poflîble qu’un enfant les ait faites ; & il
n’y a que la fuite de fa vie qui puifle rendre
la chofe croyable.
D escartes fut encore moins fatisfait
de la Métaphyfique ôc de la Phyfique,
qu’il ne l ’avoit été de la Logique & de la
Morale. Cela l’affligea ; car il n’ofoit imputer
qu’à lui-même le peu de lumières
que lui procuroit la do&rine de fes Maîtres
, puifqu’il fe glorifioit d’être dans une
des plus célèbres écoles de l’Europe, où il fe
devoit trouver de favans hommes, s’il y en
avoit en aucun endroit de la terre (a). I l com-
prenoit bien que la Philofophie avoit été
cultivée par les plus grands génies qui euf-
fent paru dans le monde ; & il étoit tout
étonné de ce qu’il ne s’y trouvoit aucune
chofe fur laquelle on ne difputât, & qui
par conféquent ne fût douteufe. Confidé-
rant la diverfité des opinions des Philofo-
phes touchant la même matière» il vit clairement
qu’on ne fauroit rien imaginer de
li étrange & de lî peu croyable qui ne puifle
avoir des partifans. Dès-lors il réfolut de
réputer presque pour faux tout ce qui n eft
que vraisemblable.
Après avoir fini fon cours de Philofophie,
notre écolier étudia les Mathématiques.
I l fe trouva ici bien dédommagé du
dégoût que lui avoient caufé fes autres
études. Il étoit fur-tout charmé de l’évidence
& de la certitude de la Géométrie :
mais il n’en comprenoit pas le véritable
ufage. Perfuadé qu’elle ne lervoit qu’aux
Arts méchaniques, ils ’étonnoitdeceque
fes fondemens étant fi fermes & fi folides,
on n’eût rien bâti là-deflus de plus relevé.
Cette furprife lui fuggéra la penféed’en
faire l’application aux Arts. Entre les parties
des Mathématiques qu’il étudioit, il
choifit pour fon deflein l’analy fe dçs Géomètres
ôc l’Algèbre ; ôc la difpenfe qu’il
avoit obtenue du Principal du College de
fuivre la dilcipline à laquelle les autres
écoliers étoient afiîijettis, le mit en état de
s’enfoncer dans cette étude aufli profondément
qu’il pouvoit le fouhaiter. A la recommandation
du Pere Charlet, on lui avoit
encore permis de demeurer long-temps a*
lit le matin, tant par rapport à fa fanté
toujours chancelante, que parce que ce
Jéfuite avoit remarqué que fon efprit étoit
porté naturellement à la méditation. On
fait qu’au réveil toutes les forces de l’entendement
étant recueillies, Ôc les fens
étant tranquilles, on peut alors fe livrer à
de férieufes réflexions. C ’eft aufli ce que
fit Descartes. I l profita fi bien de cette
Situation, qu’on peut dire que c’eft aux
matinées de fon lit que nous fommes redevables
de fes plus belles découvertes fur
la Philofophie ôc fur les Mathématiques.
» 11 s’appliqua dès lë College ( dit l ’A u-
» teur de fa vie ) (b) à purifier ôc à perfecr
» tionner l’ana'yle des Anciens ôc l’A lg è -
» bre des Modernes. Jufqu’alors ces deux
» connoifl'ances ne s’étoient étendues qu’à
» des matières extrêmement abflraites, &
»qui ne paroiflent d’aucun ulage. La pre-
» miere avoit été tellement aftreinte à la
» confidération des figures, qu’elle ne pou-
» voit exercer l’entendement fans fatiguer
» beaucoup l’imagination. L ’on s’étoit tel-
» lement aflujetti dans la derniere à de cer-,
»taines règles & à de certains chifres *
» qu’on en avoit fait un art confus ôc obf-
»cur , capable feulement d’embarraflèr
» l’efprit, au lieu d’une flience propre à
» le cultiver. Il commença dès-lors à dé-
» couvrir en quoi ces deux fciences étaient
» utiles, en quoi elles étoient défeétueu-
» fes. Son deflein n’ét< >it pas d’apprendre
» toutes les fciences particulières, qui por-
» tent le nom de Mathématiques ; mais
» d ’examiner en général les divers rap-
» ports ou proportions qui fe trouvent dans
» leurs objets, fans les fuppoler que dans
» les fujets qui pourroient fervir à lui en
» rendre la connoiflance plus aifée. I l re-
» marqua que pour les connoître, il auroit
» befoin tantôt de les confidérer chacune
» en particulier, tantôt de les retenir feu-
» lement ou de les comprendre plufieurs
» enfemble. Pour les mieux confidérer en
» particulier, il crut qu’il devoit les fup-
» pofer dans des lignes, parce qu’il ne trou*
i * l Delà Mtthide, pag. 5. [ i ] Vie de M. Défiants, pag. zS.
