur-tout, le
plus haut dégré d’élévation où un Seigneur
puiffe monter : mais notre Philofophe
avoit appris à apprécier ce que
les honneurs valent, 5c il favoit les comparer
avec les avantages que procure
une vie privée. D ’ailleurs fa fanté ne lui
permettoit pas de fe livrer à des occupations
trop tumultueufes. I l fupplia
donc le Roi de le difpenfer d’accepter
cette place. I l n’en eut pas moins la confiance
de fon Souverain , qui le conful-
toit dans les affaires les plus importantes.
On lui attribue même le fameux dif-
cours que le R oi prononça le 3 1 Décembre
1 7 0 1 .
C e Prince mourut peu de temps après
( le p Mars 170 2 ) 5c notre Philofophe
faifît cette occafîon pour fe retirer 5c fui-
vre fon inclination , en vivant dans le
recueillement. L a Reine , qui fuccéda à
Guillaume III, le dépouilla de la Vice-
Amirauté de Dorfet , qui depuis trois.
générations étoit dans fa maifon. C e fut
une vengeance de la part de ceux qu’il
n’avoit pas favorifé lorfqu’il avoit l’oreille
du Roi & la faveur du Parlement.
I ls lui auroient encore fait de plus grands
torts s’ils l’euffent p û , mais cette Vice-
Amirauté étoit le feul bienfait qu’il eût
reçu de la Cour. I l vit clairement 5c avec
beaucoup de tranquillité toutes leurs manoeuvres;
mais ce fpeétacle n’étant pas
fort amufant, il crut devoir le perdre de
vue. I l alla en Hollande , où il refta un
an. C e temps lui parut fuffifant pour que
fes ennemis l’euffent oublié, ^En effet il
trouva à fon retour qu’on ne penfoit plus
à l ’inquiéter. On commençoit à être occupé
à la Cour de Londres de chofes plus
importantes : c’étoît d’arrêter le cours
des extravagances de prétendus Prophètes
, qui mettoient les efprits foibles en
mouvement. Prefque toutes les perfon-
nes en place étaient d’avis qu’on les pun
ît; mais S h a f t e s b u r y , quiab -
horroitee qui avoit le moindre air de per-
fécution , crut que par cette voie on aug-
menteroit plutôt le trouble, qu’on ne
l’appaiferoit. C ’eft ce qu’il fit voir clairement
dans une lettre à Milord * * * fur
V Enthoufiafme. Pour procéder avec ordre,
il établit d’abord que l’Enthoufîafme n’efl
qu’une certaine puiflance , un charme ,
qui captive naturellement le coeur , 5c
excite dans l ’imagination quelque chofe
de divin 5c de majeftueux. .C’e f t , félon
lu i , une paflïon très-naturelle , qui n’a
proprement pour fon objet rien qui ne
foit bon 5c honnête. I l eft vrai que cette
paffion peut égarer. L ’Enthoufîafme de
l ’amour, par exemple, eft fujet à d’étranges
écarts ; 5c celui de la frayeur jette
dans d’horribles 5c monftrueufes fuperf-
titions. C e font ces excès qu’attaque notre
Philofophe ; 5c il fe fert pour les combattre
des armes les plus capables d’en
faire fentir le venin , fans indifpofer per-
fonne : c’eft le badinage 5c la raillerie.
Malgré cela , cette lettre qui parut en
1708 , effuya plufîeurs critiques, parmi
lefquelles on diftingue fur-tout la première
; elle eft intitulée : Remarques fur
une lettre à un Seigneur fur VEnthoufiafme,
écrites non par un railleur , mais par un
homme de bonne humeur, (a) Dans ces
critiques , on reproche à notre Philofo-»
phe de confondre le zèle de la Religion
avec la fuperftition, 5c on qualifie d’horrible
impiété 5c de pur enthoufiafme la
tolérance , fans une direction publique.
Leurs Auteurs veulent que les hommes-
fe laifïènt conduire aveuglément en matière
de Religion. Sur quoi S h a f t e s b
u r y s’écrie, ces MeJJîeurs publient par7.
tout que le fepticifme nous inonde dans ce
(«) Voici,le titre des autres critiques : La Foire de
Bartbc’etni, ou Recherches fur l ’efprit , ou l’on fait voir
Fanent ion requife à la lettre fur l’ Enthoufiafme , à A>It-
Urd * * * par M Iî at ton ^ c’ eft la fcconde. ) Réjlexions
fur une lettre fur Y Enthoufiafme , * Milord * * * en forme
de lettre à un Seigneur. Au refte la lettre fur l’Enthou-
fiafme a été' traduite eu François par M. Samfon , à
la Haye eu 170S.