côté l’ame penche , & de la diriger à la
recherche de ce qui paraît le meilleur à
faire. Notre ame a un fentiment intérieur
de tous fes aâes propres. Elle peut remarquer
& elleremarque louvent par quels
motifs & quels principes ils font produits.
Elle exerce naturellement avec foi l’office
de ju g e , & par-là elle fe caufe à elle-
même ou d elà tranquillité & de la jo ie ,
ou des inquiétudes 3c de la trilieffe. C/t li
dans cette faculté de notre ame & dans
les aftes qui en proviennent, que cbnfifte
toute la force de la cônfcience , par laquelle
l’homme envifagë les lo ix , examine
fes a étions paftees, & dirige celles
auxquelles il veut fe déterminer à l’avenir.
Cette faculté eft un principe très-
püiffant pour produire la vertu & pour
l ’augmenter ; & elle n’a pas moins d’in-
fluence fur la fondation Sc la conferva-
tion des fociétés, tant entre ceux qui ne
font fournis à aucun gouvernement c iv il,
qu’entre les membres d’un même Etat.
Quand toutes ces facultés font formées
& que la raifon eft parvenue à fa
maturité ,.nous penfons au cours de notre
vie & à l’iifage que nous ferons dé-
formais de ces facultés. Alors il fc pré-
fente à notre efprit beaucoup d’aftions
que nous pourrons faire, 3c dont nous tirerons
de grands avantages. Nous pré-
vpyons auffi une plus longue fuite de
chofesqui fefuccéderont en leur ordre,
Sc qui dépendent les unes des autres.
Notre efprit ayant par-là un plus vafte
champ, ne fe contente pas d’appelier au
fecours de la mémoire quelques termes
Amples : il forme encore des propofîtions
par lefquelles la liaiÇon de nas aétions ,
de quelque nature qu’elles foient, avec
les effets qui en dépendent, eft plus dif-
fmâement exprimée. C ’eft ce qu’on appelle
des Pmpojitmns. pratiques.
De plus,.à mefure que notre raifon fe
fortifie , nous comparons enlèmble la
vertu qu’ont les différentes caufes de produire
des effets fëmblables, comme auffi
les divers degrés de perfection qu’il y. a
dans les effets : compara: fon qui mené à
juger que l’un de ces effe ts eft plus grand
que l’autre, ou moindre ou égal. D ’où
nous concluons, par exemple, qu’entre
nos aétions pofîibles, les unes peuvent
contribuer plus que d’autres ou plus
qu’aucune autre , à notre bonheur & à
celui d’autrui. On donne à ces proportions
pratiques le nom de Maximes de
comparaifon.
Tout cela nous conduit à ce principe
naturel : L a fin de chacun eft le plus
grand bien qu’il peut procurer à l’Univers
8c à lui-même félon fon état. D ’où
il fuit que cette fin doit être conçue comme
un compofé ou un total de bons effets
les plus agréables tant à Dieu qu’aux
autres hommes, & le plus grand alfem-
blage de ceux qui peuvent être produits
par une fuite la plus efficace des aéfions
que nous ferons dans tbut le temps à v e nir.
Or il arrive fouvent ( & nous devons
travailler à ce que cela arrive le plus fou-
vent qu’il eft poiïïble ) que les bons effets
qui proviennent de nos facultés, croiffent
en progreflion géométrique. En ce cas-là
il y a un accroiffement de félicité publique
«5c particulière , qui excede tout ce
qu’on auroit pû prévoir 8c déterminer.
L a félicité corififte dans la jouiffance
des biens. Il y a deux fortes de biens. Les
uns fervent à orner & à réjouir l’ame ; les
autres à entretenir & augmenter les forces
du corps. Les biens publics font les
mêmes que les biens de chaque particulier
; & une jufte idée du bonheur de
chaque homme, mene aifément par analogie
à découvrir le bonheur qui doit être
recherché par chaque état c iv il, ou même
par tous les hommes conftdérés comme
ne faifant qu’un feul corps. Car une fo-
ciété civile , compofée d’un nombre plus
ou moins grand de perfonnes, n’eft heur
reufe que quand chacun de fes membres,
fur-tout les principaux, ont non-feulement
l’ame douée des perfections naturelles
de l’entendement & d e la volonté,
mais encore le corps fain <5c d’une v i gueur
capable de bien prêter à l ’ame fon
miniftere.
