Religion Proteftante. Son zèle à cet
égard étoit d’une amertume extrême.
C e t homme , qui étoit d’un fang froid
ôc d’une tranquillité extraordinaire en
toutes chofes, n’étoit plus reconnoiffable
lorfqu’il parloit de la Religion. Sa bile
s’allumoit, ôc le fiel couloit abondamment
dans fes difcours. Mais lorfqu’il
étoit rentré dans fon cabinet, il perdoit
cette mauvaife humeur. L a Philofophie
reprenoit alors fes droits. Elle répandoit
fur fon efprit cette douce gay eté, qui fait
la félicité du Sage. Çe fut dans cette heu-
xeufe fituation qu’il çompofa fon Ouvrage
fur les L o ix , qui lui a acquis une
réputation immortelle. Il le publia à Londres
en 1 6-]2, fous ce titre : De Legibus
;natures, djfquifitio philofophica , &c. c’eft-
à-d ire , Traité philofophique des Loix naturelles
, où Von recherche Cf Von établit par
la nature des chofes, la forme de ces L o ix ,
leurs principaux chefs, leur ordre, leur publication
Cf leur obligation. Avec une réfutation
des élément de la Morale Cf de la
Politique de Thomas Hobbes. C ’eft cette
réfutation qui donna l’idée de l’Ouvrage.
C u m b e r l a n d avoit été choqué de
ce principe de Hobbes, que l’état naturel
des hommes eft un état de guerre. I l prétendit
au contraire que la nature les porte
à s’aimer ôc à fe rendre des fervices mutuels.
L e fuccès de ce livre répondit à là
bonté. C ’eft le premier Traité de Morale
qui foit écrit félon la méthode des Géomètres
, & ce coup d’efïai eft un des plus
grands coups de maître qui ait encore
paru..
Cet Ouvrage fit une réputation fi éclatante
à notre Philofophe, que fon nom
feul rendoit célébré ce qu’il produifoit.
L ’Univerfité de Cambridge , qui fe glo-
rifioit de l’avoir é le v é , le pria de vouloir
bien la féconder, dans une folemnité publique.
C u m b e r l a n d avoit des fen-
timens trop nobles , pour ne pas accepter
cette propofition. I l fe chargea de fou-
tenir deux thèfes très-hardies ( Ôc très-
blâmables.) La première eft : S. Pierre na
reçu aucune autorité ni jurifdiftion fur les autres
Apôtres.Et il s’agit de cette propofition
dans la feeohde : La féparation dé avec VEglife
Anglicane eft Schifmatique. C et aéte luï
fit un honneur infini. I l jouiffoit àLondres
de la plus haute confidération ; ôc comblé
de g lo ire , il ne dépendoit que de lui de
mener une vie douce & tranquille. Mais
l ’homme né fenfible n’eft pas fait pour
être confiamment heureux. I l prend trop
de part aux différens événemens de la v ie ,
pour n’en être pas ému. Affeété d’une
chofe défagréable, il fort de fon aflîette,
lorfque la fenfation s’en renouvelle. T e l
étoit aufîî le caraétere de C umberland.
On a déjà vu avec quelle chaleur il pre-
noit les intérêts du Proteftantifme, ÔC
combien il étoit méconnoiffable dans
cette crife. Or cette foiblefle, ou pour
mieux dire cette erreur, vint troubler fa
félicité.
Lors de l’avénement du Roi Jacques 11. à la Couronne d’A ngleterre, il s’imagina
tant de fujets de crainte pour ce
même Proteftantifme , qu’il en tomba
malade. Une fievre ardente alluma fon
fang Ôc le mit fi b as , qu’il eut bien de
la peine à recouvrer la fanté. L a Philofophie
, qui calmoit toujours fes accès,
diflîpa enfin fes inquiétudes. Pour y faire
diverfion , elle lui fuggéra le plan d’un
Ouvrage fur les poids ôc les mefures des
Juifs, qui fut imprimé en 1 6 8 6 Tous ce
titre : EJfai fur les mefures . les poids Cf
la monnoie des Hébreux , que Von recherche
par l e moyen des anciennes mefures comparées
avec celles d* Angleterre. - Ouvrage
utile pour reconnoître la grandeur, la pefan-
teur Cf le prix- de plujîeurs mefures, poids
Cf monnaies des Grecs, des Romains Cf
des Peuples de l’Orient. Cet E fla i, qui eft
très-favant ôc très-ingénieux , fut attaqué
par M. Bernard dans un livre de fa
compofition intitulé : De menfuris Cf
pondertbus antiquis. Notre Philofophe
fongea d’abord a fe défendre ôc à juftifier
fes calculs , fur lefquels M. BerwÆnJ avoit
fort infifté. Mais ennemi déclaré des dif-
putes , il aima mieux laiffer au Public la
décifion de ce dif férendque de s’enga-
gerdans une controverfe. I l avoit outre
cela un autre fujet en tê te , qu’il ne vouloir
pas perdre de vue. C ’étoit de rechercher
par quels degrés ôc de quelle maniere
l’idolâtrie s’étoit introduite dans
le monde. Un motif de religion l’avoit
porté à faire cette recherche ; ôc il croyoit
avoir trouvé un monument très-propre
à l’éclairer dans fon travail , dans le
fragment qui nous refte de Sanchoniaton,
confervé par Eufebe. Ce fragment lui parut
une apologie formelle de l’idolâtrie :
il y découvrit une chofe dont les Ecrivains
du Paganifme cherchoient à dérober
la connoiffance , c’eft que leurs Dieux
étoient des hommes. I l n’étudia d’abord
ce morceau d’hiftoire que dans le deflein
de remonter à la première origine de l’idolâtrie.
