mauvais, & ôfi ne doit pas le fouffrir.
Le s maximes qui font les plus propres à
procurer la félicité d’une fociété particulière
, font .fes loix naturelles ; parce
que la félicit<frêft la fin des fociétés & des
loix. Atit^ ,nent on pourroit fuppofer
qu’elles ; uvent fe propoferle malheur
cômn,v, leur propre fin : ce qui eft contra^*.
a la nature & à la vérité. Par confisquent
les maximes ou les principes qui
rendent le plus à établir la tranquillité
générale & le bien public , ou la félicité
du genre humain, doivent être les véritables
loix de la fociété, ou du moins
leur fervir de fondement ; ÔC toutes les
actions qui font contraires à ces lo ix , le
font nécelfairement aux maximes qui en
font les fondemens. I l y a de la contradiction
à dire, qu’une chofe qui tend a
favorifer les plaifirs de quelques particul
i e r s ^ préjudice de tous les autres .Etres,
qui ont avec ces particuliers une nature
commune, eft la vraie loi delà nature humaine
; ôc cette contradiction eft encore
bien plus grande, fi ces plaifirs font indignes
de l’humanité, & uniquement propres
aux bêtes brutes. I l fuitde-là que la
tranfgreffion des loix qui fervent de fondement
au bien général eft mauvaife :
c ’eft un mal moral. Car fi on peut dire
en général de tout le genre humain que
c’eft un animal raifonnable , fa félicité
générale eft celle d’une nature raifonnable.
C ’eft pourquoi cette félicité & les
loix qui l’établilfent, doivent être fondées
fur la raifon. Elles ne peuvent par
conféquent être combattues que par ce
qui combat la raifon ; ôc par une troi-
fiéme conféquence, par ce qui eft op-
pofé à la vérité.
6. Une excellente maniéré de con-
noître fi une chofe eft bonne ou mauvaife
à l’égard des autres, eft de confidé-
rer ce qu’elle feroit à nous-mêmes fi nous
«tions en leur place. Mettons-nous à la
place de celui contre lequel nous fommes
en colere, dit Seneque. Pour fe difpofer
à réduire cette maxime en pratique, on
doit favoir que dans l ’état purement naturel
, les hommes font tous égaux ,
quant à leur domaine fur les chofes ( excepté
la condition des peres , des en—
fans , ôc des parens en général. ) Lorsque
les loix de la fociété n’établiflènt aucune
fubordination , ni aucune diftinc-
tion , il faut confidérer les hommes comme
hommes, c’eft-à-dire, comme étant
des individus de la même efpece, qui
ont également part à la commune définition
des hommes. Ainfi perfonne ne
peut avoir droit d’interrompre la félicité
d’autrui, parce que cela fuppoferoit d’abord
, que le premier auroit un domaine 9
ôc même le plus abfolu de tous les domaines
; & en fécond lieu , que celui qui
commenceroit à troubler la paix & le
bonheur de l’autre , feroit une aélion ,
qu’il prendroit pour déraifonnable , s’ il
étoit à fa place. Cependant tout hômme
en particulier a droit de fe mettre foi-
même ôc ce qui lui appartient, à couvert
de la violence ; de recouvrer ce qui lui
a été enlevé, ôc d’ufer même de repréfailles
par tous les .moyens que la juftice
lui prefcrit. L a difficulté eft de bien
connoître la juftice. Or le moyen d’y
parvenir eft d’être inftruit de fes devoirs ,
dont voici les principaux.
i° . L ’homme doit foumettre à la raifon
fes appétits charnels , fes inclinations
fenfuelles ôc fes mouvemens corporels ,
ôc juger par elle de la bonté de toutes
chofes.
2°. I l doit avoir foin d’éviter l ’indigence,
les maladies & les chagrins. A u
contraire, il doit faire tous fes efforts
pour les prévenir, pour fe procurer une
îubfiftance agréable , fans contredire aucune
vérité , c’eft-à-dire, fans donner atteinte
aux droits de la Divinité, au bien
d’autrui, & en général à ce qui eft jufte
ÔC raifonnable.
