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d’efprit néceffaire pour fe mettre
au-deffus de la douleur , eft ce
qu’on appelle une vertu ftoïque.
Zenon en la prêchant, n oublioit
pas que le Sage eft homme, ôt que
par-là il eft né fenfible aux tour-
mens ôc aux plaifirs ; mais il vou-
loit que les maux ne puffent l’affliger
; qu’il fe roidît contre les charmes
de la, volupté , & qu’il contre-
balançât les miferes ôt les afflictions
de la vie , par la fatisfaftion
que devoit lui procurer ce témoir
gnage infiniment agréable , qu’il
pouvoitfe rendre, de ne dépendre
que de lui. Le Sage , difoit-il, eft
véritablement libre & même fou-
verain , parce que rien ne peut le
furpalfer. Il eft toujours content
fans lefecours des objets extérieurs,
( Sapiens fe ipfo contentas eft. ) Son
efprit tient tout de lui-même ( ex
f e totum eft. ) Jupiter même n’eft ni
plus puilfant ni plus heureux que
lui. Sa Philofophie le rend en quelque
forte égal aux Dieux. Quel
avantage peut avoir en effet la- Divinité
(li l’on en croit Zenon) au-
deffus d’un homme de bien ? Il n’en
a point d’autre que d’être vertueux
plus long-temps. Les Dieux, doivent
leur fageffe à leur propre nature';
& le Philofophe à fes réflexions.,
Celui-ci tient d’eux le don.
de la v ie , & de la Philofophie le
bon ulàge. qu’il en fait. Or autant
O U R S
que le bon ufage de la vie eft au-
deffus de la vie même , autant l’obligation
qu’il a à la Philofophie
( c’eft-à-dire la Morale gHeft plus
grande que celle qu’il a aux Dieux.
Enfin le Sage de Zenon n’eft plus
comme fuppliant en préfençe du
Créateur, mais comme égal. Il
prend fon repos avec lui-même,
en fe livrant à fes Tpentéesftdcquief
ch fibi , cogitationibus fuis tradi~
tus. (a) );. J
C’étoit fans doute pour faire
voir l’excellence de la -Sageffe,
que les Stoïciens faifoient fonfter
fihaut les avantages de celui qui la
poffede. Elle lui tient lieu detout,
difoient-ils. Elle lui fert de bouclier
contre toutes: les adverfités de la
vie , & ,1’éleve en quelque forte au-
deffus de l’humanité. Rien n’eft af-
furément plus noble, plus grand ,
plusfubiime. Si quelque chofe peut
être repréhenfible dans cette Morale
, c’eft d’y voir: établir l’homme
fpeâateur de fon mérite & l’admirateur
de fa vertu. Cela eft un peu
vain. Mais .l’orgueil eft une palïïon
fi chérie: de l’homme , qu’on ne
pouvoit mieux lui infpirer l’amour
de lafageffe, qu’en le flattant: de ce
côté-là.
-Quoi qu’il enfoit, on ne crut pas
qu’on pût enfeigner une plus.belle
Morale. Prefque tous les Phiiofo-
phes, qui fuccéderent à Zenon ,
Ça) Yoyez les Epîtresde Seneqmc
P R EJL I M
l’adopterent. Elle fut mife en pratique
par lés Romains. On lui doit
même ces aêtions héroïques ; qui
illuftrerent jadis la Capitale du
monde, ôt que nous admirons tant
aujourd’hui. Cependant tous ces
préceptes des anciens ne donnoient
pas une notion bien exaêle de la
vertu. Y a-t-il une vertu abfolue ,
ou n’appelle-t-oh ainfi que ce qui
eft utile à la patrie ? C’eft-là une
queftion que les modernes fe font
propôfé de réfoudre.
Ils ont fexaminé ce que nous devions
au Tout-Puiffant, à nous-
mêmes ôt aux autres. Ils ont donné
des définitions exa&es du mérite
& de la -vertu , du bien & du mal
moral; développé les déréglemens
de l’efprît & les vices du coeur ;
indiqué les -moyens de fe délivrer
des uns & des autres .; preferit la
Conduite qu’on doit tenir pour bien
vivre avec foi ôt avec fes conci-.
toyeus ; enfin ils ont réduit la fa-
géffe en art-, La feule chofe qu’ôri
pourroit défirer aujourd’hui , ce
feirbit qu’on réunît leurs principes
pour en- former une fciencé bien
liée. Car la Morale , fuivant la-
penfée d’un grand Philofophe , {a)\
» eft capable de démOhftration auffi-
»> bien que lès Mathématiques ;
» puifqu’on peut connoître parfai-
» tement ôt. précifément l’effence
I N A I R E - xîij
=> réelle des chofes que les termes de
Morale lignifient, paroùl’on peut
» découvrir certainement qu’elle
» eft la convenance ou la difeon-
: » venance des chofes mêmes , en
quoi confifte la parfaite connoif-
» fance;
C’eft donc une chofe à faire
qu’un cours de Morale démontré
géométriquement. Mais -les hommes
en deviendroient-ils plus fa-
ges ? Il y a tout lieu d’en douter.
En effet le plus grand nombre ,
dit Montagne, reçoit les avis de la
vérité ôt fes préceptes comme une
mpnnoie courante fans examen ;
ôt au lieu de s’en fervir pour régler
fes moeurs, ou il les oublie , ou il
en remplit fottement fa mémoire.
On lit un livre pour s’amufer un
moment, ôt non pour s’inftruire ôt
pour fe corriger. Les plus, beaux
préceptes ne germent que dans petu
de têtes. L ’orgueil, qui eft le vice
capital de l’homme, éleve le for
même au-deffus des plus grands
génies. Le befoin ôt l’humiliation
pourroient bien le rendre docile à
l’inftruêlion , fi dans cet état cet
orgueil ne lui infpiroit point le dé-
fir de fe rendre puiffant. Afin de
lui applanir le chemin de la fortune
, il lui couvre la honte des
moyens. Dès-lors - ( comme l’ob-
ferve avec tant de jugement un des:
I I I . pag, 3 36 de la quatrième édition*
in - 12,.
00 Loke, Vo y e z VEJJai philofophique
concernant Ventendement humain 3 Tom..