ük N I C O I E.
Arnaud dans unè députe fur la nature de
la Grâce, & qui fit voir que l’amour de la
vérité les avoit plutôt unis que celui de
leurs opinions particulières. I l prit part
dans le même temps a l’affaire du Quietif-
me , dont les premiers Auteurs furent
M me. Guïon & le Père Lacombe Barnabite,
foutenus par M. de Fenelon Archevêque
de Cambray. Notre Philofophe fut un
des premiers qui fe déclarèrent contre
cette fauffe fpiritualité. I l manifefta fés
fentimens dans un ouvrage inti tulé : A\oyen
court & facile de faire VOraifon. C ’eft ici le
dernier fruit de fa plume.
Vers le mois de Septeriibre de l’année
16 9 ; , fes incommodités redoublèrent fi
fort , & fes accès devinrent fi fréquens
de fi douloureux , que ne pouvant plus
écrire de fa propre main , il etoit oblige
de diéler à fon Domeftiqqe ce qu’il vou-
loit confier au papier. Enfin le 1 x Novembre
, étant dans fon cabinet, occupé
félon fa coutume a lire Sc a méditer lut la
lefture , il ft fentit attaqué fubitement
d ’une efpèce d’apopléxié , qui, en ne lui
ôtant ni la liberté de l’efprit', ni l’ufage de
)a parole, lui laiffa le pouvoir d’appéller
du fecours. Il ne fe trouva alors chez lui
que fa Servante, laquelle appella Mefde-
moifeïles Richer & de Parville , amies de
N 1 G o L E , & Penfionnaires au Couvent
de la Crèche, o i il demeuroit alors. Elles
envoyèrent fur le champ chercher M.
Morin,- de l’Académie des Sciences , qui
le fit faigner. Peu de temps après accoururent
chez lui MM. Dodart & Hequet,
qui ordonnèrent l’émétique , de concert
avec M. Morin. On mit notre Philofophe
au fit pour attendre l’effet de ce remède ,
qui n’eut point de fuccès. I l demanda &
reçut les Sacremens dp l’Eglife. L e 16 du
même mois, après qu’on l’eut changé de
l i t , il lui prit quelques inquiétudes. I l
voulut Te le ver, de fe plaignit de ce qu’on
le retenoit au li t , puifque félon lui il
pouvoir marcher. Mais ces inquiétudes
étoient des avant-coureurs d’une fécondé
attaque d’apoplexie , laquelle le fit tomber
dans une fi grande foibleffe, qu’il
f frîe'tbôde pour étudier l'HiJioire, pag, 3 ?? dp I Edit. /,
expira au bout d’une heufe, âgé de prés
de 7 2 ans.
N i c o l e étoit d’un caractère doux
& extrêmement timide. On prétend même
que cette timidité étoit fi grande ,
qu’elle alloit jufqu’à la foibleffe. I l ofoit >
dit-on, fortir à peine de chez lu i , tant il
appréhendoit les accidens imprévus. I l
étoit, outre cela, fi crédule , qu’il ajoutait
foi à tous les faits qu’on lui rapportait
, quelqu’abfurdes qu’ils puflent être,
parce qu’il ne pouvoit s’imaginer qu’on
pût le tromper * . Ces imputations ne font
pas à la vérité bien prouvées : mais quand
notre Philofophe auroit été tel qu’on
nous le repréfente i c i , cela ne ferviroit
qu'à prouver fon extrême candeur. I l
étoit fi modefte , qu’il a rapporté' dans
fes Lettres des chofes dont fon amour
propre eût été bielle , s’il eût été capable
de quelque foibleffe. On a vu c i-
devant fon ingénuité fur l ’Epitaphe du
Prince de Conti qu’il avoit compofée :
mais voici un trait encore plus remarquable
de fa modeftie. I l nous apprend
qu’un de-fes amis chargé de faire
le Panégyrique d’un Saint , lui montra
celui qu’il avoit fait. N i c o l e le lu t , le
trouva mauvais, & s’engagea à lui en faire
un : ce qu’il exécuta. Son ami adopta ce
Panégyrique , <5i le déclama fort bien ;
mais il ne fut goûté de perfonne. Un des
Auditeurs qui connoiflbit notre Philofophe
, vint même lui dire , que puifqu’il
était ami du Prédicateur, il devoit l’avertir
de ne plus fe mêler d’un métier dont il
s’acquittait fi mal. Le Prédicateur ne fe
rebuta pas cependant de ce mauvais fuccès.
