' Une caufe que je connois, dit
ce Reftaurateur des Sciences, produit
tels effets. Je ne connois point
la caufe que je cherche dans le fyftême
du monde. Les effets feuls font
fournis à mes lumières ; & ces effets
s’accordent parfaitement avec ceux
que donne la caufe que je fuppofe.
Conclue^ : puifque les effets font
les mêmes, la caufe doit être la
même.
Les forces dont il s’agit, font
la force centripète, qui tend fans ceffe
à faire tomber les Affres fur le Soleil,
laquelle eft produite par l’attraction
du Soleil même. L ’autre eft
la force centrifuge, qui les retient
dans leur orbite, en contrebalançant
la force centripète ou la force
attraêfive. Et ces deux forces com-
binées, fuivant les principes de la
Mécanique, font mouvoir lés Affres
autour du Soleil avec les mêmes
variations qu’on obferve dans leurs
mouvemens.
Quand qn CQnfidere cet accord
merveilleux, on eft faifi de l’admiration
la plus profonde. Newton pa-
roît là un confident du Créateur.
Tant de connoilfances mjfes en oeuvre
fi heureufement, femblent franchir
les bornes de l’intelligence humaine.
Auffi lorfque M. le Marquis
de Lhûpital vit çe ttayail de Newton
, il en fut fi étonné, qu’il derqan-
doit a tous les Anglois qu’il rencon»
troit en France : Newton boit-il,
mange-t-il, dort-il de même que les
autres hommes ? Je rpe le repréfente.
ajoutoit-il, comme un être d une
efpéce différente de la nature humaine
, & qui n’elt point affujetti
à ces befoins humilians.
Cependant, malgré cette harmonie
fi admirable, qui fait le mérite
de l’ouvrage de Newton, les fuppo-
fitions d’une attraêfion & d’une force
centrifuge reviennent toujours. On
demande, qu’eft-ce que cette attraction
? une qualité oççulte que nous
ne connoiffons pas? Newton , le
grand Newton répofld à cela avec
une fîmplicité bien conforme à la
beauté de fon génie : je n’en fais
rien. Ce que j’appelle attraffion ,
appellez-le impulfion, fi vous voulez
: mon fyffême ne s’en foutien-
dra pas moins. Je n’ai jamais pré-,
tendu, continue ce grand homme,.
connoître abfclument la caufe du
mouvement des corps çéleftes, mais -
foumettre à des loix des effets bien
connus. Tant que les effets ne démentiront
point mon explication ,
mes fuppofitions ont tous les caractères
de la vérité.
Il faut avouer qu’il n’y a pas de
réplique à faire à cette réponfe.
Newton conviendra encore, fi l’on
veut, que quiconque pourra alfu-
jettir le mouvement des corps célef-
tes à des loix, fans fuppofer une gravitation
, aura découvert la véritable
théoriç du monde. Ainfi on fera
bien reçu à faire évanouir les fuppofitions
qui font la bafe du fyftême
de Newton. S’il s’agiffoit de juger
içi à la rigueur le fond de ce fyftême?
on
on pourrait ajouter qu’on ne rend
point encore raifon de tous les mouvemens
des corps çéleftes.
En effet, pourquoi les Planètes
fe meuvent-elles d’Occident en
Orient? Après bien des efforts pour
refoudre ce problème, Newton convient
qu’il eft infoluble. Il regarde
ce mouvement régulier des Planètes
comme un miracle (a)..
En fécond lieu, pourquoi les Planètes
décrivent - elles une ellipfe
plutôt que toute autre courbe ? C’.eft
quelles font projetées, dit-on,.fui:»
vant deux forces, une qui eft uniforme
, & l’autre qui varie en raifon
inverfe du quarré des diftances des
Planètes au Soleil. Mais cette réponfe
ne fignifie autre chofe, fi ce
n’eft qu’elles décrivent une ellipfe,
parce quelles décrivent une ellipfe.
Car elles décrivent une ellipfe, parce
que les deux forces auxquelles
elles font en proie fe combinent,
comme l’on vient de voir ; & elles
font en proie à ces deux forces, parce
qu’elles décrivent une ellipfe. La
réponfe fe réduit là précifément ; &
comme l’on dit en Logique , n’eft
autre chofe qu’un cerclé vicieux.
On tâche encore inutilement dans
le fyftême de Newton, d’expliquer
la rotation des Planètes fur leur
axe (ê), & l’incfinaifon des plans de
leur orbite par rapport à l’équateur,
[a] Hi motus reguläres Planetarum (dit-il )
or.iginejn nonhabent ex caujis mecq.nicis. Philofo-
Ces dernieres difficultés portent
direêtement contre ce fyftême. Les
autres ne touchent que fa généralité.
Et tout ce qu’on pourrait en
conclure , c’eft que Newton n’a
point donné une Théorie complette
du mouvement abfolu des corps cè-
leftes, mais qu’il a rendu feulement
raifon de leurs mouvemens principaux,
en fuppofant la matière douée
de la propriété d’attraâion.
En fe bornant là , ce grand homme
a cru remplir la tâche qu’il étoit
permis à un mortel de fe preferire.
Voilà pourquoi il n’a point cherché,
ainfi que Defcartes, à être fpeêlateur
de la création de l’Univers. Il a
peut-être regardé cette entreprife
comme étrangère au fond de la
queftion. La chute de Defcartes l’en
a fans doute dégoûté. Il lui a paru
qu’il y avoit trop de vanité à vouloir
faire un monde ; parlons plus exactement
, à rechercher l’origine des
mouvemens des corps çéleftes. Mais
Newton a bien pu fe tromper. Que
fait-on fi, en fuivant l’exemple du
PhilofopheFrançois, il n’eût point
fauvé de fon fyftême la fuppofition
d’une attraction ou gravitation uni-
verfelle, & s’il n’eût pas trouvé par
ce moyen la caufe même de la gravitation
?
Ceci pourrait fe juftifier par la
Conduite toute oppofée qu’a tenue
[£] Il faut voir là—defTiis un beau Mémoire de
M. de Mairan, dans les Mémoires de l’Académie
Royale desSciençes de 1710,