meuref autant de temps qu’il lui plairoit,
il y alla au commencement du mois de
Mai 16 7 1 . I l y vécut dans une grande
retraite. Il fortoit peu ; il étudioit beaucoup
, & ne voyoit prefque perfonne.Son
valet faifoit fa cuifine , en quoi il étoit
fort peu habile ; mais notre Philofophe
étoit très-dur à lui-même , malgré la dé-
licateffe de fon tempérament & fes infirmités
habituelles. Il ejl bon , dit-il dans
une de fes Lettres, d’accoutumer le corps aux
viandes communes & qu’ on trouve par-tout,
pour n'être pas miférable quand on n’a pas ce
qu’on fe firoit rendu nécefjaire. Lorfque fon
valet avoit fait encore plus mal qu’à l’ordinaire
, loin de le reprendre avec vivacité
, il lui repréfentoit fa faute avec
douceur, pour ne pas trop l’humilier. C ’é-
toit fon cara&ère d’être toujours prêt à
excufer les fautes d’autrui, & à pardonner
volontiers toutes celles qui ne regardoient
que lui.
I l ne demeura à Saint-Denis que jusqu’au
mois d’Août. C e lieu étoit trop
proche de Paris pour qu’il n’y reçût pas de
fréquentes vifites. On le droit malgré lui
de fa folitude , & il étoit expofé aux in-
convéniens qu’il avoit voulu éviter en
quittant laV ille . Pour s’en délivrer, il fe
réfugia dans le défert de Port-Royal des
Champs, où il trouva MM. Arnaud, de
Sainte-Marthe , & de Sacy, que le même
efprit de recueillement avoit amenés. I l
mangeoit cependant peu avec eux , & il
ne les voyoit guères que dans la néceffité.
I l prenoit fes repas dans fa chambre ,
pendant lefquels fon valet lui faifoit quelque
leélure ; & il ne fe trouvoit jamais
mieux que lorfqu’on le laiffoit fe livrer en
liberté aux exercices qu’il s’étoit prefcrits.
C e fut dans cette folitude qu’il publia
les Préjugés légitimes contre les Calvinijles,
lefquels parurent en 1.671. M. Claude
attaqua cet ouvrage : mais N i c o l e
n’avoit ni. affez de force, ni affez de fanté
pour s’engager dans le travail qu’exigeoit
fa réponfe. Quoiqu’il eftimât M. Claude à
bien des égards, il le regardoit comme un
homme avec lequel il y avoit trop à faire.
C ’efi , dit-il dans fa vingt-cinquième Lettre
, un déclamateur de profejjion , qui écrit
fans ducune bonne foi & fans fincérité, qui
pouffe des figures à perte de vue, & qui ne témoigne
jamais plus de confiance que quand il
ejl plus foïble. D ’ailleurs un travail plus important
l’occupoit , c’étoit fes EJfais de
Morale, dont le premier volume parut en
1 6 7 1 .
Quelque temps après qu’il eut publié
ce volume, il accompagna M. Arnaud à
Angers, qui y alloit voir fon frè re , E vêque
de cette Ville. Ils y furent reçus avec
beaucoup de difiinétion. L a V il le leur envoya
des Députés pour leur faire des pré-
fens, & pour les remercier de l’honneur
qu’ils leur faifoient. Ils revinrent au bout
d’un mois ; & à fon retour, Nicole ac^.-
cepta un logement aux écuries deMadame
de Longueville, dans leFauxbourg S. Jacques
à Paris, pour être proche de M.
Arnaud, qui logeoit dans le même Faux-
bourg.
C e fut dans ce temps-là que fes amis le
follicitèrent à prendre les Ordres facrés.
I l goûta fort leur avis ; mais avant que
de fe déterminer , il voulut en conférer
avec M. Pavillon , Evêque d’A le t en
Languedoc, qu’il avoit coutume de prendre
pour fon confeil. A cette fin, il partit
de Paris au commencement du printemps.
I l alla d’abord à T ro y e s , où il confommà
le projet qu’il avoit formé d’établir des
Ecoles pour des jeunes filles. En paffant
par Avignon , il lui arriva une petite
aventure, qui auroit mortifié un homme
moins Philofophe que lui. Parmi les ehofes
rares qu’on lui montra dans cette V i lle , on
lui propofa de lui faire voir l’Epitaphe du
Prince de Conti, dont le corps repofe dans
l’Eglife de Villeneuve-Iès-Avignon. C ’étoit
N i c o l e même qui avoit fait cette
Epitaphe en 1 666 ; mais on ignoroit à
Avignon cette circonftance. Cette pièce
n’étoit pas belle, & les meilleurs elprits
de cette Ville n’en faifoient pas grand
cas. Auffi l’un de ceux qui accompà-
gnoient notre Philofophe , le détourna
d’aller à Villeneuve , s’il n’avoit pas
d’autre motif. Cette. Epitaphe ne vaut
rien, d it- il, & ne mérite pas d’être vue.
Tout le monde en demeure d’accord, répondit
tranquillement N i c o l e , & moi
aujji , bien réfolu d’en faire mon profit.
