l’autre de grands défauts. Ce dernier eft
fur-tout fort maltraité. L e principe fondamental
de ce'fyftême, je veux direl’at-
traélion, eft abfolument anéanti. Si les
corps avoient, dit - il , de leur nature
la qualité effentielle de s’attirer l’un
l ’autre, il eft certain que les particules
élémentaires feroient pefantes en raifon
de leur folidité & non de leur furface,
(ainfi qu’elles le font & doivent l’être
dans le fyftême Newtonien ). Une particule
élémentaire à un éloignement double
du corps dont il eft attiré , en recevrait
donc une force qui ne ferait pas
fous-quadruple , mais fous-oétuple de
celle qu’elle reçoit à unediftance fimple,
puifque la denfité ou la multitude des
rayons qui partent du corps attirant, &
qui railîflent la particule , devrait être
eftimée par la quantité de fa malTe & non
point de fa furface. Ainfi la force de
cette attra&ion diminuerait comme les
cubes & non comme les quarrés des
diftances. Que devient donc le fyftême
de Newton par rapport à la Phyfique, fi
fon principal fondement tombe en ruine f
C ’eft une demande que fait B e r n o u l l i ;
& comme il ne croit pas qu’on puifle y
répondre , il abandonne ce fyftême, <5c
imagine le fuivant.
L a gravitation des Planètes vers le
centre du Soleil, & la pefanteur des corps
vers le centre de la terre , n’ont pour
caufe, ni la force centrifuge des tourbillons
de Defcartes , ni l’attraftion de
Neivton, mais » l’impulfion immédiate
» d’une matière, qui fous la forme d’un
» torrent que je nomme central , fe jette
» continuellement de toute la circonfé-
» rence du tourbillon fur fon centre, &
» imprime par conféquent à tous les corps
3> qu’il rencontre fur fon chemin, la même
3> tendance vers le centre du tourbil-
» ion » (d). Par là l’Auteur explique la
propriété de cette gravitation néceflaire
des Planètes, pour qu’elles décrivent des
ellipfes autour d’un foyer. Et tout ce que
Newton déduit de l’attraélion , découle
naturellement de la théorie des impul-
fions du torrent central. A l’égard de la
queftion propofée par l’Académie, il la réfout
en montrant que la caufe de l’écart
de la route des Planètes principales du
plan de l’équateur, eft femblable à celle
qui détourne les vaiflèaux fur Mer de la
direction de la quille, ce qu’on appelle la
dérive des vaiffeaux.
Rien n’eft plus ingénieux que cette
hypothèfe ; & l’art avec lequel notre
Philofophe la foutient, lui donne un air
de vérité qui féduit. On y voit toute
les reflources qu’un grand génie peut
mettre en oeuvre, pour donner du poids
à une opinion. Aufli fut-elle couronnée
par l’Académie. Elle ne remporta cependant
que la moitié du prix, parce
qu’il fe trouva un autre Mémoire au
concours, dans lequel onrépondoit afïèz
bien à la queftion propofée fur l’inclinai—
fon des orbites des Planètes. M. Daniel
Bernoulli , digne fils du Philofophe qui
nous occupe, en étoit l’Auteur. C e fut
une grande fatisfa&ion pour lui de partager
fa couronne avec fon enfant, & il
l’aurait préférée à la gloire de remporter
une victoire complette.
C e vieillard vénérable voyoit encore
avec joie deux de fes fils courir la même
carrière, & avec le même fuccès. Sa ten-
dreffe paternelle & fon zèle pour le progrès
des Sciences, en étoient également
émus. Il fentoit combien il lui étoit glorieux
de fournir au monde favant des
hommes dignes de foutenir l ’éclat de
fon nom, & d’ajouter à fes découvertes.
Ses jours s’écouloient dans cette douce
idée, & fon génie toujours ferme & v igoureux
remp^'Toit fes momens de loifir,
en lui fuggérant fans cefle de nouvelles
productions. L a Renommée les annon-
çoit à mefure qu’elles fortoient de fa
plume ; mais comme ce n’étoit point
par la voie de l’imprefiion, on ne les
connoilfoit qu’imparfaite ment. Toute
l’Europe délirait qu’elles fuffent rendues
publiques, & on fouhaitoit aufli qu’on
(<i ) Johan, B e r n o u l l i Opera, Tome III. page 371. recueillît
B E R N O U L L I 73
recueillît. dans un même livre celles qui
avoient déjà paru féparément. On le fol-
Bcita donc de travailler à ce Recueil.Les
Libraires fe joignirent aux Savans, &
un habile homme qui avoit été fon
difciple ( M . Cramer ) fe chargea de veiller
à l ’édition. B e r n o u l l i fe rendit
enfin à ces follicitations. I l mit en ordre
fes nouveaux écrits, & les envoya à l’Im-
primeur.
