74Pendànt que notre Philofophe tâchoit
de s’affermir dans la réfolution qu’il avoit
prife~de ne point faire imprimer fon ma-
nufcrit, M. Reneri, Profeffeur de Philo-
fophie dans la nouvelle Univerfité d’U -
trecht, enfeignoit fa doctrine. Descartes
lui en avoit fait part, lorfque ce Profeffeur
étoit à Deventer, avant qu’il vînt
à Utrecht. Sans nommer fon A u teu r ,
M. Reneri fe contentoit d’expliquer à fes
difciples ce qu’il effimoit le plus approchant
de la vérité. D ’un autre cô té , fes
amis ne ceffoient de le folliciter de publier
fes écrits, ôc de lui faire un crime de fà
nonchalance à cet égard. I l y avoit huit
ans révolus qu’ il vivoit en Hollande, auffi
retiré que s’il eut demeuré dans les déferts
les plus fauvages. L a longueur de ce terme
fembloit fournir de juftes prétextes aux
reproches que lui fai (oient ceux qui n’a-
voient confenti à fon éloignement de
Paris que pour recueillir les fruits de fa
folitude. D ’ailleurs il avoit quarante ans.
C ’étoit l’âge ou il avoit acquis la maturité
d’efprit, capable de le mettre à couvert
de tout ce qu’on a coutume d’alléguer
contre la précipitation des jeun.es gens
qui veulent paraître Auteurs avant l’âge.
Ces confidérarions le portèrent à mettre
en ordre ce qu’il trouva parmi fes papiers,
qui lui paroiffoit le plus digne de voir le
|our ; Ôc dès qu’il fut arrivé de Frize à
Amfierdam, il écrivit au Pere Merfenne
que e’étoit tout de bon qu’il vouloit fe
faire Auteur Ôc donner fes ouvrages au Public.
Il y avoit long-temps que les El^e-
yirs déliraient d’être fes Libraires. Us ne
celfoient de le folliciter fortement de s’accommoder
avec eux de fon manufcrk:
mais lorfqu’il fut arrivé à Amfferdam,
ils crurent qu’il y étoit venu pour le leur
offrir* L a politique ordinaire des Marchands
joua alors fon rôle. Us parurent
indifférens, ôc attendirent qu’on les vînt
prier. Notre Philofophe avoit l’àme trop
élevée pour oublier en cette occafion ce
qui lui étoit du. 11 lailfa là les Elçevirs, ôc
envoya Ion Ouvrage au Pere Merfenne
pour le faire imprimer à Paris. Cet Ouvrage
étoit intitulé: Le projet d'unefcience
imîverfdle, qui puffe élever notre ame à. fort
plus haut degré de perfection. Plus, la Dioptrique,
les Météores & la Géométrie, où les
plus curieufes matières que l'Auteur ait pu
choifir pour rendre preuve de la fcience univer-
felle qu'il propofe, font expliquées ; en telle
forte que ceux même qui n'ont point étudié, les
peuvent entendre. Les réflexions que fît en-
fuite D escartes fur les avantages d’une
împreffion plus correCte, lî elle fe faifoit
fous fes y e u x , le détermina à le mettre
fous preffe à l’endroit même où il étoit.
Un Libraire deLeyde* nommé Jean Maire,
s’étant offert de fe charger de fon manuf-
c r it, il écrivit au Pere Merfenne de le lui
envoyer avec le privilège du Roi qu’il
avoit obtenu. Ce manufcrit avoit été lu à
Paris ; & fur le compte qu’on en avoit rendu
à M. le Chancelier, ce Chef fùprême de
la Juffice avoit fait expédier un privilège
fort honorable pour Descartes. On y
lifoit que » le Roi défîroit le gratifier, ôc
»faire connoître que c*etoit à lui que le
» Public avoit l’obligation des inventions
» qu’il avoit à publier ». Il lui étoit encore
permis par ce privilège, non-feulement de
publier l’ouvrage qu’il préfentoit, » mais
» encore tout ce qu’il avoit écrit jufques-
» l à , ôc tout ce qu’il pourrait écrire dans
» la flûte de fa v ie , en tel endroit que
»bon lui fembleroit, dedans Ôc dehors le
»Royaume de France ». Notre Philofophe
fut très-fenfîble à ces diflinCtions ;
mais comme il craignit qu’elles ne lui pro-
curaffent des envieux, il les fupprima dans
l ’extrait qu’il fit publier du privilège à la fin
de fon Livre. I l changea, auffi le. titre qui
lui parut trop faftueux. L ’ouvrage parut
en 1 637 fous celui-ci : Difcours de la méthode
pour bien conduire fa rdifon rechercher
la vérité dans les Jciences. Plus, la Diop-
trique, les Météores & la Géométrie, qui font
des ejjais de cette méthode*
Cette production fut accueillie de tous
les Mathématiciens : ils connoiffoient bien
de réputation notre Philofophe ;.mais après
la leCture de fon Ouvrage, les plus célèbres
d’entr’eux s’emprefferent à former
avec lui une Kaifon plus, intime. M. de
Zuitlichen faifit cette occafion pour lui
écrire, ôc lui témoigna le regret qu’il avoit
qu’il n’eût pas traité de la Mécaniques
Pour réparer cette omiffion, ôc fatisfaire
en même temps à fon d éfir,.Descartes
lui envoya un petit effai fur cette partie
des Mathématiques qu’il avoit compofé
quelque temps auparavant à fa follicita-
tion. M. de Zuitlichen fut fi fenfible à ce
préfent, & en fit de fi grands éloges, que
notre Philofophe les trouva fort au-def-
fus de fon effai. I l lui écrivit que les trois
feuilles qui le compofoient, ne valoient pas
ertfemble la moindre des paroles de fon remer-
ciment.
