Prévôt de PEglifè de Digne, I l ne pou-
voit revenir de Ton étonnement, 8c ne fe
laffoit point d’admirer la modeftie de ce
grand homme, qui pendant tout fon voyage
n’avoit pas dit un mot qui eût pu le
faire connoître. 11 lui demanda avec instance
fon amitié, & eut foin de la cultiver
pendant toute fa vie.
Notre Philofophe étoit à peine arrivé
en Provence, qu’on s’apperçut à Paris de
fon abfence. Tous les Gens de Lettres lui
écrivirent pour le prier de ne pas préférer
le féjour de la Province à celui de la Capitale
oit il étoit h déliré. » V en e z , lui mar-
» quoit Chapelain, nous vous Cuivrons dans
»les cieux & dans le centre de la terre;
» vous nous expliquerez les caufes de tou-
» tes ehofes , & nous deviendrons fages en
»vous écoutant «. Malgré ces fôllîcita-
tions, il demeura tranquille chez lui. L a
raifon de cette lorte de retraite efr fingu-
liere.. C ’eft qu’un Seigneur qui aimoit autant
notre Philofophe qu’il l’eflimoit, vou-
loft qu’il logeât dans fon H ô te l, qu’ il y
vécût comme fon propre frere . & qu’il, acceptât
une penfîon de mille écus. G a s s e n d
i aimoit trop la liberté & l’indépendance
pour la mettre à prix. S« n ame grande &
élevée auroit trop fouffert de contracter des
obligations, fans être en état de les recon-
Boître. Un état libre & médiocre lui paroiP
foit préférable à toutes les riehelfes qu’il
auroit pu tenir des libéralités de quel'qu\in;
8c les Grands n’étoient à fes yeux que des
hommes ordinaires, qui n’étoient pas allez
puiffans pour acheter la liberté d’un Philo-
fbphe.
Dès occupations continuelles ne laifi
Soient pas à Gassendi le temps de regretter
le féjour de Paris. M. Diodatà lui env
o y a de Londres un Livre nouveau intitulé
: De la vérité, en tant qu’elle ejl■ difiinfte:
de la révélation, du vr-aijemb labié, du pojfible
& du fa u x , par Milord Hebert , en le priant
de l’examiner. C ’eft un Ouvrage très-
hardi , dans lequel on trouve des femences
dedéifme , fôutenues d’un ton avantageux,
qui annonce un Auteur peu. drfpofé'à-fouf-
frir p-ttiemment une critique, quelque rai-
fonrvable qu’elle fût. Notre Philofophe lut
celtivre^'k ne le goûta point, Ilrépondità
M. Diodati, que quoiqu’il eût mérité les
éloges du Pape & de plufîeurs graves per-
fonnages, il n’en étoit pas moins répréhen-
fible, 8c en général fort médiocre. Milord,
lui écrit- i l , me femble être allé un peu vite ,
& avoir un peu trop bonne opinion de fon fait .•
il femble même excéder aux louanges qu’il Je
donne à lui-même & à fon Ouvrage, comme
Ji tous ceux qui Vont précédé étoient des aveugles.
J ’en ai certes en moi-même, Ji je l’oje
dire, une forte de compajjion, & principalement
quand je conjidere que cet Ouvrage n’ejl
qu’une efpèce de Dialectique qui peut bien avoir
Ja recommandation , mais qui n’empêche pat
qu'on n’en puijje forger cent autres de pareille-
valeur , & même de plus grande. Son delfeii»
étoit de îaiifer là ce Livre pour ce qu’il va-
loit : mais M. Peyrefc s’étant joint à Al. Dio-
datipour l’engager à le réfuter , iicompo/a
une critique qu’il communiqua en manufi-
crit à quelques Savans, Sc particulièrement
à Milord Hebert, 8c qui n’a été imprimée
qu’après la mort fous ce titre : AdLilrum
D . Eàuardi Heberti Anglî de veritau, Epif-
tola.
Ce travail fini-, il s’amufà à faire dès expériences,
fur les yeux de quelques animaux
particuliers, comme Tons, Lamies, Dau«-
phins , Boeufs, Moutons, C hats , C h at-
huants, ôcc. 8c il découvrit que la.concavité:
de l’oeil, qui embralfe les humeurs vitrée *
crifialline 8c aquetifè, eff un vrai miroiir
concave, qui feul repréfentant les objets
renverfes, les peint en leur forme naturelle,
après que ces mêmes objets ont
été renverfés par le crifîallin. I l étoit alors,
à A ix , ou il fuivoit un procès qu’il avoit
fur la Prévôté de Digne, 8c il logeoit chez:
fon ami M ..Peyrefc, CeMagrftrat, charmé-
de la découverte qu’il venoit de faire fur
les yeux des animaux, voulut qu’il examinât
auffi ceux des hommes. I l demanda^
au Parlement le cadavre d ’un criminel condamné
à être pendu ; 8c comme c’étoit un
homme qui ne négligeoit rien de ce qui
pouvoit contribuer au progrès des Sciences
, il réfolut de chercher en même temps
fur ce cadavre les veines laéfées, qui depuis
la découverte d'Harvée fur la circulation
du- fàng-, excitoiènt la curiofîté des
Phyfîciens, Pour mieux réuffir dans, cette:
expérience, il recommanda au Concierge
de bien faire manger le criminel avant
qu’on lui lût fon Arrêt.Le cadavre fut porté
au Théâtre public des Anatomies; & Gassendi
, accompagné de M. Peyrefc, commença
par chercher ces veines; les découvrit
8c les examina pendant long-temps.
