4 E R A
merce des femrites. Ce reproche eft appuyé
fur quelque fondement. E r a s m e ne fe
défend pas d’avoir été fenfible aux charmes
de l’Amour : mais il affaire qu’il n’a
jamais été efdave de Venus , & qu’il a;
toujours lu modérer fon tèmpérament,
quoiqu’il ne le réprimât pas toujours.
C e fut dans ce couvent qu’il compofa fon
premier ouvrage du mépris du monde, fous
le nom de Thierri de Harlem. I l avoit alors
3 0 ans. Il publia prefqu’en même temps un
Difcours touchant le bonheur de la paix contre
lesfablieux. I l fit enfuite l’éloge funèbre
d ’urçe Dame de T e rg o u , à laquelle il avoit
des obligations. Et ces ouvrages, quoique,
précoces , puifqu’il n’avoit encore que
3 1 ans, firent concevoir de lui les plus
grandes efpérances.
Ces travaux n’occupoient pas tellement
E r a s m e , qu’il ne fentît quelquefois
le dégoût qu’il avoit toujours eu
pour l’état monaftique. Cet état ne con-
venoit ni à fon efprit ennemi des cérémonies
, & ami de la liberté , ni a la foi-
bleffe de fa fanté. 11 penfoit donc férieu-
fement à trouver quelqu’expédient pour
en fortir, lorfque Henri de Ber gués, E v ê que
de Cambray , ayant oüi parler de lui
avec é loge, fouhaita l’emmener à Rome,
où il devoit aller. A cette fin , il écrivit
au Général des Chanoines Réguliers & au,
Prieur .de Ste in , pour avoir la permiflion
de fairë fortir E r a s m e de fon couvent,
êc de le faire venir dans fon Palais : ce
qu’il obtint. Notre Philofophe partit donc
pour Cambray, & fe fépara avec peine de
fon cher ami Guillaume Herman , qui de
fon côté fut extrêmement fenfible à fon
départ.
L ’Evêque de Cambray ne fit point le
voyage qu’il s’étoit propofé ; mais il ne
conferva pas. moins E R A s M e chez lui.
Notre Philofophe yauroit mené une vie
fort douce & allez agréable, fi elle eût été
moins ifolée & plus variée.
Cette folitude & cette uniformité lui
déplurent. Pour les faire celfer, il fit entendre
à l’Evêque qu’en attendant fon
voyage à Rome, il convenoit qu’il allat
à ‘Paris, afin de fe perfectionner dans les
fciences, & fuMout dans la Théologie ,.
S M E .
l’Ûniverfité & la Faculté de Théologie de
cette Capitale étant alors en très-grande
confidération. Henri de Bergues goûta ce
projet, & lui promit une penfion qu’il
ne paya pas.
Sur cette promefle , E r a s m e vint à
Paris en 14.96. I l defcendit au Collège
de Montaigu , où on lui avoit obtenu
une bourfe. I l y fut fi mal logé
& fi mal nourri, que fon tempérament en
fut altéré pour toute fa vie. L à , fans revenu
& fans bienfaiteur, il manquoit fouvent
du néceffaire. Dans une fituation fi fâ-
cheufe, il fe détermina à tirer parti de fes
connoiffances. I l donna des leçons de
littérature dans fa chambre ; & fes
inftruCtions furent fi goûtées , qu’il fut
bientôt accablé d’Ecoliers. E r a s m e ne
défîroit point s’enrichir : il ne cherchoit
qu’à retirer de quoi fubfifter. I l connoifc
foit trop le prix du temps pour le vendre,
lorfqu’il'pouvoits’en difpenfer. I l vouloir
jouir de lui-même, & réferver quelques
heures du jour pour fe livrer à fes études
particulières.
. Telle étoit la vie dure qu’il menoit au
Collège de Montaigu, lorfqu’un Gentilhomme
Anglois , nommé le Comte de
Monjoye, touché de ce qu’ un homme dè
ce mérite fût réduit à un état auffa trilley
n’oublia rien pour le déterminer à venir
demeurer chez lui. Ses politeffes & cette
manièrenobled’offrirquefaventemploye'r
les gens bien nés, le gagnèrent. 11 quitta
le Collège & alla chez le Comte, où il fut
reçu & traité avec beaucoup de magnificence
& d’honnêtetés. M. de Monjoye ta-
choit de prévenir fes goûts & fes befoins,
& E R A s m E de fon côté n’oublioit rien
pour lui marquer fa reeonnoifiance.' I l
faifoit même plus qu’il ne pouvoit ; car
fa fanté s’étant entièrement dérangée , il
fut contraint de quitter Paris pour retourner
à Cambray. I l efpéroit que le nouvel
air le remettroit : mais ce remede n’ayant
point opéré, M. Jacques Baltus , l’un de
fes amis, l’ invita à venir chez lui à Ber-,
gués. I l fe rendit à cette invitation^, & il
y recouvra la fanté. A cet avantage s’en
joignit un fécond : ce fut la connoiffance
de la Marquife de Wéere ( fille de Wolfard
E R A
de Borfille , Maréchal de France , & de
Charlote de Bourbon de Montpenfier ) qui
devint fa bienfaitrice. Les préfens que lui
fit cette Marquife , en confidération de
fon mérite, l’ayant mis en état de faire
quelque v o y a g e , il fe propofad’aller en
Hollande : mais le Comte de Monjoye,
qui ne l ’avoit pas perdu de vu e , l’ayant
engagé à paffer en Angleterre, il partit
d’A n v e rs , où il étoit alors, pour fe. rendre
à Oxfort , & de-là à Londres. I l y
féjourna peu de temps, quoiqu’il parût
très-content des connoifTances qu’il y avoit
faites. I l revint à Paris au bout d’un an ;
c ’étoit en 14.98. Il y trouva les in-r
commoditès qui l’avoient obligé d’en fortir.
