C L A R K E . *
CE feroit une chofebien avantageuse
pour la Philofophie, fi tous les Phi-
lofophes reffembloient au Métaphyficien
dont je vais écrire l’Hiftoire. La nature
l’avoit favorifé d’une pénétration , d’un
jugement exquis, & d’une mémoire pro-
digieufe ; & il avoit fécondé ces belles qualités
par une confiante application à l’étude
, & par une piété exemplaire. Il étoit
doux, agréable, modefte, obligeant, fans
aucune paffion, proprement dite > & fans
vanité.
Heureux ceux qui ont pu jouir de fa
fociété ! C’eft un bonheur que peu de per-
fonnes ont eu, & de la perte duquel on ne
peut être dédommagé que par la lefture
de fes actions âc de fes Ouvrages. Je vais
faire connoître les unes d’après les Mémoires
les plus authentiques, 6 c je tâcherai
d’analyfer les autres avec la plus grande
attention : je dis avec la plus grande attention
, parce qu’il s’agit ici principalement
duffujet le plus important & le plus
difficile qu’on ait encore traité : c’eft i’e-
xiftence & les attributs de Dieu. Il falloir
autant de fageffe que de fagacité pour toucher
à cette matière ; & on peut dire qu’il
y a eu très-peu delVJétaphyficiens qui aient
réuni ces deux avantages à un dégré fi
éminent que S am u e l C l a r k e , né a
Norwich le 11 d’Oftobre 1675* > d’Edward
C la r k e , Ecuyer & Alderman ,
c’eft-à-dire Echevih de cette Ville , &
à 1 A n n e P a rm e n te r , fille d’un Négociant
du même endroit. Dès fa plus tendre jeu-
neffe C l a r k e fit voir ce qu’il devoit
être un jour. Les premières fenfations formèrent
en lui de véritables connoilfances
qui fe développoient à mefure que fes
organes fe fortifioient, Il combinoit des
chofes différentes dans un âge où les
* Sermons du Dolieur Clarke, tonfenant diver fes particularités
de fa vie , par Benjamin Hoadley , Evêque (te Salisbury.
Mémoires Hi/loriques du Dolieur Clarke , par
Wijlbon. Eloge du DoSeur Clarke, par Eloge
bons efprits ont de la peine à les faifir fé-
parément. On s’en appercevoit, & ce n’é-
toit point fans admiration. Ses parens Ce
plaifoient à lui faire des queftions auxquelles
il répondoit avec une jufteffe fur-
prenante. On lui demanda un jour fi Dieu
pouvoit faire tout ? il répondit oui. Il peut
donc mentir, lui dit-on ? de il répliqua non.
Il étoit trop jeune pour comprendre pourquoi
Dieu ne peut pas mentir ; mais il
concevoit que la queftion fuppofoit que
c’étoit la feule chofe que Dieu ne pouvoit
pas faire. On lui fit d’autres queftions fur le
mçme fujet ; & il raifonna toujours comme
uri prodige, fans jamais ofer affirmer qu’il
y eût quelqu’autre chofe que Dieu ne pût
pas faire. Il foutenoit pourtant que cet
Etre fuprême ne pouvoit point anéantir
l’efpace de la chambre dans laquelle ils
étoient : fentiment très-hardi & très-mé-
taphyfique , & qui fuppofoit dans cette
jeune tête une organifation bien différente
de celle des autres hommes.
Ses parens ne manquèrent pas de cultiver
des difpofitionsauffi heureufes. Ils lui
firent faire fes premières études dans l’Ecole
publique de Norwich, & on l’envoya
en fuite au Collège de Caïus dans l’Univer-
fité de Cambridge. Il avoit alors 1 6 ans.
On lui enfeigna dans ce Collège la Philofophie
de D e fc a r t e s . C’étoit dans la Phy-
fique de M. R o h a u l t qu’on puifoit cette
Philofophie. Elle étoit traduite en très-
mauvais Latin , parce qu’on s’y étoit plus
attaché aux chofes qu’à la manière de les
dire. Cependant on fentoit que la doélrine
qui y eft contenue feroit d’une plus grande
utilité , fi elle étoit exprimée en meilleurs
termes : mais perfonne n’avoit ofé entreprendre
ce travail. Quoique C l a r k e
fût Ecolier, on s’apperçut bientôt que fi
de C lark e dans le troidéme Tqme des Traités de
Pexijlence & des attributs de Dieu, &c. Diltionnaire Hif-
torique & Critique de M. Chauffepié, ait. Clarke.
quelqu’un