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d’une autre manière, lorfqu^elles fe mouillent
les pieds. C’eft au Printemps qu on
doit commencer à laver les pieds; aux
enfans. On commencera d’abord par l’eau
tiède ; on fe fervira après d’eau; toujours.
plus froide ; & on continuera ainfi en Eté
comme en Hiver.
Les habits des enfans doivent être plutôt
larges qu’étroits , fur-tout autour de
la poitrine. Autrement cette, partie de
leur corps fe rétrécit ; leur haleine devient
courte & puante ; ils gagnent des maux^de
poulmon, 6c deviennent tout voûtés. C’eft
donc une mauvaife invention que celle des
corps de baleine qu’on met aux jeunes filles
pour rendre leur taille fine 6c déliee,
puifqu’ils ne fervent qu’à la leur gâter.
On ne doit nourrir les enfans qu’avec
des alimens communs de (impies. Peu de
fucre & de fel dans leurs mets, 6c point
d’épicerie. Du pain 6c quelque forte de
laitage ou de fromage à leur déjeuner ; de
la viande ordinaire & fans apprêt à leur dîner
& à leur fouper ; & du painfeul entre
les repas. Il faut varier l’heure de ces repas
tous les jours , & n’en fixer aucune ;
car fi l’appetit n’étoit pas fatisfait lorfqu il
fe fait fentir, les enfans deviendroient chagrins
& de mauvaife humeur , & leur
eftomac fouffriroit. Mais on ne doit pas
permettre qu’ils boivent (ans avoir mangé
; & il eft même important d attendre
qu’ils ayent mangé raifonnablement quand
ils font échauffés, avant que de les laiffer
boire. L’eau eft fans contredit la meilleure
boifton. Un peu de vin ne peut cependant
pas leur faire de mal ; mais la moindre liqueur
forte leur feroit très-préjudiciable.
Excepté les pêches 6c les melons , on
peut leur donner toutes fortes de fruits.
Quant au fommeil, laiffez-les dormir
tant qu’ils le demandent. Mais comme la
nature n’exige pas un fommeil de vingt-
quatre heures., accoutumez-les a fe lever
matin, parce que cette habitude,une fois
prife, ils;s’accoutument à dormir peu : ce
qui eft autant de gagné, pour la yie. S il fe
trouvoit cependant des enfans qui aimaf-
fent le fommeil, ne leur accordez que huit
heures., & éveillez-'les doucement fans
bruit pour ne pas les émouvoir. Leur lit
doit être tantôt haut tantôt bas à la tête
ou aux pieds, afin qu’ils s’accoutument à
dormir de toutes façons.
Enfin foyez attentifs à leur tenir le ventre
libre, pour faciliter le mouvement pé-
riftaltique des boyaux. Le temps le plus
convenable aux évacuations eft le matin ;
& on peut être alluré que les fecretions fe
font bien lorfqu’un enfant fatisfait à ce be-
foin de la nature dans ce temps-là. Afin
qu’il en contracte l’habitude, préfentez-
le tous les jours après fon déjeûner au lieu
convenable , crainte que (es jeux ne le
diftraient & n’empêchent quil n’y aille
lui-même,
II. Voilà pour le corps. Quant à l’ame,
on doit fonger à former de bonne heure
les moeurs. Une attention tres-importante
pour cela eft de ne point contenter les vaines
fantaifies des enfans ; parce que le principe
des vertus ô c du véritable mérite con-
fifte à vaincre fes propres defirs, lorfqu’ils
ne font pas autorifés par la raifon. Ainfi
lorfqu’on leur a refufé une fois quelque
chofe, il faut fe réfoudre à ne H point
accorder à leurs cris ou à leurs importunités
, à moins qu’on ne veuille leur
apprendre à devenir impatiens & chagrins.
