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G A S S E N D I . *
O U o i q u e Ramus 8c Bacon t uflent
_.décrié la Philofophie à’Ariflote, qui
formoit le plus grand obftacle aû progrès
des cônnoiflances humaines ,o n étoit cependant
fi fort prévenu en faveur de cet
ancien Philofophe, qu’il fallut que le troi-
fiénle Reftaurateur des Sciences commençât
par defiillerles yeux des Savans à cet
égard. Le but de la Philofophie eft, dit-il,
de connoître la vérité, d’où naît la véritable
félicité de l’homme. Mais ne fe propo-
fer d’autre fin dans-cette étude que le plai-
fir de difputerj abandonner le fond des
chofes pour ne s’attacher qu’à de pures
chimères ; répandre de propos délibéré
"beaucoup d’obfcurité dans le raifonne-
ment ; fe défier de foi-même par une lâche
pufillanimité, ou par une opinion trop
avantageufe d’un Philofophe ; croire que
Dieu ait voulu fe fèrvir d’un homme plutôt
que d’un autre pour éclairer le genre
humain, c’eft s’interdire tous les moyens
de connoître la vérité , & vouloir croupir
dans l’ignorance la plus profonde. Voilà
pourtant quelle étoit la méthode des Arif-
totéliciens , qui jouiftoient d’une faveur
fignalée 8c d’une autorité prefque defpo-
tique dans les Ecoles. Le fuccefieur de
Bacon vit à peine la lumière, qu’il fongea
à fecouer le joug de ces Scholaftiques ; &
-cette noble hardiefie produifit les plus
grands avantages.
Çet homme naquit le 22 Janvier de Pan
Ip p 2 à Chanterfier, petit Village de Provence
, dans le Diocèfe de Digne. Son
pere s’appeloit Antoine Gajfendi 8c fa mere
Françoife Fabrÿ. C ’étoientd’nonnêtesgens,
plus distingués par la probité 8c la douceur
de leurs moeurs, que par leur nàiflance 8c
leur état. Ils nommèrent leur fils Pierre
Gaßend, que les Savans ont changé en celui
de G a s s e n d i , fous lequel il eft aujourd’hui
connu. C ’eft une chofe remarquable
que les grands hommes percent dès leur
plus tendre jeunefle. G a s s e n d i pouvoir
à peine parler, qu’il faififîoit tout ce qu’il
entendoit, & y ajoutait des chofes qu’il
imaginoit lui-même. A l’âge de quatre ans,
il déclamoit de petits fermons. Des objets
plus importans l’affrétèrent à mefure
qu il augmentoit en âge. Le fpeétacle de la
Nature faifoit de fortes impreflions fur lui.
I l étoit fur-tout fenfible à la magnificence
d’un Ciel étoilé. Quoiqu’il n’eût que fept
ans, il éprouvoit un charme fecret dans la
contemplation des affres, 8c il facrifioit, à
l ’infçu de fes parens, fon fommeil à cette
douce fatisfaétion. Un foir, étant avec fes
camarades, il s’éleva entr’eux une difpute
fiir le mouvement de la Lune 8c celui des
nuages. Ses amis vouloient que les nuages
fuffent immobiles, 8cque la Lunemarchât;
lui foutenoit au contraire que la Lune n’a-
voit point de mouvement fenfible, 8c que
c ’étoient les nuages qui fe mouvoient avec
tant de promptitude. Ses raiforts n’opére-
rent rien fur l’efprit de ces enfans, qui
croyaient devoir s’en rapporter plutôt à
leurs yeux qu’à ce qu’on leur difoit. Il fal-
loit donc les détromper par les yeux même.
A cette fin, il les mena fous un arbre, &
leur fit obferver que la Lune paroifîbit
entre les mêmes feuilles, tandis que les
nuages fè déroboient à leur vue.
Des difpofitions fi heureufes firent une
imprefiîon fi vive fur fon pere, qu’il r-éfo-
lut de les cultiver. I l en parla à fon C u r é ,
8c ce Pafteur fe chargea de lui apprendre les
premiers élémens des Lettres. C ’étoit la
nourriture que demandoit l’efprit du jeune
* De vita, & moribus Petri GASSENDI, auto re Sa-
■ enuelc Sorberio. Elogium Petri GaSSENDI , aittore Abrah.
Prat, &c. Oraifon funebre du Philofophc Chretien Pierre
Gaflendi, par Nicolas Taxil. Preface de VAbrege de la
ePbtloJopbie de Gajfendi , pax M. Bernier. Vie de Pierre
Gajfendi [ par le P. Bougerel ]. Lettre critique & hijlor
rique à l’Auteur de la Vie de Pierre Gajfendi . L par JVL de
Lavarde ]• Les Hommes illujlres de Perrault. Scs Lettre*
Sc fes aunes Ouvrages.
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