& l’autre étoient dignes. Non-feulement
il reçut P u F E N i) o r F F de la maniéré
la plus gracieufe : il lui offrit encore
un logement chez lui. Celui-ci ga-
gnoit trop à cette offre pour la refufer. I l
l ’accepta, «5c fe livra fans réferve à l’étude
des Mathématiques. Il v it ainfi les
Ouvrages de Defcartes, & ce fut avec
une fatisfadion infinie. L a maniéré de
philofopher de ce grand homme l’affeéta
fi fo r t , que Tes talens naturels en acquirent
une perfection , dont il ne les au-
roit pas cru fufceptibles. I l convient lui-
même , que s’il y a quelque ordre & quelque
jufteffe dans fes écrits, il les- doit à
fa méthode*
Je ne fai fi aucune dodrine a produit
de fi grands effets que celle de Defcartes ;
mais voici trois Philofophes du premier
ordre qu’elle a formés * <5c que je compte
déjà dans cette Hifioif.e: fa voir Loke ,
Mal.ebranche ,<5c P u f e n d o r f f . Ce
dernier ne trouva pas feulement dans fes
Ouvrages des découvertes utiles ; il y
gagna auflï une chofe plus précieufe : ce
fut le goût de la Philofophie , cet amour
du vrai & du fimple, qui diflïpd^les préjugés
<5c les Ululions de l’amour propre.
I l regarda dès-lors ces titres faftueux,
qu’on prend dans les Univerfités comme
des marques vaines <5c équivoques de la
capacité & du favoir. Plus jaloux d’être
dofte que de le paroître ,il dédaigna de
prendre la qualité de Doéteur. Son efprit
fe nourriffoit avec un plaifir infini de l’étude
des Mathématique»!; & fon coeur
étoit au comble de fa joie par la fociété
aimable de M. IVeigel. C e Mathématicien
avoit eu deffein de compofèr un cours de
morale , traité à la maniéré des Géomètres.
L ’effime qu’il faifoit de P u f e n -
d o r f f , l’engagea à lui communiquer
£bn projet. Notre Philofophe démêla fi
bien les prineipes.de la morale, que M.
Wéigel le crut plus propre que lui à l’exécuter.
Il lui donna fon manufcrit & lui
permit d’en faire tel ufàge qu’il vou-
droit..
T ou t attachoit P u f en d o r f f chez
fon Profeffeur , & les. leçons, qu’il en recevoir
> ôc la douceur de fon commerce è
& fes politeffes prévenantes : mais il crai-
gnoit d’abufer de les bontés , en demeurant
plus long-temps avec lui. 11 éomp-
toit déjà une année de féjour : c’en étoit
trop, félon lu i, pour un homme qui étoit
hors d’état dé reconnoître les fervices
qu’il lui avoit rendus. I l le quitta & retourna
à Leipfic.
L à incertain fur le parti qu’il avoit à
prendre pour jetter les fondemens d’une
fortune médiocre, il reçut une lettre de
fon frere , qui étoit au fervice du R oi de
Suede, par laquelle il lui confeilloit de
ne pas perdre fon temps dans fon pays-*
ôc de chercher à fe placer ailleurs. P u -
f e n d o r f f trouva ceeonfeilbon, ÔC
réfolut de le fuivre. I l fit eonnoiffance
avec des Suédois , qui lui propoferent de
fé charger de l’éducation des fils de M.
Coyet, Confeiller Aulique du Roi de
Suede , Secrétaire d 'E tat, ôc Ambafia-
deur extraordinaire auprès des. Proviu-
ces-Unies. L a fîtuation ou il étoit ne lui
permit pas de refufer ce pofre. I l alla
avec fès élevés à L e y d e , où il s’occupa à
faire imprimer les Opufcules de Meur-
fius. L e fiiceès qu’eut cet Ouvrage, l ’engagea
à en publier un autre intitulé i
U ancienne Grece deLauiremberg. Ce livre
parut en 1660 , fous, les aufpices diwpere
de fes éleves.
P u f e n d o r f f avoit alors 29 ans.
C ’étoit l’âge où fon. goût devoit être
formé. Auflï le ramena-t-il à fès premières,
inclinations. I l n’étudia plus déformais;
les fciences Ôc l’hiftoire que par la liaifon*
qu’elles pouvoient avoir avec la Légilla-
tion. L ’étude particulière qu’il en avoit
faite , avoit pour objet le Droit public*.
Ce Droit fortoit à peine du chaos où les.
Jurifeonfultes «5c lés Théologiens l’a-
voient plongé. Ceux-là trop remplis de
leur Code «5c de leur Digefte , vouloient
en faire la réglé immuable de l’équité , «5c
négligeoient abfolument de remonter aux
premiers- principes. Ceux - ci avoient
achevé de brouiller cette feience par des;
diftinélions fcholaftiques , qui au lieu de-
rien éclaircir en rendoient au contraire
l ’étude longue, pénible <5c obfcure. Notre
Philofophe voulut répandre un nouvea».
jour fur cette matière. I l lut à cette fin
le grand Ouvrage de Grotius fur le D roit
de la Guerre <5c de la Paix. Cette lefture
étendit fes idées & lui en fit naître de nouvelles.