Mais après l’avoir examiné plus
particulièrement, il y apperçut des vefti-
ges de l’hiftoire du monde avant le déluge.
Le paffage fuivant du même fragment
lui fit faire cette découverte : Ifiris
frere de Chnaa le premier Phénicien. Ce
Chnaa premier Phénicien e ft, lelon lu i,
Canaam, dont la poftérité peupla le pays
qui portoit fon nom. Notre Philofophe
crut voir enfuite Adam Ôc Eve dans les
deux premiers mortels de Sanchoniaton 9
nommés par lui Protogone ôc Acon. A l lant
ainfi de conjecture en conjecture , il
forma une fuite de l ’Hiftoire Profane ,
conforme à l’Ecriture Sainte, depuis le
premier homme jufqu’à la première olympiade.
C e t Ouvrage fin i, il voulut le
publier : mais le Libraire auquel il l’offrit,
Je trouva trop favant pour être d’un
prompt débit. C u m b e r l a n d fongea
à le rendre plus intéreffant. A cet
effet il travailla à une fécondé partie,
qu’il intitula : Origines des plus anciennes
Nations. I l vouloit y joindre quelques
differtations fur le même fujet; <Sc il tra-
vailloit avec d’autant plus de liberté , '
qu’il venoit de recouvrer fa tranquillité
au fujet du Proteftantifme.
L a révolution qui mit Guillaume III.
fur le Trône diffipa toutes fes craintes. I l
ne put contenir fa joie lors de cet événement;
ôc le nouveau Roi s’emprefla de
récompenfer fon zèle fans l’en prévenir,
en le nommant à l’Evêché de Peterbo-
rough. L a maniéré dont il apprit fa nomination
eft finguliere. Etant a llé , félon
fa coutume, au Café de fa Paroiffe lire
les nouvelles, il trouva dans la Gazette
de ce jou r, que le DoCIeur C u m b e k -
l an d avoit été nommé à l’Evêché de
Peterborough. Cela le furprit extrêmement.
I l alla à la Cour pour favoir ce qui
en é to it , de il apprit tout le détail de ce
qu’on avoit fait pour lui.
On dit communément que les honneurs
changent les moeurs ; mais ce proverbe
, comme tous les autres de cette ef*.
pece, ne peut être appliqué qu’aux âmes
vulgaires. Celle d’un Philofophe eft au-
deffus de toutes fortes de diftin&ion. E lle
fe foutient également dans l’adverfité &
dans l’élévation, parce qu’elle n’a d’autre
ambition que celle delaSagefiTe. Aufli
notre Légiflateur ne changea point de
maniérés en changeant de caradere. C e
fut toujours la même douceur, la même-
modeftie , la même application aux fonctions
de fon é ta t , Ôc la même ardeur pour
l’étude. N i fa dignité, ni fon grand âge
ne l ’engagerent point à prendre quelque
repos ; ôc quand on lui repréfentoit que
fes travaux nuiroient à fa fanté , il ré-
pondoit : Il vaut mieux qu3un homme s’ufe
que defe rouiller. Il prouva lui-même que
le corps fe porte b ien , quand l’efprit eft
agréablement occupé ; ôc que la maladie
la plus dangereufe, c’eft l’ennui ôc le défaut
d’occupation. Aufli jouit-il d’une
fanté parfaite dans fa vieilleffe. I l ne perdit
ni la mémoire ni le défir de s’inftruire,
quoiqu’il touchât à la fin de fa carrière.
A l’âge de § 3 ans , il voulut apprendre
la Langue Coptique, afin de pouvoir entendre
le ^Nouveau Teftament que le
Do&eur JVilkins avoit publié en cette
Langue, Ôc dont il lui avoit fait préfent ;
Ôc il y parvint. Sa fanté fe foutint pref-*
que jufqu’à fa derniere heure. I l avoit*
8 7 ans lorfqu’il fut attaqué d’une para-
ly fie , qui dans deux jours le mit au tombeau.
I l expira le 9 Octobre 1 7 1 8 , ôc
fût'enterré dans fa Cathédrale à Peterbo-
rpugh, ou il étoit. On trouva parmi fes
papiers plufieurs Ouvrages manuferits,
dont deux ont été publiés après fa mort
par M. Payne, fon Chapelain. L e premier
eft intitulé l ' VHiftoire Phénicienne
de Sanchoniaton, traduite dx premier livre
i i j