M. de Fermât, Confeiller au Parlement
deTouloufe, qui jouiffoit à jufte titre de
la réputation d’un des plus grands Mathématiciens
de l’Europe, lut avec un grand
plaifir le Difcours de la Méthode, & écrivit
en même temps les remarques qu’il jugea
à propos d’y faire. L a Dioptrique fut le
morceau auquel il s’attacha particuliérement.
I l fit fur cette Dioptrique plufieurs
objections qu’il adreffa au Pere Merfenne.
II envoya auffi à Descartes par la même
v o ie , un Ouvrage qu’il venoit de compo-
fer, intitulé : De Maximis & Minimis, & de
Tangentibus, en le priant d’ufer de ce Livre
avec la même liberté qu’il avoit ufé de fa
Dioptrique. Notre Philofophe répondit
d’abord aux objections de M. de Fermât,
ôc releva enfuite quelques méprifes qui
ctoient échappées à ce Confeiller dans fon
Traité De Maximis. Le Pere Merfenne, à
qui tout cela fut adreffé, ne jugea pas à
propos de l’envoyer à ce Confeiller,& cette
' réponfe ôc cette critique lui parurent trop
ameres. Pour ne rien faire au hazard, il
crut devoir communiquer tout ce qu’il
avoit reçu à M. Pafcal, pere du grand
Pafcal ,ôc Mathématicien habile, 0ckM.de
Roberval, Profeffeur de Mathématiques au
College Royal. Ces Meffieurs craignant
que ces écrits n’indifpofaffent M. de Fermât,
fe chargèrent de répondre pour lui.
D escartes reçut cette réponfe, ôc la lut
avec beaucoup de furprife. Il loua le zèle
de ces deux amis de M. de Fermât ; mais il
trouva que s’ils avoient bien rempli les devoirs
de leur amitié à fon égard, ils s’é-
toient affez mal acquitté de la commiffion
qu’ils avoient prife de le défendre. I l ré-
pondit à cet écrit, ôcM. de Roberval répliqua.
Ce Profeffeur vain ôc cauftique naturellement
, l’étoit encore plus dans fes ou-
vrages.NotrePhtlofophe fut fcandalifé des
termes peu obligeans dont il fe fervoit fans
ménagement ; ôc tandis que des amis communs
cherchoient à concilier les efprits ,
M. de Fermât abandonna M. de Roberval,
ôc pria le Pere Merfenne de lui faire faire
connoiffance avec D escartes, ôc de lui
procurer fon amitié.
Un autre Profeffeur au College R oy al
entra en lice avec notre Philofophe. M. Morin
( c ’efl: le nom de ce Profeffeur ) lui fit
quelques objections fur la lumière : mais
cette difpute fe termina paifiblement &
fans rancune. U en naquit peu de temps
après une autre qui dura plus long-temps.
L e Pere Merfenne ayant fait attention à la
courbe que décrit le point d’un cercle en
roulant fur un plan, propofa à M. de Roberval
de trouver la nature de cette courbe.
Ce Mathématicien réfolut le problème, ôc
pria le Pere Merfenne de le propofer à
D escartes. Notre Philofophe non-feulement
en donna la folution, mais fit de
plus grandes recherches à ce fujet. Cela
excita la jaloufie de M. de Roberval. U chicana
D escartes fur tout fon travail ; ôc
il y eut des altercations qui dégoûtèrent
celui-ci de la Géométrie abftraite, c’eft-à-
d ire, de la recherche de ces queftions qui
ne fervent qu’à exercer l’efprit. I l prit
d’autant plus volontiers ce parti, qu’il ne
vouloit plus cultiver que cette forte de
Géométrie , qui a pour objet l’explication
des phénomènes de la nature.
Pendant qu’on fatiguoit D escartes en
France par des objections ', ôn travailloit
en Hollande à lui procurer une réputation
plus brillante Ôc moins pénible. L ’Univer-
fité d’Utrecht avoit pris tant de goût pour
fa Philofophie, qu’on abandonnoit infen-
fiblement celle à'Ariftote. Un concurrent
à une chaire de Médecine vacante, nommé
M. Regius, fut même préféré à plufieurs
habiles gens, parce qu’il entendoit
mieux la Philofophie Cartéfienne que fes
rivaux. U contracta par-là une obligation
avec notre Philofophe qu’il voulut acquitter.
Il lui écrivit que la grâce qu’on lui
avoit faite de le reccnnoître un de fes d;f-
K i j