A y an t attaché le principal tronc des
b o y au x , il en fit ouvrir plufîeurs, 8c il en
fortit du lait.
Après avoir demeuré une année à A ix ,
G assendi fe retira à Digne, 8c il en partit
bientôt pour faire un petit voyage dans
quelques lieux de la Provence, remarquables
par des curiofités particulières. I l fut
d’abord au Village deSillans, à une lieue
de Notre-Dame des G râces, afin d’obfer-
ver un Iris continuel que forme dans cet
endroit le brifement 8c l’éparpillement
d’une eau qui tombe dans un lac, d’un rocher
haut d’environ douze à quinze toifes.
I l alla enfuite à Fréjus, où il examina les
reftes d’un amphithéâtre & des aqueducs
conftruits-par les Romains; 8c de-là il fe
rendit à la fontaine de Colmars, qu’il défi-
roit voir depuis long-temps, à caufe de
fon flux & reflux. E lle.eften face d’une
montagne, 8c a la riviere de Verdon d’un
côté , 8c la Ville de l’autre. L ’eau fort en
biais à travers une petite ouverture d’un
rocher. Elle croît & décroît par intervalle,
Sc elle coule plus abondamment & plus
fouvent au Printemps qu’en toute faifon.
Notre Philofophe obferva tous ces phénomènes,
8c travailla à en expliquer la
caufe.
De retour chez lu i, M. Peyrefc l’engagea
à vérifier l’obfervation de Pytheas fur
l’écliptique. Pytheas étoit un Aflronome
de M arfeille, qui avoit déterminé l’obliquité
de ce cercle, il y avoit près de deux
mille ans. M. Peyrefc voulut vérifier cette
©bfervation, 8c mena à cet effet notre Philofophe
à Marfeille. Strabon 8c Polybe en
avoient attaqué la jufteffe, à caufe de quelque
différence qu’on y avoit trouvée avec
celle d’Hypparque ; mais G assendi la juf-
tifia pleinement, 8c compofa l ’apologie
de Pytheas.
M. Peyrefc fit enfuite afTembler les plus ha*
biles Pilotes de Marfeille, pour qu’ils propofaffent
à notre Philofophe les difficultés
qu’ils trouvoient dans le voyage de C rète
en Chypre, 8c de Chypre en Alexandrie.
Après qu’ils avoient doublé la Sardaigne,
les bords de l ’Afrique & l’Ifle de Malthe ,
au lieu d’aborder l’Ifle de Crète en droiture
, ils prenoient à gauche, en s’écartant
du droit chemin. Gassendi examina leurs
cartes marines, & trouva que les dégrés
de longitude étoient altérés, 8c que la dif-
tance de Malthe jufqu’à Crète n’étoit pas
fi grande que les Auteurs de ces cartes l’a-
voient cru. I l exhorta les Pilotes à oublier
abfolument les diftances marquées dans
leurs cartes, 8c à fixer eux-mêmes celles
d’ un lieu à un autre de proche en proche,
ainfi qu’ils les avoient remarquées dans
leurs voyages ; de forte qu’il fut convenu
qu’on retrancheroit environ foixante-fîx
de Marfeille à Alexandrie de Syrie.
Ce fut ici le dernier ouvrage auquel
coopéra l’illuftre M. Peyrefc. A fon arrivée
à A i x , il tomba malade, 8c mourut le i q-
Juin 1 63 6 , âgé de cinquante-fîx ans, uni-
verfellement regretté de tous les Savans,
dont il étoit l’appui 8c le Mécène. U n’oublia
pas fon ami dans fon teflament. Il lui
fit préfent de cent volumes à fon choix, de
tous fesinftrumens de Mathématiques, &
du portrait de Wendelin, favant Aflronome
Flamand. Cette perte affligea fi fort notre
Philofophe, qu’il refia une année entière
fans rien faire. Seulement il fit part à Galilée
du fujet de fa douleur, 8c tâcha de le
confoler d’avoir perdu un oeil. On lit dans
cette lettre ce paradoxe : Nous ne voyons
difanftement les objets que d’un oeil, quoiqu’ ils
foient ouverts tous les deux. Devenu plus
tranquille, il mit la derniere main à un
Traité fur la communication du mouvement
, qu’il avoit commencé depuis longtemps.
C e Traité intitulé, De motu im-
prejjo à motu tranflato, 8c divifé en trois
lettres, contient la folution des principales
difficultés du mouvement en général,
8c en particulier de celui de la terre. Il eft
comme établi fur ce théorème : Si le corps
fur lequel nous fommes ejl tranfporté, les
mouvemens que nousfaifons nous paroijjent arriver,
G* arrivent en effet de la même maniéré
que Ji ce corps étoit immobile• De la il etoit