Dans cet état, l’homme a toujours la
Sageffè en partage , parce que la Sageffe
eft plus naturelle 8c plus effentielle à tout
Etre raifonnable que la folie. Auffi les
aéfces internes de la volonté 8c les efforts
externes , qui tendent à l’entretien du
bien commun , doivent auffi être naturellement
plus parfaits, plus agréables 8c
plus convenables au même Etre raifonnable.
L ’une 8c l’autre de ces facultés concourant
à la produétion de nos aétes, la
déterminent à faire ce qui eft meilleur
pour le plus grand nombre. O r il eft évident
que telles font les actions néceffaires.
pour procurer le bien commun , 8c que
par-là ces perfections internes de nos facultés
y font renfermées, c’eft-à-dire ,
qu’il ne fuffit pas qu’elles agiffent ; mais
qu’il faut encore que l’aCtion ayant le
bien pour objet, le bien des Etres les
plus nobles avec lefquels on a le plus de
liaifon, 8c le plus grand bien de tous en-
femble, foit produite par un parfait accord
de toutes nos facultés dedans l’ordre
naturel.
De -là il fuit que le véritable bonheur
confifte dans la bienveillance la plus étendue.
L ’expérience confirme cette vérité
de raifonnement. C ’eft un plaifir connu
que celui que nous trouvons dans les ades
d’amour , d’efpérance ou de joie , non-
feulement dans ceux qui fe rapportent à
notre propre bien, mais encore dans ceux
qui fe rapportent au bien d’autrui. Ces
fortes de fentimens font des parties effen-
tielles du bonheur, 8c ont par eux-mêmes
quelque chofe d’agréable. Nous
éprouvons tous les jours que la vue du
bonheur d’autrui eft capable de les exciter
en nous. Oter à l’homme les douceurs de
l ’amour 8c de la bienveillance envers les
autres & la joie qu’il relient de leur bonheur
, c’eft le priver d’une grande partie
de fa félicité. Les fujetsde jo ie , que nous
pouvons avoir eu égard à notre avantage
feu l, font très-bornés. Mais il y en a un
très-grand nombre , dès que nous avons
à coeur la félicité de tous les autres. L a
joie produite par cette derniere vue, a la
même proportion avec la première, qu’entre
la béatitude immenfe de Dieu 8c de
tout le genre humain, 8c la chétive pof-
feflîon d’un bonheur imaginaire , que les
biens de la fortune peuvent procurer à un
feul homme envieux 8c malveillant. Celui
qui s’eft dépouillé de tout fentiment de
bienveillance envers le genre humain, ne
peut certainement avoir aucune vertu.
L a haine même 8c l ’envie qui l’obfedent,
entraînent néceflàirement après elles le
chagrin & la trifteffe , la crainte <5c la fo-
litude : toutes chofes entièrement contraires
au bonheur de la vie.
A toutes ces preuves, on peut ajouter
les faits. L ’expérience du temps préfent
8c l’expérience des fiécles paffés, nous
apprennent qu’il y a des récompenfes à
efpérer des autres hommes , pour le foin
que nous prenons à entretenir le bien
commun. On voit par-tout un culte public
de quelque Divinité, à laquelle les
hommes témoignent du moins allez de
refpeCt, pour obferver le ferment de la
foi qu’ils lui ont donné. Par-tout il y a
des commerces très-avantageux entre les
Nations qui fe connoiffent, lelquels ne
font interrompus que par les guerres.
Par-tout on maintient le gouvernement
civil 8c la diftinCtion des domaines, qui
fait partie de l’ordre établi. Par-tout les
liaifons des familles 8c celles de l’amitié
fofît entretenues. Or le culte de la D iv inité
, l’entretien du commerce & de la
paix entre les Nations, l ’obfervation de
ce que demande le gouvernement civil
8c le gouvernement domeftique, les pratiques
des devoirs de l’amitié ; tout cela
n’eft autre chofe que les parties prifes en-
femble du foin d’avancer le bien com- '
mun. Il eft donc démontré que la difpofi-
tion à un tel foin fe trouve parmi tous les
hommes : d’où il réfulte nécelfairement
que chacun retire plufieurs avantages
que la paix 8c les fecours mutuels apportent
naturellement.
I l y a plus : chaque perfonne qui eft
parvenue à l’âge de raifon, eft redevable
de toutes fes années paffées aux foins d’autrui
, qui tendent par eux-mêmes au bien
commun. Nous dépendons entièrement
dans l’enfance de l’attachement que d’autres
ont à obferver les loix du gouvernement
économique, celles du gouvernement
civil 8c celles de la Religion, qui
toutes découlent du foin d’avancer le bien
commun. De forte que fi après l’adolef-r