» voit
» voit rien de plus fimple ni de plus propre
» à être diftinétement repréfenté à fon ima-
» gination ÔC à fes fens, C ’efl en quoi con-
» fifloit tout l’ufage qu’il prétendoit faire
».de l ’analyfe géométrique. Pour lesrete-
»nir ou les comprendre plufieurs enfem-
» b le , il jugea qu’il failoit les expliquer
» par des chifres les plus courts ôc les plus
»clairs qu’il feroit poflîble ».
Voilà le compte que rend M. Baillet
des projets de Descartes ; projets fi fu-
blimes, que j’ai cru devoir me fervir des
propres termes de l’Auteur, pour rendre
la chofe plus croyable. 11 falloir que notre
écolier fût doué d’une fagacité ôc d’une
pénétration extraordinaires pour les concevoir.
Audi l’une ôc l’autre étoient telles
qu’il laifTa fort loin fes compagnons d’étude,
Ôc qu’il alla encore infiniment au-
delà de ce que fonProfelTeur pouvoit lui
apprendre.
I l fit connoiflance dans ce College avec
M. Merfenne, qui fut enfuite Minime, ôc
ils contractèrent enfemble une amitié fi intime,
qu’elle dura jufqu’à la mort. Enfin
après y avoir fini fes études, Descartes
en fortit au mois d’Août 1 6 1 2 , comblé
d’éloges ôc de bénédictions. Tout cela ne
i ’enorgueillit point. Quoique fes connoif-
fances paflaflent pour des prodiges, elles
ne fe réduifoient, lèlon lu i, qu’à des doutes
, à des embarras, à des peines d’ef-
prit. Les lauriers dont on le couronnoit,
ne lui paroiiïbient couverts que d’épines.
I l dédaigna par cette raifon le titre de fa-
vant. Le dépiaifir qu’il eut même de fe
voir défabufé de l’efpoir qu’il avoit conçu
de pouvoir acquérir par lès études des
notions claires ôc aflurées de tout ce qui
eft utile à la v ie , le plongea dans une mélancolie
affreufe. Voyant d’ailleurs que
fon fiècle étoit aufli éclairé qu’aucun des
précédens ; ôc s’imaginant que tous les
bons efprits dont ce fiècle étoit aflèz
fertile, étoient dans le même cas où
il fe trou vo it, fans qu’ils s’en apper-
çuflent comme lu i, il ofa prefque croire
qu’il n’y avoit aucune fclence dans le
monde qui fut telle qu’on lui avoit fait
efpérer.
Le réfultat de toutes ces fâcheufes délibérations
le fit renoncer à l ’étude dès
1 6 1 3 . I l s’amufa pendant fon féjour à
Rennes, à vifiter fes parens ôc fes amis, à
monter à cheval, à faire des armes, ôc aux
autres exercices convenables à fa condi-r
tion. Son pere le deflinoit aufervice j mais
fa jeunefle ôc fa complexion étoient trop
foibles, pour l’expofer aux fatigues de la
guerre. En attendant qu’il fût en état de
les fupporter,il l’envoya à Paris, pour lui
faire connoître le grand monde. Livré à
lui-même dans cette grande V ille , fans
que perfonne veillât fur fa conduite, fon
pere ne lui ayanr donné qu’un valet-de-
chambre Ôc des laquais pour le fervir, il
fut bien fe garantir de? grandes débauches
auxquelles un jeune homme de dix-
fept ans eft expofé; mais il ne put n lifter
aux .11 très oivertiî emens, tels que les promenades
, le jeu. les fpe&acles, &c. Le
jeu ie dominoit fur-tou » parce qu’il trou-
vo t dans cet amufemem des difficultés à
réf :udre, ôc des combinaifons à faire. I l fit
cependant connoiflance avec quelques Mathématiciens
, ôc renouvella celle du Pere
Merfenne. Les converfations qu’il eut avec
ce Minime, réveillèrent en lui l’amour des
Sciences. Elles faifoient le fujet de leurs
entretiens. Descartes menoit ainfi avec
cet ami vertueux une vie douce ôc agréable
; mais le Pere Merfenne ayant eu ordre
de fes fupérieurs d’aller àN ev ers, il fut
vivement touché de cette féparation j ôc il
n’y eut déformais que l’étude Ôc la retraite
qui euflent des attraits pour lui. Pour là-
tisfaire ce goût, il loua dans le fauxbourg
S. Germain une maifon écartée du bruit,
ôc s’y enferma avec un ou deux domefti-
ques feulement, fans en avertir ni fes parens
, ni fes amis. Rien ne put le diftraire
de ce recueillement. On commençoit alors
la tenue des Etats du Royaume aflemblés
à Paris ( c’étoit en 1 6 1 4 au mois d’OCto-
brè). Onaccouroit de toutes parts pour
voir cette aflèmblée ôc les cérémonies qui
la précédèrent ; mais tous ces objets de
curiofité fi piquans pour un jeune homme
fur-tout, ne firent point fortir notre Phi-
lofophe de fa retraite. 11 y demeura le
refte de l’année ôc les deux fuivantes fans
fortir ôc fans voir fes amis. L ’étude des
I