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infenfible tel que le corps ; car une
idée ùe peut reffembler qu’à une autre
idée : par cônféquent ce qu e nos
idées nous repréfentent ne peut pas
éxifter dans un autre corps , mais
dans un autre efprit. Et la raifon de
cela eft, qu’un corps incapable d’agir
, ne peut êt(e la caufe d’aucun
effet. D’où M. Berkeley conclut,
qu’il n'y a qù’un efprit qui foit capable
d’avoir lui-même des idées ,
qui puiffe ën faire naître dans un
autre efprit. On comprend aifément,
que toutes ces illüfions viennent de
ce que ce Métaphyfioien a raifonné
fur nos idées , fans les avoir auparavant
bien définies. Après Une er-
reur fi Confidérable , il a dû tirer
des conféquences plus qu’abfurdes
de fes raifonnemens. En voici un
échantillon. Quand on approche
d’un objet, à chaque pas qu’on fait,
c’eft un autre objet qu’on ’voit.
L ’objet qü’oh fent n’eft pas le même
que celui qu’on voit. Le bâton
dont on fe fêrt pour «frapper quelqu’un
,’neft pas celui qu’on tient à
la main. Le voleur qu’on voit pendre
n eft pas celui qui a fait le vol.
Enfin On ne peut parler à perfonne,
fâns qu’un efprit infini n intervienne
pour faire naître dans l’efprit de celui
a qui l’on parle, les idées qu’on y
veut exciter. ( a )
M. -Brunet a fait un abus encore
plus étrange de la Métaphyfique.
Il prétend que lui feul exifte dans
le monde ; que fa penfée eft la caufe
de l’exiftence de toutes les créatures
; & quand il ceffe d’y penfer,
elles font anéanties (b). Cette idée
que je ne crois pas devoir analyfer,
eft fans doute très-extravagante, ôc
c’eft par cette raifon que je l’ai rapportée
, afin de donner deux exemples
remarquables des écarts qu’on
a fait dans la Métaphyfique , lorf-
qu’on s'yeft livré avec trop de confiance.
Quand on juge de cette
Science d'après de pareils fyftêmes,
on a pitié avec raifon des Métaphy-
ficiens, ôc on eft fondé à méprifer
l’objet de leur occupation. Mais fi
on confidère «quelle n’eft qu’une
Logique; que l’art de la Dialectique
eft fans ceffe employé dans lesfpé-
cülations même les plus déliées*
on conviendra qu’elle ne contribue
pas feulement à-former le jugement
, mais à rendre l’efprit plus
fubtil & plus pénétrant ; à le détacher
desifens , ôc à le mettre en
état de faifir les sehofes les plus
fines ou les. plus imperceptibles.
Bien loin , dit le P. Bujfier, que
la Métaphyfique s!occupe de .vaines
fébrilités, elle lesdiflipe ; puif-
qu’en montrant -à l’efprit diftinète-
ment tous les côtés «& toutes les
faces d’un objet, elle peut aifément
faire un difcernement, par lequel
•on:juge «avec la dernière jufteffe
(a) Dialogue entre Hylas G PhUonoüs,
& c.
’ (b) Pièces fugitives d’Hijioire G‘ de Littérature
ancienne G moderne, .féconde Partie.
tout ce que font les objets, & tout
ce qu’ils ne font pas (a). C eft en
effet à quoi font parvenus les Phi-!
lofophes qui ont connu l’objet véritable
de la Métaphyfique. Ils ont
analyfé l’efprit humain , décompo-
fé fes affeâions , réglé fes opérations
, expliqué la nature des êtres,
ôc par une Logique toujours foute-
nue , démontré l’exiftence ôc les
attributs du Créateur.
Tout cela développé forme un
champ très-vafte, une forte de labyrinthe
intelleÛuel d’une grande
étendue, dans lequel les efprits dif-
traits ôc peu pénétrans s’égareront
toujours. Auffi le nombre des vrais
Métaphyficiens eft fort petit ; ôc la
chofe peut-être la plus difficile que
j’ai trouvée dans la compofition de
cette Hiftoire des Métaphyficiens
modernes, a été de ne rien confondre
, ôc de bien diftinguer ceux
d’entre les Métaphyficiens modernes
qui ont cette rare qualité, d’avec
les autres qui l’ont ufurpée.
Pour ne rien faire au hafard , j’ai
réduit toute la fcience de la Métaphyfique
à fes principaux objets ,
qui font x°. Les affections, les paf-
fions, ôc l’état propre de l’homme ,
foit en particulier, foit en fociété.
2°. L ’art de penfer ôc de raifonner.
3°. Les principes ôc l’étendue de
nos connoiffances , & la manière
de s’en fervir pour découvrir la vérité.
4.°. La nature de Dieu ôc celle
des êtres. J’ai cherché enfuite parmi
les Métaphyficiens ceux qui ont
traité le mieux ces matières. Et j’ai
trouvé cpiErafme avoit peint l’homme
en général avec la plus grande
vérité ; que Hobbes avoit approfondi
les principes qui lient réciproquement
les hommes, ôc qui les maintiennent
en fociété ; que Nicole ôc
Bayle avoient établi des règles foîi-
des pour bien penfer ôc bien raifonner,
ôc en général pour diriger toutes
les opérations de l’efprit ; que Loke
avoit développé fupérieurement la
nature de l’entendement, fes facultés
, l’origine , les progrès ôc l’étendue
de fes connoiffances ; que
Malebranche avoit fait une analyfe
exaôle de nos erreurs, de nos illu-
fions ôc de nos préjugés; qu’il avoit
indiqué des moyens fûrs pour les
éviter dans la recherche de la vérité
, ôc qu’il avoit donné une bonne
méthode pour fe conduire dans
cette recherche ; qu’A'obadie avoit
écrit fur la connoiffance de foi-même
ôc fur celle des hommes, mieux
qu’aucun Métaphyficien ; qu’on ne
pouvoit rien ajouter à ce que Collins
a publié fur l’ufage de la raifon, fur
la néceffité ôc fur la liberté ; que le
fyftême de Spinofa fur la nature des
êtres étoit l’ouvrage le plus fubtil
qui ait paru fur la Métaphyfique ;
ôc enfin que Clarke avoit donné fur
l’exiftence ôc les attributs de Dieu la
démonftration la plus complette.
( a ) Elément de Métaphyfique, par le P. Buffier, page 32.