Elles produifirent à la fin le projet
d’un traité très-philofophique fur le
Droit de la Nature & des Gens. I l falloir
pour l ’exécuter des fecours qu’il ne trou-
y o it point à L e yd e , & que le temps & la
Providence pouvoient feuls lui fournir.
En attendant un heureux hazard ôc des
©ccafions propices, il compofa des Elé-
mens de la Jurifprudence univerfelle, qu’il
publia à la Haye. II y employa diverfes
chofes tirées de la morale manuferiteque
JM. Weigel lui avoit donnée. Ces chofes
étoient traitées dans un goût géométrique.
Auffi un Savant en lifant cet O uvrage
dit qu’il fentoit lé Mathématicien.
L ’Auteur l’avoit dédié à Charles-Louis ,
Electeur Palatin ; ôc ce Prince lui en
avoit témoigné fa reconnoiffance par une
lettre très-gracieufe , dans laquelle il
l’affuroit de fon effime , «Sc lui faifoit ef-
pérer des preuves folides de fa bienveillance.
Cette efpérance ne fut pas longue.
Un an après avoir écrit cette lettre ,
( c’eft en 1 6 6 1) l’Eleéteur le fit appeller à
l ’Univerfité de Heidelberg , en qualité
de Profeffeur. P u FENDORFFs’y rendit
, & il eut la gloire de remplir la première
Chaire de Profeffeur public qu’il
eût en Allemagne pour le Droit de la
ature ôc des Gens, que Charles-Louis
fonda en fa faveur. Ce.bienfaiteur l’employa
à l’éducation du Prince Electoral.
E t pour rendre fes talens encore plus utiles
, il l’engagea à écrire fur l’état de
l ’Empire d’Allemagne, & lui fit donner
des mémoires, afin de le mettre en état
d ’y travailler.
Notre Profeffeur examina attentivement
tous ces mémoires , Ôc après avoir
combiné toutes chofes , il trouva^qyie
l’Allemagne eft un corps républicain,
dont les membres mal affortis font un
tout monftrueux. Cette propofition fit
je principal fujet de fon Ouvrage. Elle
étoit fans doute très-hardie. Auflï ne
crut-il pas devoir s’en déclarer l ’Auteur.
I l fe déguifa fous le nom de Severin ,
Sieur de Nlon\abano, Veronois. Et il le
dédia à fon frere , qui étoit Ambaffadeur
de Suede à la Cour de France, qu’il maf-
qua fous le nom de Lelio , Sieur de Tre-
çolani. Pour éviter tout foupçon , il ne
jugea pas à propos de le publier en A lle magne.
I l fit parvenir Ton manufcrit à
Ton frere, pour le faire imprimer à Paris.
Celui-ci le préfenta à un Libraire, qui
pria M. de Mènerai de l’examiner. C e fameux
Hiftorien le lu t , ôc le jugea digne
de voir le jour ; mais il refufa de donner
fon approbation , parce qu’il y trouva
quelques endroits ©ppofés aux intérêts
de la France, ôc d’autres où les Prêtres
ôc les Moines étoient maltraités. L ’Am -
baflàdeur de Suede fe contenta de ce refus
: il envoya le manufcrit à Genève. I l
y fut imprimé. Ce fut en 16 6 7 que ce
livre parut avec ce titre : SeverinideMon-
çabano, de Statu Imperii Germanici, liber
unus. I l fut accueilli comme l’Auteur l’avoit
préfumé. On en chercha beaucoup
l’ A uteur , ôc on l’attribua d’abord à différentes
perfonnes ; mais on ne put jamais
le deviner. C e qui rendoit l’enigme difficile
, c ’étoit les foins que PufendoBFF
«’étoit donné« pour prévenir ou pour dif-
fiper les foupçons qu’on auroit pû former
fur lui. I l avoit fi bien pris fes mefu-
res , qu’on n’a pû favoir exactement la
vérité qu’après fa mort.
Tandis qu’on eherchoit à connoître
l ’Auteur de ce livre , plufieurs Jurifcon-
fultes écrivoient contre l’ouvrage, ÔC
d’autres travailloient à en obtenir la fup-
preflîon. Ceux-ci vinrent à bout de le
faire condamner , interdire Ôc confifquer
en plufieurs endroits de l’Allemagne ; <5c
les autres publièrent prefque coup fur
coup trois critiques , iefquelles furent
encore, fuivies de deux qui parurent quelques
années après. Les Auteurs de ces
critiques font Martin Schoockius, {a) Philippe
André Oldenburgerus ,.fous le nom
G ij
(*) Excrdiationcs X I I . quibus Severini de Monz.*ba,no , fifti dijculitur, l$ 6 9 .
fidmvdiim promuljidis, Traitants de Statff Imperii Gfrmt