3 , T ou t cela pofé , il eft queftion de
favoir fi un homme peut toujours agir
conformément à la vérité , lorfqu’il la
découvre ou qu’il la connoît. Voici quels
font fes devoirs là-deiïus.
Premièrement, plus un homme manque
de pouvoir 8c d’occafîons pour faire
une ch o fe , plus il eft incapable d’être
obligé à la faire ; ce qui lignifie qu’aucun
homme n’eft obligé de faire ce qu’il
n’a ni le pouvoir , ni les occafîons de
faire.
En fécond lieu , nos obligations doivent
être proportionnées à nos facultés,
au pouvoir , 6c aux occafîons que nous
avons d’agir.
Enfin, on doit s’efforcer de fuivrela
raifon , de ne contredire aucune vérité
de parole ni d’aétion , & de traiter en
un mot chaque chofe comme étant ce
qu’elle eft.
Tels font les devoirs d’un Etre raifon-
nable : tel eft lefommaire de fa Religion,
dont il ne peut , fous aucun prétexte,
omettre la pratique ; car chacun peut s’efforcer
, chacun peut faire ce qu’il peut ;
mais pour faire véritablement tout ce
qu’on p eu t, on doit s’y prendre férieufe-
ment 6c de bon coeur, fans étouffer la
voix de fa confcience, fans déguifer, fans
diminuer, fans négligerfesforces. Quant
à la conduite que nous devons tenir envers
Dieu ( dont l’exiftence eft fuffifam-
ment démontrée (a) ) elle eft comprife
dans ces maximes.
i° . N e repréfentez Jamais Dieu paf
quelque image ou peinture que ce puifle
ê t r e , parce que ce feroit nier fon incor-
poréité 6c l’incompréhenfîbilité de là
nature, ( C eci ne regarde que la Religion
naturelle. )
2°. Lorfque vous parlez de D ie u , ne
vous fervez que des exprelïions les plus
fubümes : ou ce qui revient au même,
efforcez-vous à penfer & à parler de Dieu
de la maniéré la plus refpe&ueufe 6c la
plus propre dont vous foyez capables de
vous fervir.
3°. Adorez Dieu de la maniéré la plus
convenable 6c la meilleure dont vous
foyez capable; c’eft-à-dire , avouez par
quelque a&e folemnel , convenable 6c
diftinét de vos autres aé les, que Dieu
eft ce qu’il e f t , 6c que vous êtes ce que
vous êtes, en y joignant des actions de
grâces de ce dont vous jouiflez, 6c des
prières pour obtenir ce qu’il fait nous
convenir. ( b )
4,0. Enfin pour réduire efficacement le
culte en pratique , confidérez férieufe-
ment combien puiflant eft l ’Etre qui en
formant l’homme l’a mis dans l’obligation
d’être gouverné par la nature , &
qui lui a donné pour loi le dictamen de
la droite raifon.
4 . Tous ces préceptes ne regardent
que l’homme fe u l, fans compagnie. En
fociété , il contracte d’autres devoirs,
parce qu’il ne v it pas uniquement pour
fo i, mais pour les autres hommes, comme
■ (<t) W o lla sto n prouve l’exiftence & les attributs
de Dieu par des argumens très-convaincans ; niais
M. Clarke a donné là-deiTus des démonftrations fi
complèttes, que je ne crois pas qu’on puifie rien
dire de mieux. Je renvoie donc le Lefteur curieux
de s’inftruire fur cette matière, au fyftême de Clarke,
que j*ai expofé dans le premier volume de cette
Hiftoire des Philofophes modernes.
{b) Voici une formule de priere , qui pourra faire
plaifir au Lefteur , & que W o l l a s t o n a donnée
dans la cinquième fection de fon Ebauche de la
Religion naturelle.
I Je m’adreffe à l’Etre fuprême & tout pyiffant,
duquel dépend l'exiftence du monde, & par la tendre
providence duquel j’ai été confervé jufqu’ à ce
moment', & j’ai joui de plufieurs grands avantages
dont je fuis indigne , poux le prier de daigner .accepter
les fentiroens de ma reconnoilfance, & le tribut
de mes âftions de grâces de toutes fes bontés
envers moi > de me délivrer des mauyaifes fuites de
mes défobéiflances & de ma folie paffée ; de m«
mettre en é tat, & de me donner la force de triompher
innocemment de toutes mes épreuves à venir ;
de me rendre capable de me comporter dans toutes
fortes d’occafions, conformément à la raifon , à la
fageffe & à la piété : qu’il ne fouffre point qu’on me
faue aucun tort ; qu’aucun fâcheux accident m’arrive
, ni que je me nuife à moi-même par mes éga-
rcmens ou par ma mauvaife conduite. ( Je le prie
encore ) de vouloir bien me communiquer des notions
claires & diftinftes des chofes j de me donner
la fanté & la profpérité qui me font néceffaires,
pour paffer ma vie en paix , en contentement, en
tranquillité d’efprit 5 & qu’après avoir fait fidèlement
mon devoir envers mes amis 8c ma famille ,
après m’être efforcé de me perfeftionner, de me
former -des habitudes vertueufes , 8c d’acquérir des
connoiffances utiles , de m’accorder une mort honorable
& douce , 8c de me faire paffer pnfin à une
meilleure vie. ]
ceux-cî vivent pour lui. I l eft donc obligé
envers eux , 6c cette obligation qui renferme
d’autres notions du bien 6c du mal
moral, eft d’autant plus indifpenfable,
qu’il eft impoffible qu’un homme puifle
mener une vie abfolument privée, comme
on va le voir.