30. Il doit prendre les affeftions fenfuelles
8c corporelles , fes pallions & fes
penchans , pour des fuggeftions auxquelles
il eft permis, 8c même ordonné, de fe
rendre dans plufieurs occafions.
4 0. I l doit employer toutes fortes de
moyens pour remédier à fes propres défauts
, ou du moins pour prévenir leurs
effets, pour apprendre ôc tenir en bride
la tentation , pour fe mortifier même
quand la mortification lui eft néceflaire ,
8c pourfe relfouvenir toujours qu’il n’eft
qu’un fîmple homme.
y ° . I l eft obligé d’examiner fes propres
aélions & fa conduite , & de fe repentir
des fautes qu’il découvre avoir faites;
de forte que fi fes fautes fe rapportent à
fon prochain, Ôc qu’elles foient d’une nature
à demander réparation, il eft tenu
de la faire telle qu’il peut ; mais lorlque
la faute commife ne peut être ni rappel-
lée , ni réparée, ou qu’elle ne regarde
que celui qui l ’a faite, il doit être pénétré
d’un v if fentiment de repentir, ôc prouv
e r par tous les efforts dont il eft capable
, qu’il fouhaite fîncérement d’en obtenir
le pardon, ôc qu’il voudroit de tout
fon coeur ne l’avoir point commife ; enfin
il doit faire tout fon poffible pour ne
point retomber.
<5°. I l doit travailler à cultiver fes facultés
intellectuelles, par les moyens
qu’il peut honnêtement employer à cela,
8c qui s’accordent mieux avec fon état.
Comme il lui eft défavantageux d’être
efclave de l’erreur ôc d’être enfeveli dans
les ténèbres de l ’ignorance, il lui eft utile
de favoir les vérités qui peuvent diffiper
8c cette erreur ôc cette ignorance.
7°. I l doit être docile & attentif aux
inftruétions qu’on lui donne : il eft même
ob ligé , dans les matières importantes,
de confulter les autres. Omettre ce devoir
, c’eft nier qu’il puifle fe tromper,
8c fuppofer qu’il eft impoffible aux autres
de favoir ce qu’il ne fait point. C e feroit
un grand avantage} pour le dire en paf-
1 0 f
fant , qu’il y eût urf Commerce Ôc un
échange de confeils ôc de lumières comme
de toutes autres chofes.
8°. Enfin il doit bannir de fon efprit
les préjugés ôc les obftacles qui le captivent
ôc qui l’empêchent de ra '"Snner jufte.
Nous entrons dans le monde vec de fî
petits conmiencemens de foient : nous
vieilliflons avec tant de reftes de fuj. ^rfti.
tion ôc d’ignorance, avec de fi puiffarues
influences de la mode Ôc des compagnies
que nous fréquentons, avec de fi violent '
penchans vers le plaifir, qu’il n’eft pas
étonnant que nous contractions l ’habitude
de donner le même tour à nos pen-
fées, & que cette habitude devienne en-
fuite fi inflexible ôc fi invétérée, que l ’ef-
prit s’enfevelifle peu à peu dans des préjugés
invincibles, ôc qu’il foit incapable
de goûter la raifon ôc la vérité. Auffi ce
dernier devoir eft fans doute le plus important
, ôc celui qui demande de notre
part une attention prefque continuelle,
9 . Concluons donc que tous les hommes
font obligés de vivre vertueufement
ôc pieufement, parce qu’une telle vie eft:
la pratique de la raifon Ôc de la vérité.
Car pratiquer la raifon, c’e ft -à -d ir e ,'
agir conformément à la vérité , c’eft fe
comporter avec refpeCt ôc foumiflîon envers
l ’Etre fuprême ; c’eft être jufte envers
les autres hommes. En un mot »
c ’eft rendre ce que nous devons à D ie u ,
à la loi de la nature, ôc travailler véritablement
ôc folidement à notre félicité pré^
fente ôc future.