Ils confiftoient en un Traité du Calcul
intégral, un de Dynamique ôc un d’H y -
draulique r & en plufieurs morceau* de
Géométrie, d’Aftronomie & de Mécanique.
Le Traité du Calcul intégral eft écrit
en forme de leçons. C e font celles que
notre Philofophe donnoit au Marquis de
Lhopital, lorfqu’ il étoit dans fés terres^
Elles forment la fécondé partie de YAna-
lyfe du calcul des infiniment petits, publiée
parce Marquis-Je dis publiée; car notre
Philofophe revendique abfolument cette
Analyfe.Nons avons v u ci-de vantdit-il,
en commençant ( e ’eft - à - dire dans les
leçons du- calcul différentiel dont M. de~
Lhopital a formé l’Analyfe du calcul des-
infiniment petits) comment on différentie
une quantité'; vidtmus in prcecedentibus quo-
modo quanùtaturn differ-entiales inveniendoe
fim t(e ). Son Traité de Dynamique eft
abfolument neuf.- I l eft compofé de problèmes
extrêmement kitéreflans. I ls ont
pour objet la composition & la décom-
pofition des forces r les forces motrices
appliquées à un lévier, la communication
du mouvement par le lé v ie r , le
centre fpontané de rotation , le mouvement
des corps irréguliers produit par
la percuflïon ou la collifion, les ofcilla-
tions des corps plongés dans un fluide,
&c. L ’Auteur donne des folutions très-
élégantes & très-fines de tous ces problèmes.
L e même efprit dé netteté &
de fiheffe règne dans fon Traité d’H y -
draulique. I l en paroiiïoit alors un de
fon doéte fils M Daniel'Bernoulli , qui
eft un- chef d?oeu-vre. Son.père le reconnok
volontiers ; mais il remarque qu’il
eft fondé fur le principe de la conservation
des forces vives , que tous les
Philofophes n’admettoient point.Dansfon
Traité d’H ydraulique, notre Philofophe
déduit de principes purement mécaniques,
la théorie du mouvement des eaux.
Il- y examine d’abord ce mouvement
dans différens tuyaux, oh s’écoulent de
différens vafes ; & s’élevant enfuite à
une méthode générale, il le foumet à
des îoix fixes & univerfelles , quelque
irréguliers que foient les tuyaux dans
lefquels l’eau coule , o u dont elle s’ér-.
ehappe.
L ’impreffîon des OEuvres de ce grand'
homme, formant quatre volumes in-4%
fut finie en 174-3. Les Libraires fe firent
un devoir d’en’ décorer le frontifpice de
fon portrait ; & l ’illuftre M. de Voltaire
voulut s’afibcier à. fa gloire, en faifant graver
ces vers au1 bas de ce portrait :
Son efprit vit la-vérité,
Et fon coeur connut la juftice :
Ii a fait l’honneur de la Suifle,
Et celui de l’humanité.
C e n’eft pas fans peine que B e r -
n o u l l i v it cette forte d’hommage
qu’on rendoit à fon mérite. Quoiqu’il
aimât la vérité avec paflïon, fa modeftie
étoit fi grande, qu’elle lui faifoit foüvent
oublier les fervices qu’il avoit rendus aux
hommes. I l craignoit même que fon Libraire
ne fe repentît un jour d’avoir fait
imprimer Çes petits Ouvrages ; c ’eft ainfi
qu’il appelle ces grandes productions qui
font tant d’honneur à l ’humanité'. Vous
faveq, Monfieur, lui é c r i t - i l, queferdai
d'autre part à Védition de ce Recueil-, que
celle d’y avoir conjenti, non fans peine à1
la vérité , ni fans avoir long-temps réfifiè-
a vos preJJantes fôllicitations , S celles des■
perfonnes que vous aveq mifes- en oeuvre pour'
cela ( ƒ ).
Cependant tous les Philofophes. de lai
(fe--) Bernoulli Opérai Torn*. III. pag-. 2S7-.
(if) lobait. B er,N-ou. 1-11. Opera, Tom. I. page 14,