I l tomba même dangereufement malade.
Revenu en fanté, il fit des réflexions
fur la foiblefTe de fon tempérament ; &
comme cela arrive ordinairement après
une grande maladie, ces réflexions le dégoûtèrent
de l’étude. C ’efl: ce qu’il nous
apprend dans une de fes lettres adreffée.
à fon ami Arnoldus. » Soyez perfuadé,
» dit-il, que le monde m’eft odieux, &
» que je renonce à mes efpérances.
' Les Gens de Lettres font comme les
Marins, qui jurent, dans le temps de l’orage
, de ne plus fe mettre en mer, .& qui fe
rembarquent de plus belle lorfque le temps
eft calme. E r a s m e n’eut pas plutôt repris
fes forces , qu’il oublia fa réfolution.
I l fongea à apprendre la langue grecque.
I l étudia ënfuite la Théologie Scholafti-
q u e , & il follicita avec beaucoup de vivacité
la Marquife de Véerede lui procurer
de quoi faire le voyage d’Italie, où il vouloir
aller prendre le bonnet de DoCteur.
: C ’eft une chofe étrange que la manière
dont E r a s m e parle dans cette occafion
de fa misère. C e dernier mot ne devoit
i* amais fortir de la bouche d’un homme de
-iëttres. C ’étoit acheter un grade trop
cher que de le payer à ce prix. Une belle
ame peut bien être foumife & modefte,
mais elle n’eft jamais ni fuppliante ni rampante.
En vérité E r a s m e quêtoit trop ;
& cette foiblefTe feroit une tache à fa v ie ,
fi l’éclat de fon mérite ne la faifoit difpa-
• roître.
Jufqu’à l ’âge de trente ans, notre th i-
5 M E. S
lofophe n’employa fon temps qu’à faire de
fréquens voyages à Londres, en Hollan-s
d e , à Paris ; à fe procurer des- connoiffances,
& à compofèr de petites pièces
de vers. Mais n’ayant point reçu de la
Marquife de Wéere ce qu’il fouhaitoit
pour fon voyage d’I ta lie , il réfolut de fe
procurer des bienfaiteurs par des hommages.
11 traduifit différens Traités de Lucien y
de Plutarque, deLibanius , à’ifocrate, de
Xenophon, &c. qu’il dédia à des Princes,
6 à des Seigneurs, dont il acquit ainfï la
protection. C es traductions lui firent beaucoup
d’honneur, & elles infpirerent dans
l ’Europe le goût de la littérature grecque :
époque infiniment glorieufe à la mémoire
d’ER AS ME.
Cependant notre Philofophe n’oublioif:
point le voyage d’Italie. C e voyage lut
tenoit au coeur. Auflî dès qu’il le vit en
état de l’entreprendre , il fe mit en chemin.
Jufqu’à ce temps , il avoit toujours
porté l’habit de Chanoine Régulier ,• ou
du moins un fcapulaire blanc qui en ter-
noit lieu : mais ce même fcapulaire , qui
étoit en exécration parmi le peuple de
Boulogne où il paffa, ayant failli lui c o û ter
la v ie , il obtint du Pape Jules 11 la
difpenfe de le porter. C e fut à cette occa.-
fion qu’il compofa une déclamation en
deux parties fur la vie religieufë , dans
laquelle il en difcutoit les avantages & les
défavantages. I l fe rendit ënfuite à V e -
nife, où il fit imprimer plufieurs ouvrages
, & entr’autres fes Adages,
Nous ne fuivrons point E r a s m e
dans tous tes voyages qu’il fit de Venife à
Rome, deRome à Londres, &c. qui n’offrent
rien d’intéreffant. Q u ’il me foit permis
feulement de remarquer que cet illustre
favant fe laiflbit trop emporter par la
fougue de fon imagination. Ilfèrepréfen-
toit trop vivement les avantages qu’on lui
promettoit, & il ne réfléchiffoit pas afïèz
fur le coeur des Grands, pour favoir qu’on
ne doit pas ajouter foi à leurs magnifiques
promeffes. Voilà pourquoi fa vie ne
fut qu’une fuite de courfes continuelles
jufqu’en 1921 qu’il alla fe fixer à Bâle.
• Ses protecteurs & fes amis voulurent
enfin lui procurer un état. On lui pra