relie & l’aigreur remplaça l’émulation.
heibn\t\ entra dans cette difpute ; il pencha
pour notre Philofophe. Son frère
jugea qu’il étoit temps de fatisfaire à fon
premier avis. Il publia donc le principe
d’après lequel il foutenoit que fon ad-
verfaire étoit parti pour la folution de
ce problème, l’analyfe qui Pavoit conduit
à cette folution , 6c les erreurs de cette
analyfe. Celui-ci nia que fon frère eût
deviné fon analyfe , 6c lui répliqua comme
un homme fort piqué. Enfin, pour
terminer ce différent , les deux illuftres
antagoniftes convinrent de s’en rapporter
à la décifion de l’Académie Royale des
Sciences de Paris. Be r n o u l l i envoya
à l ’Académie, fa folution dans un papier
cacheté , 6c pria qu'on ne l’ouvrît qu’a-
près que fon frère auroitpublié fon analyfe
du même problème. Des difficultés
qui furvinrent fufpendirent le jugement
de l’Académie pendant plusieurs années..
Dans cet intervalle de temps M. Jacques
Bernoulli mourut.. Après fa mort on
n’héflta plus à ouvrir le paquet en quef-
tion. On y trouva une folution fort
élégante du problème des ifopérimètres
prife dans, le fens le plus étendu , mais
imparfaite à quelques égards. L ’Auteur
en. convint lui-même. I l publia plufîeurs
années après une nouvelle méthode pour
réfoudre le problème, qui ne diffère guè-
r.es de celle de fon frère que par plus de
fîinplicité.
QuoiqueBERNOULEi foutîntavecbeauj-
coup dé chaleur cette difpute, ce n’étoit
pas cependant celle qui l’occupoit le
plus. Une Differtation qu’il avoit publiée;
en l é p p , lui avoit-fufcité une querelle
beaucoup plus férieufe & plus grave.il s’a-
gifïoit dans cette DilTertation de la nutrition.
Notre Philofophe y-prouve que les
corps dans leur accroiffement fouffrent
une déperdition continuelle de parties
fucceifivement- remplacées par. d’autres.
I l évalue cette déperdition en eftimant
la quantité de nourriture qu’un homme
prend tous les jours, & celle qu’il perd;
6c fait voir que dans deux.ans il perd la
moitié de fa fubftance,&qu’il recouvre par
cpnféquent cette même quantité de parties.
étrangères : d e-là il fuit qu’à la- fin d e
notre v ie , notre corps ne doit plus être
celui que nous avions au commencements
Or là-deffus les Théologiens prirent l’al-
larme. Us prétendirent que le calcul de
B e r n o u l l i n’étoit pas orthodoxe, qu’il
portoit atteinte au dogme de la réfur-
reétion des corps, & qu’il favorifoit le&
opinions desSociniens, lefquels foutien-
nent que les morts ou du moins que
leurs corps ne reffufeiteront p a s , mais-
que Dieu en créera de nouveaux. Us-
voulurent même lui prouver qu’il étoit
Socinien , par ce beau raifonnement. Les.
Sociniens appuient leur doârine par la
déperdition de la fubftance des corps-
Or vous prouvez que cette déperdition
eft réelle : donc vous êtes Socinien. B e r n
o u l l i rétorqua cet argument par celui-
ci , fi connu, dans les écoles pour un modèle
d’un mauvais raifonnement : Les
Anes ont des oreilles : or vous avez des
oreilles : donc vous êtes des Anes. C ’étoit
en effet la feule r.éponfe qu’on dût faire-
à une imputation auffi ridicule que celle-
des Théologiens de Groningue. Notre
Philofophe jufiifïa encore fon orthodoxie
,& méprifa après cela leurs vaines-
clameurs.
Cependant les- leçons que- ce grand
homme donnoit à Groningue attiroient-
toute la ville & un grand nombre d’E?
trangers.. I l y expofoit le fpeélacle merveilleux
des principaux effets- de la nature
, par des expériences. On ne con-
noiffoit point encore alors cette manière?
d?enfeigner la feience des chofes naturelles
;& l’art avec lequel il la développoit,.
