coup d’ennemis,&<Jùe l’oreille des Grands
n’eft pas toujours fermée à la calomnie. Il
s’en retourna donc chez lui, où il fut très-
mal reçu. Pendant fon abfence , on avoit
fait courir le bruit qu’il étoit d’intelligence
avec les ennemis de l’Etat. Son
hôte à qui on l’avoit perfuadé, voulut le
mettre à la porte : mais S f i NOSA le raf-
fura, & cette affaire n’eut point de fuite.
Rendu ainli à fon domicile, ce grand Mé-
taphyfîcien content de peu, méprifant les
honneurs & les richeffes, & jouiffant d’une
foible fanté , vécut prefque continuellement
dans la retraite. Il entroit dans la 4.5*°
année de fon âge, lorfqu’une maladie lente
le mit au tombeau le 21 Février ( d’autres
difent le 21 Mai ) 1677, affilié d’un feul
Médecin,qu’on croit être L o u i s M e y e r , Son
hôte étoit au Sermon avec fa femme , &
ils le trouvèrent mort à leur retour, quelque
tranquille qu’ils l’eufTent laiilé avant
que de partir.
Comme S P1N o s A avoit l’odieufe réputation
d’athée , on répandit après fa
mort qu’il n’avoit voulu voir perfonne
pendant fa maladie ; qu’il avoit le fuc d’une
Mandragore qui le rendoit infenlible
à la douleur; & qu’il s’écrioit quelquefois,
M i f e r e r e D e u s pec ca tor is m ife r i. Mais cela
fent la fable. Rendons plus de juftice à fa
mémoire, en finiflant par ces vérités. Il
ne difoit jamais rien en converfation qui
ne fût édifiant. Il ne juroit jamais. Il par-
loit toujours avec révérence de l’Etre fu-
prême. Il affiftoit quelquefois aux Sermons
, & il exhortoit les autres à être
affidus aux Temples. Son entretien étoit
poli Sc agréable. Il vécut tranquillement
S c modeftement fans aucune prétention,
étant parfaitement défintéreffé Sc fort réglé
dans fes moeurs. Affable , honnête,
officieux & obligeant pour tout le monde ,
il ne fut incommode à perfonne, & tâcha
d’être toujours utile à ceux qu’il connoif-
foit, quelque mécontentement qu’il en
reçut. Quand on lui apprenoit que quelqu’un
à qui il avoit donné fa confiance le
trahiffoit & parloit mal de lui, il répon-
doit que la calomnie ne doit point nous
empêcher d’aimer la vertu & de la pratiquer.
Enfin toujours content de fon fort &
fans inquiétude , il fouffrit patiemment
fans fe plaindre Sc les maux moraux, S c
les maux phyfiques.
Il étoit petit, jaunâtre , S c avoit queL
que chofe de noir dans la phylionomie.
S y j lêm e d e S pinosa f u r la n a tu r e d e D i e u
& f u r c e lle d es E t r e s ,
Je ne connois point de fyftêmes fi obf-r
curs, fi embrouillés, fi pleins de contradictions
, Sc en même temps fi fameux que
celui-ci, MM. B a y le ( a ) , B o u la in v i l l ie r s ,
d e F e n e lo n , D o m L a m i ( b ) , M a c la u r in (c),
d e J a r ig e s ( d ) y ont reconnu mille défauts.
Malgré cela , il a des partifans, à caufe de
fa nouveauté Sc de fa fîngularité. Tout le
monde convient que c’eft la chofe la plus
abfurde : mais on avoue auffi que rien n’eft
plus ingénieux ni plus fpirituel. C’en eft
allez pour plaire Sc pour occuper agréablement
; & cette vifion ou chimère ,
quoique defapprouvée par la raifon , réjouit
l’efprit. Perfuadé que fon expofi-
tion ne peut produire que cet effet, je vais
procurer ce plaifir au LeCteur.
Il n’y a qu’une fubftance dans la nature,
c’eft l’étendue corporelle, & l’Univers
n’eft qu’une feule fubftance unique. On
appelle S u b jla n c e ce qui eft en foi, ce qui
fe conçoit par foi-même. Cette fubftance
exifte par elle-même : elle eft éternelle,
indépendante de toute caufe fupérieure.
Elle doit exifter néceffairement par l’idée
vraie que nous en avons : car de même
que D e fc a r t e s a conclu de l’idée d’un Etre
infiniment parfait exiftant néceffairement,
qu’un tel Etre devoit exifter ; aînfî de l’idée
vraie que nous avons de la fubftance,
(a) Dictionnaire Hiflorique & Critique, art. Spinofa.
(f>) Réfutation des erreurs f c Benoît Spinofa, par M. de
Rendon, Archevêque de Cambrai ; parle P. Lami, Bê-
nédictin j & par le Comte dé Boulainvilliers. L’écrit de
ǧ dernier eft plutôt une adoptioq du fyftêjnc dp
Spinofa , qu’une réfutation.