Après avoir paffé fucceffivement à Nif-
mes, à Montpellier , & à Carcaffonne,
N i c o l e arriva à A le t chez M. Pavillon.
I l lui expofa le motif de fon voyage.
M. Pavillon décida bientôt le parti qu’il
avoit à prendre. Pour entrer dans les Ordres
facrés, vous'avez befoin, lui dit-il,
du confentement de l’Evêque de Chartres
, dont vous êtes Diocéfain ; & cet
Evêque s’obftine à vous les refufer. D e-là
il étoit aifé de conclure que N i c o l e
devoit relier tranquillement dans l’Ordre
de la Cléricature, & c’eft la réfolution
qu’il prit.
D ’A le t , notre Philofophe fe rendit à
Grenoble, d’où il partit pour Anneci près
Genève, & revint à Paris. I l s’y occupa
à revoir des Ecrits de divers Particuliers ,
à repoulfer les attaques & les perfécutions
de fes ennemis , & à détruire les mauvais
bruits qu’ils faifoient courir fur les motifs
de fon voyage. Son père étant mort alors,
il alla à Chartres pour mettre ordre à fes
affaires, & de-là à T roy e s, pour affermir
fon établiffement des petites Ecoles. Dans
ce temps-là ( en 1675) ) fa protectrice,
Madame la Ducheffe de Longueville mourut
, & il crut qu’il n’y avoit pas de fureté
à refier en France. Outre cela,il venoit de
perdre fucceffivement trois logemens ; l’ un
à Paris, c’étoit celui que lui donnoit Madame
de Longueville ; l’autre à S. Denis,
par la mort du Cardinal de Rets; 8c le troi-
fième à Beauvais, par celle de M. de Bu-
?enval. J ’étois logé dans ces trois lieux , dit-
il dans fa vingt-cinquième L e ttre , très-
petitement à la vérité ; mais tout ejl grand
à ceux qui ne le font pas. Dans une poïïtion
fi fâcheufe , il prit le parti que je viens de
dire : ce fut de quitter la France,pour éviter
les mauvais traitemens dont il étoit
menacé de la part d’ennemis puifians, que
Madame de Longueville ne contenoit plus.
I l fe retira donc à Bruxelles , où M.
Arnaud vint le trouver pour fe dérober
aux mêmes perfécutions. Ce DoCteur voulut
l’engager à paffer en Hollande, pour y
ê tre, difoit-il, plus en fureté : mais quelque
fortes que fuffent les raifons qu’il donna,
afin de le déterminer, notre Philofophe
ne s’y rendit point. I l allégua pour
excufes les fréquens accès de fon afihme ,
dont il étoit attaqué depuis l’âge de 3 o
ans, fa mauvaife fanté, le mauvais air de
la Hollande, la difette de la bonne eau ,
qui étoit prefque fa feule boifion, & la réfolution
qu’il avoit prife de ne plus fe mêler
de rien, 8c d’aller paflèr le refte de fes
jours, s’il lui étoit poffible, dans le repos
d’un Monaftère.
En attendant, il étoit ifolé dans une
terre étrangère,& prefque réduit à n’avoir
de converfation qu’avec des chênes &
des hêtres. C ’en auroit été affez pour un
Philofophe G rec; mais N i c o l e n’étoit
pas accoutumé à un féjour fi défert. Pour
diffiper une mélancolie qu’avoit amené le
dégoût, il penfa à retourner à Paris. I l
falloit, afin d’y être en fureté, avoir la
proteébion de M. deHarlay, Archevêque
de Paris. O r ce Prélat étoit très-Courroucé
contre lui , à caufe de la part
qu’il avoit eue à .la Lettre que MM. les
Evêques d’Arras & de Saint-Pons avoient
écrite au Pape Innocent X I , lors de .fon
avènement à la Papauté, contre les relâ-
chemens des Cafuiftes. I l fut donc con-
feillé de fe juftifier à cet égard, par une
Lettre adreffée à Cet Archevêque. C ’efi ce
que fit Nicole. I l écrivit à M. de Harlay ,
qu’il n’avoit d’autre part à cette Lettre
que celle d’avoir prêté fa plume pour
exprimer leur intention, & qu’il n’avoit
pas cru devoir le refufer à leurs follicita-
tions , 8c à la recommandation d’une Prin-
ceffe qui lui faifoit l’honneur de le loger
chez elle.
I l paroît que notre Philofophe étoit à
L iè g e , lorfqu’il écrivit cette Lettre. I l en
partit, après l’avoir envoyée, pour aller
à Sedan; & il effuya pendant ce voyage
beaucoup de fatigues , aufquelles il fut
très-fenfible. C ’efi ce qu’il exprime bien
dans fa vingt-cinquième Lettre du Tome
IL Qui m’auroit dit, il y a f ix mois, qu’ il
falloit me réfoudre à ri avoir ni feu ni lieu ; à
être à charge à tout le monde ; à changer continuellement
de demeure; à être décrié & condamné
d’un confentement mutuel par les gens
du monde & les amis; à n’être plaint ni défendit
de perfonne ; à coucher fur la paille avec la