par lu i, ou autorifé par les Peres & les
plus grands Docteurs de l’Eglife.
Pendant cette controverfe, notre Philo
fophe compofa trois Ouvrages théologiques.
L e premier parut en 1 7 2 y , fous
le titre de Conduite d’une Dame chrétienne
pour vivre faintement dans le monde; le
fécond en 1 7 2 7 , fous celui de Réfutation
d’un Ecrit, où Von tâche de jujlifier
Vufure ; & le troifiéme qu’il publia la
même année , eft intitulé : DiJJèrtation
théologique & dogmatique fur les exorcif-
mes & les autres cérémonies du baptême.
I l fe difpofoit à en mettre plufîeurs autres
au jour ; mais il effuya des perfécutions
qui troublèrent fa tranquillité, & empoi-
fonnerent le relie de fes jours. Les médians
ne font point gens d’efprit ; mais
ils connoiffent l’art de calomnier, de tourmenter
, & de perdre même un homme.
D u G U e t éprouva toute la rigueur de
leurs plus mauvais traitemens. I l fut fou-
vent obligé de changer de demeure & de
pays. On le vit fucceffivement en Hollande
, à T ro y e s , à Paris , & à différens
autres lieux ; «5c il conferva toujours le
même efprit de douceur & de modération
, la même foumiflîon aux ordres de
la Providence , la même beauté de génie.
Son corps fouffroit plus que fon ame de
tous fes mouvemens. Toutes ces fatigues
l ’affoiblirent, & fes forces furent abfolu-
ment diffipées en 1 7 3 3. I l mourut à Paris
d’épuifement plus encore que de vieilleftè,
le Bimanche 25- Oétobrede cette année,
âgé de 8 3 ans, & fut inhumé le 2 7 en
l ’Eglife S. Médard. Son cercueil eft à
côté de celui de M. Nicole. On y lit ces
paroles gravées fur une plaque de plomb :
Ici efl le corps de Jacques-J ofeph D u GU ET,
Prêtre du Diocèfe de Lyon , né à Mont-
brifbn le IX Décembre M. D C . X L IX .
mort à Paris Ik X X V OBobre M. D C C .
X X X I I I .
On trouva parmi fês papiers quelques
Ouvrages , que fes amis firent imprimer.
C e font des Traités théologîques, dont
les uns ont pour objet l’explication des
vingt-cinq premiers chapitres d’Ifaïe &
du livre des Rois ; les autres , les principes
de la foi chrétienne , le Sacrement
de l’Euchariftie , &c. Mais la découverte
la plus précieufe qu’on fit dans les recherches
de fes papiers, ce fut le Traité
abfolument fini de l’inftitution d’un
Prince. C e Traité a été imprimé en
1 7 4 0 , «5c il a reçu les plus grands applau-
diffemens. Jamais la politique n’a été
traitée avec tant de grandeur , de no-
bleffe <5c de folidité. L ’Auteur donne les
plus beaux principes pour former un gouvernement
fiable & heureux , ôc pour
rendre un Prince parfait. Son ftyle eft
pur, v i f , naturel <5c toujours foutenu ; les
expreffions riches ôc fouvent fublimes. En
un m o t, c’eft une des plus belles productions
qui ait paru depuis la renaiffance des
Lettres. On pourra en juger par l’analyfe
fuivante.
Principes de D u G V E T fur Vart de
gouverner les hommes■.
L e plus grand bonheur qui puiffe arriver
aux hommes ôc aux Empires, eft
d’être gouvernés par dés Princes , qui
joignent à une folide piété beaucoup de
prudence, & une grande capacité pour
les conduire, (a) Un Prince véritablement
digne de commander, eft un des
plus précieux préfens que le Ciel puifie
faire à la terre, (è) L a nature en le douant
d’un heureux caraétere Ôc de ces qualités
rares , dont elle favorife quelques mortels
, ne fuffit pas pour le former. I l faut
encore qu’une éducation excellente perfectionne
fes difpofitions. Les Princes
font rarement inftruits de leurs devoirs >
ôc les premières teintures d’une bonne
éducation font bientôt effacées. Ils fe
livrent au plaifir de régner , fans s’informer
des juftes bornes de leur autorité.
(a) Ilh autan qui ver* fiente fraditi beste vivant, f i (b) Nullum eft.frafiabilius & fulthrius T>ei munui erg*
habet feientiam regendi fofulos , nihil eft felicius rebus hu- mondes quam caftsss & Jantlus & Dio JimlUmus Srmecft.
iKcnii a:idm fi Deo mi fermste habeatst foufiatem. S, A li- Hin. Paneg. T raj.
^l’.fîiu , De Civitatc Dei., L. V- C . ip . -
L ’orgueil, qui eft le venin fecret de la
fouveraine puiffance, les porte à ne plus
demander confeil ou à ne le plus fuivre.