furprenoit tous les fpeélateurs. Un.génie
comme le fien ne pouvoit guères toucher
à une matière fans donner de nouvelles-
vues. Auffi en faifant fes expériences ,
il découvrit un nouveau phofphore, ou du
moins il fit voir comment on pouvoit
rendre un baromètre lumineux. Un Savant
, nommé Picard , avoit obfervé'
en 167$ , que fon baromètre fecoué
dans l’obfcurité donnoit de la lumière-
On avoit tenté après lui la même chofe-
fur d’autres baromètres ; mais il s’en,
étoit trouvé, très-peu qui euffent çetta
propriété. B e r n o u l l i réitéra cette e x périence
de différentes manières,& trouva
qu’afîn qu’un baromètre donnât de la
lumière , il falloit que le mercure fût
trè s -p u r , qu’il ne traverfât point l ’air
quand on le verfoit dans le baromètre,
6c que le vuide du haut du tuyau fût auffi,
parfait qu’il pouvoit l’être. I l donna
enfuite les moyens de conftruire un baromètre
de cette efpéce , 6c expliqua la
caufe de ce fingulier effet. L ’Académie
des Sciences de Paris inftruite de cette
découverte, s’emprefla à la vérifier. Elle
fit conftruire des baromètres fuivant les
règles de notre Philofophe, 6c d’autres
à la maniéré ordinaire ; 6c elle trouva
que les premiers ne donnoient point de
lumière, & que les féconds étoient lumineux.
On l’inftruifit de ces obferva-
tions , & il répondit que dans les baromètres
conftruits fuivant les conditions
qu’il avoit preferites, le mercure n’étoit
pas encore afTez net 6c affez purgé d’air,
6c que dans les autres le mercure étoit
peut-être plus pur qu’on ne fe l’imaginoit.
•On ne répliqua point à cette réponfe;
on parut même adopter l’explication de
■ cet effet du baromètre que B e r n o u l l i
expofe ainfi :
L a lumière ne paroît dans le balancement
du mercure, que quand le vuide fe
fait , c ’eft-à-dire dans la defeente du
mercure. Or quand il defeend, il en doit
fortir & remonter au même inftant une
matière très - déliée 8c très - fubtile pour
occuper & remplir une partie de l ’efpace
ftu tuy au, que le vif-argent quitte. Dans
le même temps il entre par les pores du
tuyau une autre matière bien plus fubtile
que l’air groffier, mais beaucoup moins
fubtile que celle du vif-argent ; 8c ces
deux matières fe mêlant incontinent,
rempliffent l’efpace que le vif-argent leur
cède par fa defeente. Ce mélange produit
un choc qui donne la lumie„re qu’on
apperçoit. Cet effet n’arrivé pas lorfque
le mercure n’eft pas pur , parce qu’il y a
alors fur fa furface une pellicule qui empêche
que rien n’en forte lorfqu’on le
balance.
Tous les Savans trouvèrent cette explication
très - vraifemblable. E lle fut
cependant attaquée par un Phyficien
habile, mais qui aimoit un peu la difpute,
c’ett.Hartfoeleer. I l prétendit qu’elle
étoit obfcure & défeétueufe , & foutint
fa prétention avec des raifons très-mau-
vaifes. B e r n o u l l i répondit 6c parut
vi&orieux /quoique fon adverfaire mêlât
beaucoup d’aigreur‘dans fa défenfe ; &
pour le mortifier davantage, il fit foute-
nir fur ce fujet une Thèfe quelques années
aprè,s, où il expofa publiquement fa
défaite.
Malgré la mauvaife humeur de Hart-
foeker, on fai foi t accueil dans toute l’Europe
au nouveau baromètre. Notre Philofophe
en avoit envoyé un au Roi de
Pruffe Frédéric I , qui l’en récompenfa
par une médaille d'or. On admiroit par
tout le fuccès de fés travaux 6c fes heu-
reufes découvertes, 6c toutes les villes
policées envioient à celle de Groningue
le bonheur qu’elle avoit de le pofiTéder.
Les Magiftrats d’Utrecht émus par ce
fentiment, lui firent propofer une chaire
de Mathématiques avec des appointe-
mens confidérables ; mais ceux de G roningue,
pour prévenir leur fédudicn ,
augmentèrent d’abord fa penfion, 6c y
joignirent les témoignages d’un attachement
& d’une eftime très-tendres,qui en re-
haufferent extrême ment le prix.D’un autre
c ô té , fes compatriotes r.e ceffoient de revendiquer
les droits qu’ils avoient fur la
préférence. C ’étoit de leur part des folii-
citations très-vives 8c continuelles. B e r n
o u l l i en étoit touché ; 6c l’amour de
la patrie fe joignant à ces marques d’amitié
, lorfque fon frère fut mort en
1 7 0 c , il fe détermina enfin à retourner
à Bâle. Les Univerfités d’Utrecht 8c de
Leipfick apprirent qu’il quittoit Groningue.
Elles fe hâtèrent delaifir cette occasion
pour l’engager à accepter chez elles les
places les plus honorables. Les Magiftrats
d’Utrecht lui députèrent le Reéteur de
l’Univerfité ; & ceux de la Ville de
Le yde vinrent à fon paffage dans les mêmes
vues. Quoique fenfibîe à toutes ces
politeffes, notre Philofophe perfifta dans
fa réfolution, & s’exeufa envers ces Mef-
I i j