L ’homme eft un animal fociable. I l
n’eft pas poffible à un feul homme de
faire 6c d’acquérir par fon travail 6c par
fon induftrie, tout ce qui eft néceflaire
pour conferver fa v ie , ou pour la rendre
du moins tant foit peu commode & dé-
fîrablè. L a nourriture, les habits, le lo gement
, les meubles, dont on ne peut fe
pafîer , 6c quelques remèdes abfolument
néceflaires , fuppofent plufieurs arts, plufieurs
métiers 6c plufieurs ouvriers.Quand
même l’homme, lorfqu’il jouit d’une parfaite
fanté , pourroit vivre comme un
fauvage, fous les arbres 6c dans les rochers
, & fe nourrir des fruits, des herbes
, des racines 6c autres chofes fembla-
bles que la terre lui fourniroit, il feroit
cependant dans l’impuiflànce de le faire
dans fes maladies 6c dans fa v ieillefle,
puifqu’il eft alors d’état de fe remuer 6c
de fe procurer fes befoins.
I l faut donc à l’homme une fociété. L a
compagnie de la femme eft la première
que la nature lui a deftinée , 6c qu’elle
lui a rendu même néceflaire. De cette
union viennent des enfans, 6c ces enfans
forment une famille. Mais cette famille
ne feroit-elle pas fuffifante pour former
une fociété, pour pourvoir a fes befoins ?
On peut fuppofer qu’elle feroit en état
de fe fecourir, & que les membres qui la
compofent fourniroient réciproquement
aux befoins, extérieurs. E t ceux de l’ef-
prit comment les procureroit-on ? Les
fciences 6c les arts, fi néeefîàires à l’hojn-
me pour s’inftruire , pour faire ufage de
fes facultés , pour développer fa raifon ,
ne font pas la production d’une feule famille
, allez occupée d’ailleurs à veiller
à la confervation du corps. C ’eft l’ouvrage
de plufieurs familles. I l eft donc
convenable que ces familles fe lient en-
femole pour fe communiquer leurs con-
noifiànces. C ar il eft abfolument contraire
à l ’idée d’ün être formé pour exercer fon
efprit par des occupations dignes de lu i,
que de paffer fon temps à travailler lâns
ceffe à faire circuler fon fang & fes
humeurs, fans fe propofer de plus nobles
fins, & faits prendre foin de la plus excellente
partie de" lui-même.
O r fi les hommes fe communiquent &
forment une fociété , ils font contraints-
de former des lo ix , qui règlent mutuellement
leur conduite , qui les mettent
dans un certain dégré d’uniformité , &
qui coupent court aux violences & aux
crimes, lefquels rendraient incompatible-
la maniéré de vivre particulière à chaque
individu. I l doit donc y avoir des. ré-
glemens, qui fixent expreffément 8c d’un
commun accord, & la poffeffion des cho>
fes , & les titres de cetre poffeffion, afin-
qu’on puiffe y avoir recours quand il s’élève
quelque difpute & quelque alterca-
tion : ce qui ne peut qu’arriver fouvent
dans un monde auffi déraifonnable & auffi:
enclin au mal que l ’eft celui où nous vi_
vons. De forte qu’en appliquant une réglé
générale & hors de toute eontefta-
rion, onfe met en état de découvrir duquel
côté eft le tort, de décideréquitable-
ment le c a s , &; de fermer pour toujours'
la bouche a tous les ennemis de la paix.
D e plu s, afin d’aftùrerà chacun les-
douceurs de la vie & la poffeffion de ce-
qui lui appartient, on eft obligé de pren-:
dre les précautions necefîaires pour prévenir
les invafions du dehors, & ftatuer sa-'
dedans contre les membres qui commettraient
quelque crime, des peines capables
de les tenir en crainte, & de les empêcher
.de les encourir. Ces réglemens&.
ces ftatuts étant une fois faits avec impartialité
, reçus unanimement & publiés;
par-tout, font les fondemens de l’union
de la fociété & les loix qui la gouvernent.
Mais pour établir ces loix conformément
a la nature humaine', St pàu
confequent a la vérité , il faut concoure-
le bien & le mal. moral, relativement1 à;
là fociétéi .-
y . T o u t ce' qui eft contraire'à lapaix-:
générale & au bien public, eft'contraire:
aux. loix. de la; nature Humaine ih efte