I ls reçoivent fans précaution les erreurs
de ceux qui les flattent. Ils deviennent in-
différens pour la vérité ou même fes ennemis.
Ils s’accoutument à confondre la
raifon ôc la juftice avec leurs volontés. Ils
s’amolliffent par les délices , ôc ils abandonnent
à d’autres le poids de l’Etat &
des affaires. Ils fe bornent aux feules
chofes , qui ne demandent ni application
ni travail. Ils ne veulent être inftruits
que de ce qui ne trouble point leur repos*
I ls croient que tout eft bien gouverné,
parce que tout ce qui les environne n’offre
à leurs yeux qu’une image d’abondance
ôc de félicité. Ils penfent que tout leur eft
dû , & que léàr magnificence ôc leur
gloire font la fin de tout. Ils fe nourrif-
fent des refpeéls exceflifs de ceux qui font
comme en adoration devant eux. Ils fub-
ftituent l’éclat <5c la pompe de la royauté
à ce qu’elle a de véritable ôc de folide
grandeur. Ils fuccombent ainfi fous la
majefté de l’augufte place qu’ils occupent
, dont ils n’ont que l ’appareil ôc la
repréfentation , fans en avoir le fonds ôc
la vérité. Ils vivent «& meurent fans con-
noître ni l’origine de leur pouvoir , ni
fon üfage légitime, ni le compte qu’ils en
doivent rendre. Ils font toute leur vie
étrangers à leur propre Etat ôc à leurs
Peuples, dont ils ont ignoré les befoins,
négligé le bonheur, méprifé lesgémiffe-
mens ; <5c pour ne s’être occupés que'
d’eux-mêmes <5c de leurs intérêts , ils ont
toujours oublié ce qu’ils dévoient être.
Cependant quand le Souverain compare
fon élévation «5c fa grandeur avec lui-
même, qu’il examine ce qu’elle a de réel
par rapport à lu i , il découvre ailement
que cette grandeur lui eft étrangère, c’eft-
à-dire, qu’il n’en eft pas la fource, qu’elle
lui eft feulement prêtée, ôc qu’elle lui eft
comme appliquée par le dehors , fans
pouvoir jamais lui appartenir en propre ;
parce que la fouveraineté dans fa fource,
n’appartient qu’à Dieu fe u l, qui eft efler.-
tiellement le Seigneur du Ciel ôc de la
T e r r e ,& q u i ne peut céder à un autre
fon droit qu’en lui cédant la gloire de la
divinité Ôc le privilège de la création : ce
qui eft impoflîble.
Ainfi le Prince fe trouve également
fournis à Dieu avec tout le refte des
hommes. I l eft comme le moindre d’en-
tr’eux dépendant en tout de fon extrême
puiffance; ôc il éprouve qu’il demeure
abfolument le même par rapport à fon
être intérieur ôc véritable , quoiqu’il ait
fur les autres une autorité qui ne convient
qu’à lui feul. Né avec les mêmes
foibleffes qu’e u x , il a eu dès fon enfance
befoin des mêmes foïns , ôc il aura une
fin commune. L a fouveraineté ne donne
par elle-même aucun avantage perfonnel
d’efprit ou de corps. Elle n’eft point, cette
fouveraineté, la même chofe que le mérite.
Elle n’eft point inféparable de la fa-
geffe & de la vertu : elle n’eft le remede
d’aucun défaut : elle fert au contraire
fouvent à les multiplier ôc à les rendre
publics. E t la grandeur , qui éleve le
Souverain au-deffusdes hommes, le laiffe
quelquefois fort au-deffous.de plufîeurs
de fes fujets , s’il n’eft élevé que par fa
place, Ôc s’il n’eft grand que par fon pouvoir.
En vérité c’eft une chofe honteufe
ôc qui tient du prodige , qu’on foit le
premier par le rang ôc après beaucoup
d’autres par le mérite ; (a) car l’ordre
naturel demande que ces deux fortes de
prééminences foient unies, ôc que la tête
qui domine au refte du corps foit le fiége
de la raifon. Cela n’empêche pas que
prefque tous les Souverains de ce qu’ils
font R o is , concluent qu’ils méritent de
l’être, ôc qu’aucun de leurs fujets ne peut
être plus fage qu’eux , puifqu’ils leur font
tous fournis. Mais s’ils connoiffoient leurs
devoirs & les dangers auxquels ils font
expofés, ils conviendroient qu’il eft plus
difficile d’être homme de mérite dans leur
état que dans celui de leurs moindres fu-
jets. Je dis plus : Une perfonne qui fe-
(«) Monftruofa res, dit S. Bernard , grains fitmmus & aoimus infimtu. De. conilder. L L II. C.