Il exigea de N i c o l e une fécondé
fois la même corvée; & celui-ci l’accepta
d’autant plus volontiers, qu’il crôyoit que
le Prédicateur avoit défiguré le premier
Sermon par quantité de lambeaux mal cou-
fus qu’il y avoit ajoutés. I l affifta comme
la première fois à ce Panégyrique. Son ami
le rendit moj pour mot,& le déclama mieux
qu’ il ne méritoit.Malgré cela,ce Sermon eut
le même fuccès que le premier, Sc excita
Içs mêmes plaifanteries. Notre Philofo-
2, J?ar M. LttngUt Enfrçiioj,
phe
N I C
phe conclut de-là qu’il n’étoit pas propre
pour les Ouvrages qui demandent de l’invention,
Sc oû il faut fe foutenir de foi-
même , Sc qu’il ne pouvoit réuflïr qu’à des
chofes où il falloit prouver Sc raifonner.
A u refte il n’a jamais mis fon nom à aucun
de fes Ouvrages, Sc il en a cédé volontiers
l’honneur à M. Arnaud, à qui on attribue
par cette raifon une partie de fon
art dè penfer, dont je vais faire connoître
le fyftême.
Syftême de N i c o L v.fur Vart de penfer.
S i l’on définifloit la penfée , la faculté
de produire des idées , il eft certain qu’il
n’y auroit point d’art de penfer , parce
qu’on ne peut point réduire en art une
fimple propriété. Mais fi on confidère les
fuites de la faculté de penfer, c’eft-à-dire
toutes les actions de l’efprit, les idées
fimples , les jugemens , Sc les raifonne-
mens, Sc qu’on mette tout cela au nombre
des penfées , on concevra qu’on pourra
preferire une méthode pour bien diriger
toutes ces aétions, o u , ce qui revient au
même, former un art de penfer. C ’eft fous
ce point de vue qu’eft conçu le fyftême
que je vais expofer.
I l y a quatre opérations de l’efprit, qui
font, concevoir, juge r , raifonner Sc ordonner.
Concevoir eft la fimple vue que
nous avons des chofes qui fe préfentent à
notre efprit. Juger eft l’aélion de l’efprit
par laquelle nous comparons diverfes
idées pour connoître l’une par l’autre.
Raifonner eft l’aftion de l’efprit par laquelle
nous formons-un jugement de
plufieur,s autres. E t Ordonner eft l’aétion
de l’efprit par laquelle ayant fur un même
fujet diverfes idées, divers jugemens, Sc
divers raifonnemens , nous les difpofons
de la manière la plus propre pour faire
connoître ce fujet. Toutes ces opérations
fe font naturellement , Sc l’art confifte
feulement à réfléchir fur ce que la raifon
nous fait faire ; ce qui fe réduit à trois
principes.
1 p, A être affûtés que nous ufons bien
de notre raifon.
2° . A découvrir Sc à expliquer plus facilement
l ’erreur ou le défaut qui fe peut
rencontrer dans les opérations de notre
efprit.
3°. A nous faire mieux connoître la nature
de notre efprit par les réflexions que
nous faifons fur fes a&ions.
On peut de foi-même faire ufage de ces
principes , pour difeerner le vrai d’avec
le faux, en exerçant l’efprit fur des chofes
difficiles, comme les Mathématiques ,
parce qu’elles lui donnent une certaine
étendue, Sc qu’elles l’accoutument à s’appliquer
davantage, Sc à fe tenir plus ferme
dans ce qu’il connoît. Mais pour lès
pratiquer avec plus de certitude Sc de facil
i t é , on les foumet aux règles qui forment
véritablement l’art de penfer.
Je l’ai dit : la première aélion de l ’efprit
eft concevoir. O r ceci eft l’ouvrage
des idées , parce que nous ne pouvons
avoir aucune connôiftance de ce qui eft
hors de nous, que par leur entremife ; &
les réflexions que nous faifons fur ces
idées, font tout le fond de cet art. I l s’agit
donc de favoir en combien de manières
on peut confidérer les idées. Premièrement
, on doit les confidérer fuivarit leur
nature ; en fécond lieu , félon la différence
des objets qu’elles repréfentent ; troifié-
mement, félon leur fimplicité oucompo-
fition ; quatrièmement , félon leur étendue
du reftri&ion, c ’eft-à-dire leur uni-
verfalité , particularité , fingularité ; Sc
enfin félon leur clarté Sc obfcurité, ou di£-
tinétion & cdnfufion.
On appelle Idée tout ce qui eft dans
notre efprit, iorfque nous concevons une
chofe de quelque manière que nous la concevions.
Ainfi nous ne pouvons rien exprimer
par nos paroles , Iorfque nous entendons
ce que nous difons , que nous
n’ayons idée de la chofe dont nous parlons,
quoique cette idée foit quelquefois plus
claire Sc plus diftin&e , quelquefois plus
obfcure Sc plus confufe * .
Tout ce que nous concevons eft repré-
fenté ou comme fubftance , ou comme
manière de fubftance, ou comme fubftan