Accoutumez-les à être fournis à votre
volonté. Tenez-les toujours dans le ref-
peét fans les humilier ; car l’humiliation
détruit la vivacité & l’induftrie, 6c flétrit
l’ame. C’eft pourquoi il ne faut les frapper
qu’à la dernière extrémité, & même
point du tout , fi cela fe peut, le châtiment
rendant le tempérament fervile. Le
moyen le plus propre pour les corriger
comme il faut, c’eft après leur avoir donné
une forte idée de la honte 6c de l’infamie
, de les méprifer 6c de les regarder
froidement lorfqu’ils font mal ; comme
la meilleure récompenfe qu’on puiffe leur
donner quand ils font bien , eft de les
carefler & de les louer , en leur failant
fentir le prix des éloges & des careffes. Au
refte, il faut leur permettre de s’amufer à
des jeux innocqns. < #
Lorfque le temps de leur inftruflion eft
venu , ne chargez point leur mémoire de
trop de préceptes. Donnez-leur des règles
(impies, 6c faites-les-leur réduire en
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pratique. Soyez polis devant eux, fi vous
voulez qu’ils le deviennent. Prenez garde
que les Domeftiques ne les gâtent.Et veillez
à ce qu’ils ne fréquentent pas de mau-
vaifes compagnies.Pour parer à cet inconvénient,
il feroit avantageux qu’un enfant
fût élevé dans la maifon de fon père, s’il
pouvoit le faire comme il faut.
Quand on inftruit les enfans, on doit ne
leur rien preferire (bus l’idée du devoir,
& avoir égard à leur humeur en les inftrui-
fant. C’eft encore une chofe importante à
obferver, que de ne pas les laiffer fans rien
faire. Ayez auflï attention de leur bien inculquer
dans l’efprit, qu’en commettant
de^,fautes, ils fe couvriront de confufion ;
fe rendront méprifables , & encourront
votre dilgrace. Lors même que vous les
châtiez, repréfentez-leur la honte du châ-
tinfyent, 6c non la douleur qu’il produit.
Souyenez - vous fur-tout de ne pas les
châtier dans l’inftant qu’ils ont commis
des fautes, mais quelque temps après les
leur avoir fait connoître, afin qu’ils n’attribuent
pas la peine que vous leur infligez
à une paflïon de votre part. Empêchez
qu’ils ne pleurent, & infpirez-leur du courage
, en leur faifant comprendre qu’en
toute occafion un homme doit fe poffe-
der tranquillement, & demeurer conftam-
mentdans fon devoir,de quelque mal qu’il
foit preffé, 6c à quelque danger qu’il foit
expofé.
Il eft inutile de dire qu’on doit infpirer
aux enfans l’amour de toutes les vertus,
comme la charité a l’humanité , la mo-
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deftie, 6c c , Mais on ne faufoït trop répéter
qu’il faut les corriger principalement
de l’opiniâtreté, qui eft le plus grand de
tous les vices.
Dès qu’un enfant fait parler, apprenez-
lui a lire 6c a écrire. Dans fes études fixez
fon élprit à ce qu’il apprend , 6c détour-
nez-le adroitement de toute autre penfée,
afin qu’il conçoive avec plus de facilité, &
qu’il falfe plus d’attention à ce que vous
lui dites. C’eft ici le grand art de l’inftruc-
tion, lequel confifte à rendre l’efprit de fon
Ecolier attentif. Si l’on y parvient , on
peut être affuré qu’il fera de grands progrès.
Faites-lui entendre que vous n’avez
d’autre vue que fon bien, en lui preferi vant
le plan de fes études. Attachez-vous par-
deîfus toutes chofes à ce plan. Dans l’Hif-
toire il faut fuivre l’ordre des temps ; dans
la Phiiofophie celui de la nature', 6c c .
Quel que foit le fujetdes travaux de votre
Ecolier , accoutumez-le à fe former des
idées claires 6c diftiriétes de tous les objets
ou l’efprit peut découvrir quelque
différence réelle, 6c à éviter en même
temps avec autant de foin les diftin&ions
purement verbales, par-tout où il n’a point
d’idées qui foi eut clairement 6c réellement
diftinétes.
Enfin faites réfléchir les enfans ; meublez
leur mémoire des plus beaux paffa-
gesdes meilleurs Auteurs; 6c obligez-les
à revenir fouvent fur leurs propres penfées.
C’eft-là le meilleur moyen de former le
jugement, d’où dépendent prefque toutes
les vertus morales.