(e) Expo/irion des découvertes Pbilofophiques du Chevalier
Neuton.
(d) Mémoirès de fjîcadémic Royale de Berlin . Tom. I,
I I , &c.
6ri conclut qu’elle doit néceffairement
exifter, ou que fonexiftence Sc fon effence
font une vérité éternelle. La fubftance a
donc toutes les propriétés inféparables de
l’Etre exiftant'par lui-même. Elle eft Ample
Sc exempte de toute compofîtion. Elle
ne peut être divifée en parties ; car fi elle
pouvoit avoir des parties, ou chaque partie
de la fubftance feroit infinie Sc exifte-
roit par elle-même , de forte que. d’une
fubftance il en naîtroit plufieurs ; ce qui
eft abfurde, de ces parties n’auroient encore
rien de commun avec leur tout ; ce
qui n’eft pas moins abfurde : ou les parties
ne conferveroient point la nature de la
fubftance : ainfi la fubftance divifée, en
perdant fa nature, cefleroit d’être ou de
fubfifter par elle - même. De là il fuit
qu’il ne peut pas y avoir deux fubftances ,
de qu’une fubftance ne peut point en produire
une autre.
Mais fi la fubftance exifte en foi, qu’elle
ne tienne fon exiftence que de fa propre
nature , qu’elle fe conçoive par elle-même
, Sc qu’elle foit éternelle, fimple , in-
divifible , unique , infinie, la fubftance &
Dieu font fynonimes. Elle eft donc dopée
d’une infinité de perfections. Comment!
une étendue aura une infinité de perfections
f Ceci mérite attention.
La fubftance comme fubftance n’a ni pu’ff
fance, ni perfections, ni’intelligence. Ces
attributs découlent de fes modifications ,,
d’une infinité defquelles elle eftfufcepti-
ble •: ces modifications ou affections exif-
.tent dans la fubftance, & ne fe conçoivent
que. par elle. Ce font elles qui forment fon
intelligence & fa puiffance. Ainfi enfe modifiant
, la fubftance a formé les aftres, les
plantes, les animaux, leurs mouvemens,
leurs idées, leurs defirs, &c. Modifiée en
étendue , elle produit les corps 8c tout
ce qui occupe un efpa£e, Et modifiée en
penfée , eette modification eft l’ame de.
toutes les intelligences. L’univers n’eft
donc autre chofe que la fubftance ou
Dieu avec tous fes attributs, c’eft-à-dire
toutes fes modifications.
Voici les conféquences qu’on tire de-là.
1. I l n’y a rien dans la nature de contingent
; tout découle de l’Etre fuprême
( ou fubftance ) Sc eft déterminé par ce
même Etre.
2 . La volonté de Dieu n’eft: point une
caufe libre , mais néceffaire ; de manière
que tout,ce qui émane de lui n’eft pas l’ouvrage,
d’une volonté fpontanée , mais
l’effet de fa propre nature ; Sc quand il agit ,
il le fait par la néceffité de là nature. Ou
ce qui revient au même, Dieu a tout prér
déterminé,, non par la liberté de fa volonté
, mais par fa nature abfolue & fa
puiflance infinie.
3. Tout eft en lui, Sc tout dépend tellement
de lui, que rien ne peut exifter ni
être conçu que par lui.
4. La puiffance de Dieu eft fon effence
même ; Sc tout ce que nous concevons
dans la puiffance de Dieu eft néceffaire.
y, Rien ou aucune chofe n’exifte, de
la nature de laquelle il ne fuive un effet.
En un mot, pour avoir une idée jufte
Sc accomplie de l’Etre abfolu exiftant dans
fes affections ou modifications, il faut faire
.abftraétion de l’Etre, toutes les fois qu’on
veut imaginer le changement modal de
chaque individu ; de forte que ce qui exifte,
ce .qui eft animé eft dans l’abftraétion de
l’Etre, Sc tous les .corps font dans l’abf-
traétion de l’étendue.
A l’égard de la penfée, c’eft un attribut
ou une modification de la fubftance : ce
qui lignifie que Dieu eft la chofe même
qui penfe ; car la fubftance fans égard à
ces affections n’eft pas Dieu ; elle ne
l’eft que lorfqu’elle eft modifiée, puifque
l’intelligence eft une modification. Dieu
eft donc l’ame de l’homme. Or Dieu a
l’idée de fon effence & de toutes les chofes
qui en découlent néceflairement : Sc cette
Idée eft une ou lïmple, quoiqu’elle fe di-
vife en plufieurs manières. Car l’ordre Sc
la connexion des idées font les mêmes que
l’ordre Sc la connexion des chofes : cè qui
forme le fond de nos connoiflànces, comme
on va le voir.
Le corps de l’homme eft un compofé
de plufieurs individus de différente nature.
De ces individus les uns font fluides, les
autres mois, les troifiémes durs. Quand la
partie fluide du corps humain eft dérangée par un corps étranger, ce corps étranger
H